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Après la grève au "JDD", quelles sont les pistes pour améliorer l’indépendance des médias ?

Les journalistes du "Journal du dimanche" ont annoncé se constituer en association pour "garantir l'indépendance des rédactions et la protection des journalistes", après une grève historique de quarante jours.
Article rédigé par Marion Bothorel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Des manifestants soutiennent la rédaction du "Journal du dimanche", lors d'un rassemblement à l'initiative de Reporters sans frontières à Paris, le 27 juin 2023. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

"Vous pouvez et vous devez agir". Dans le communiqué actant la fin de leur grève, publié mardi 1er août, les journalistes du Journal du dimanche (JDD) interpellent les "ministres, députés, sénateurs" mais aussi les "citoyens". "La profession doit être soutenue dans ce combat. (...) Il n'y a pas d'information fiable sans indépendance des rédactions, pas de démocratie sans liberté de la presse", écrivent-ils après quarante jours de mobilisation contre le choix de l'actionnaire, le groupe Lagardère, d'imposer l'arrivée du journaliste d'extrême droite Geoffroy Lejeune à la tête de la rédaction de l'hebdomadaire.

"Nous n'avons pas gagné", ont reconnu les journalistes, tout en précisant se constituer bientôt en association pour "défendre auprès des pouvoirs publics la nécessité d'une évolution du cadre législatif encadrant la presse" ainsi que pour "garantir l'indépendance des rédactions et la protection des journalistes". Franceinfo récapitule les pistes actuellement sur la table pour y parvenir.

Renforcer les chartes déontologiques entre rédactions et actionnaires

La rédaction du JDD a d'abord tenté de renforcer sa charte en négociant avec Lagardère News – un groupe que Vivendi, dirigé par Vincent Bolloré, doit reprendre dans les prochains mois. Mais les négociations autour de cette charte ont échoué. Selon les journalistes du JDD, sur Twitter, la direction a notamment supprimé un passage qui proposait "d'empêcher toute publication de propos racistes, sexistes, homophobes et, plus généralement, de tout contenu discriminant ou haineux". "Ce fantasme de l’extrême droite est infondé et méprisant", se justifiait Arnaud Lagardère dans un communiqué le 24 juillet. "Le JDD restera une publication d’information généraliste, grand public et ouverte à tous les courants de pensée" affirmait-il. Deux jours plus tard, la direction du groupe a également refusé de modifier la charte de Paris Match : les journalistes du titre demandaient la création d'un comité d'indépendance éditoriale, dans lequel auraient siégé des membres indépendants, ce qui a été rejeté.

Ces chartes déontologiques peuvent "offrir aux journalistes des garanties d'indépendance juridique et éditoriale" écrivait la rédaction du JDD dans un communiqué en date du 29 juillet. Elles sont aussi le moyen d'éviter "une guerre de tranchées entre actionnaires et journalistes", déclare à franceinfo Jean-Pierre Mignard, l'avocat de la Société des journalistes (SDJ) du JDD. Parmi les autres journaux dirigés par des milliardaires, l'avocat spécialisé en droit de la presse cite en exemple la charte d'éthique et de déontologie du Monde. Il y est spécifié que "les actionnaires proclament leur attachement à l'indépendance éditoriale des publications" et qu'ils "ne prennent pas part aux choix éditoriaux". Citant également les cas de l'hebdomadaire L'Obs, de titres de la presse quotidienne régionale ou encore du quotidien espagnol El Pais, Jean-Pierre Mignard appelle à des chartes répondant à "des logiques de consensus" entre actionnaires et journalistes, au service d'une "pluralité d'opinions".

Instaurer un droit de veto de la rédaction en cas de nomination d'un nouveau directeur

"On a toujours voulu que notre combat dépasse le simple cas du JDD", confie anonymement une journaliste quittant cette rédaction, avant de marteler : "Il faut changer la loi pour que ce qui nous est arrivé n'arrive plus". Sa rédaction n'a cessé d'appeler à inclure dans la loi "une forme de droit de veto ou d'approbation sur la nomination de leur directeur", comme mentionné dans cette lettre adressée à la ministre de la Culture, fin juillet. La SDJ du JDD y enjoint Rima Abdul Malak à soutenir les multiples initiatives politiques allant dans ce sens.

Une première proposition de loi est portée au Sénat depuis le 12 juillet par le socialiste David Assouline. Elle reprend "les mécanismes qui existent au Monde", résume-t-il à franceinfo, et plus particulièrement le "droit d'agrément", créé en 2018 après l'entrée du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky au capital du quotidien. Cette mesure donne à la rédaction un droit de regard en cas d'arrivée d'un nouvel actionnaire majoritaire, afin de garantir l'indépendance éditoriale. David Assouline et les autres sénateurs de son groupe proposent une mesure différente, mais qui repose également sur une forme de "droit de veto". Le texte propose de n'enregistrer comme entreprise de presse, éligible aux aides financières, que celles dont le directeur de la rédaction est approuvé par un vote "à la majorité de 60%" si la moitié des membres se sont exprimés. "Ma proposition s'attaque au financement", déclare David Assouline. En cas de veto à son directeur, le média ne serait plus considéré comme une entreprise de presse et ne bénéficierait plus d'aides indirectes de l'Etat, ni du taux de TVA fixé à 2,1%.

L'ambition de cette proposition "est très ciblée sur ce qu'il s'est passé au JDD", explique le sénateur. Il n'est d'ailleurs pas le seul à porter un texte inspiré par ce mouvement de grève historique. La députée écologiste Sophie Taillé-Polian a déposé une proposition de loi similaire à l'Assemblée nationale le 19 juillet. Le texte est soutenu par un groupe de 15 députés issus de la Nupes et de la majorité présidentielle. Comme David Assouline, ils souhaitent que ce droit de veto puisse être étendu aux chaînes de télévision. Une piste également soutenue par l'économiste spécialiste des médias, Julia Cagé, sur Twitter.

Redéfinir les missions des médias pour mieux attribuer les aides publiques

Les journalistes du JDD attendent désormais beaucoup des Etats généraux de l'information. Le 13 juillet, en pleine crise dans leur média, le président de la République, Emmanuel Macron, a confirmé leur mise en place en septembre. Une journaliste du JDD interrogée par franceinfo dit espérer que ce ne soit pas "une coquille vide". Si l'indépendance des médias ne sera que l'une des questions évoquées lors de ces Etats généraux, l'avocat Jean-Pierre Mignard appelle à une modification de la loi pour protéger l'exigence et la rigueur journalistiques.

"Il faut que la loi définisse les critères de ce qu’est une presse démocratique d'information, prône-t-il, en citant notamment l'indépendance éditoriale. Deuxièmement, il faut que la loi réclame journal par journal les formes de respect de ces critères. Si pas de respect de ces critères, alors pas d'aides publiques." Ces aides ont atteint 179,2 millions d'euros l'an dernier.

David Assouline appelle également à "revoir toute la loi" relative à la liberté de communication, qui date de 1986. Cette loi Léotard est, pour le sénateur, un "paquebot perclus de trous dans la coque" car les conditions qu'elle prévoit pour limiter la concentration des médias sont, selon lui, devenues caduques "à l'heure d'internet".

Protéger davantage les journalistes face aux actionnaires

Tout en soutenant les mesures précédemment évoquées, un collectif de 70 personnalités de la culture et des médias – dont Julia Cagé et Françoise Nyssen, l'ancienne ministre de la Culture d'Emmanuel Macron (2017-2018) – ont évoqué une autre piste dans une tribune, publiée dans Le Monde le 27 juin. Elles appellent à "des protections particulières" pour les journalistes. Dans son dernier communiqué, la SDJ du JDD affirme vouloir y veiller à l'avenir, via une association.

La protection des journalistes fait également partie des 32 propositions faites au gouvernement en mars 2022 par la commission d'enquête sur la concentration des médias (PDF). David Assouline, qui en était le rapporteur, proposait notamment que les membres des SDJ disposent de protections "équivalentes à celles qu'ont les délégués syndicaux".

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