"La marche républicaine nous fait prendre conscience que le collectif est indispensable"
Que signifie l'émotion l'immense qui émanait des manifestations du dimanche 11 janvier dans toute la France ? Et comment exorciser les peurs ? Entretien avec la psychanalyste Claude Halmos.
Du jamais-vu depuis la Libération, en août 1944. Combien étaient-ils, à participer à la marche républicaine, dimanche 11 janvier ? Près de 4 millions. A Paris, une marée humaine a envahi les rues, de la place de la République à celle de la Nation et aux alentours, pour proclamer son adhésion aux valeurs de la République et de la démocratie. Ou, tout simplement, son attachement à la liberté de vivre, après les attentats qui ont fait 17 morts, sans compter les trois tireurs, au siège de Charlie Hebdo et au supermarché casher situé porte de Vincennes, à Paris, ainsi qu'à Montrouge (Hauts-de-Seine), où une policière a été tuée.
Quelle émotion a étreint dimanche, cette foule, dans toute la France ? Comment affronter l'anxiété suscitée par ces tueries ? Pour aller plus loin, francetv info a interrogé la psychanalyste Claude Halmos, auteur de Est-ce ainsi que les hommes vivent ? (éd. Fayard, 2014)
Francetv info : Comment expliquez-vous l'émotion qui transparaissait dans les marches républicaines, partout en France, ce dimanche 11 janvier ?
Claude Halmos : C'est d'abord une émotion évidente face à l'horreur des attentats, à la volonté de ceux qui les ont perpétrés de tuer la liberté, à leur violence contre des croyances qui n'étaient pas les leurs. Mais il faut souligner que la présence de François Hollande à cette marche et son appel à participer à ces rassemblements ont été très importants pour transformer cette émotion en mobilisation. Le chef de l'Etat a incarné une sorte de figure paternelle et ses paroles ont eu une fonction symbolique extrêmement importante.
Les gens ont pu applaudir la police, chanter La Marseillaise et faire corps ensemble, sans rejeter qui que ce soit. Il y avait une chaleur humaine, une foule comme on n'en a jamais vue, des enfants, des gens avec des bébés, des personnes âgées et aussi une attention aux autres comme on n'en voit pas souvent. Nous avons su récupérer l'idée de nation sans pour autant, comme le préconise l'extrême droite, rejeter tous les autres. Pour cela, il fallait un leader et François Hollande a tenu ce rôle.
Pourquoi ces événements font-ils peur ?
Le terrorisme nous renvoie à nos fantasmes les plus archaïques. Le fait que quelqu'un arrive avec des armes de guerre qui ne laissent de chance à personne, dans un lieu familier comme un bureau ou un supermarché, nous plonge dans un sentiment d'impuissance et une terreur absolue. Cette impuissance, nous l'avons tous connue, enfants ou bébés quand les adultes nous apparaissaient comme des géants. La semaine dernière, les géants de notre enfance ont été remplacés par les terroristes et leurs armes. Face à une violence de cet ordre, on ne peut pas s'en sortir seul. Il faut rejoindre les autres et faire corps avec eux contre l'adversité.
Qu'est-ce qui a soudé la foule dimanche ?
Le fait d'avoir été appelé à le faire par le chef de l'Etat et la conscience que l'on était là pour rendre hommage aux victimes. A la barbarie et à son inhumanité, on opposait ce qui fait l'humain : la parole. Cette parole à laquelle le recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou [cité par Sud-Ouest], a appelé ses fidèles : "Si vous n'êtes pas d'accord avec les caricatures, faites des caricatures. C'est pensée contre pensée." Si on n'est pas d'accord avec les mots (ou les dessins) de quelqu'un, on lui répond par des mots, pas par des balles.
Certaines personnes interrogées ont dit qu'elles étaient traumatisées, n'arrêtaient pas de pleurer... Qu'en pensez-vous ?
Mais moi aussi j'ai pleuré ! Moi aussi, j'ai eu l'impression de perdre des gens. Nous avons été nombreux à pleurer même si, bien sûr, notre chagrin est sans commune mesure avec celui des familles des victimes.
Quelles solutions individuelles aux angoisses suscitées par ces attentats ? Aller voir un psy ?
Il ne s'agit pas de cela ! Tout le monde a été choqué et personne ne va bien. Mais les seules personnes qui ont besoin d'avoir recours à un psy sont celles chez qui ces attentats ont réactivé des traumatismes vécus par eux ou leur famille.
Les autres doivent agir collectivement. On ne peut pas faire l'économie du collectif quand on est confronté à une réalité extérieure aussi anxiogène et aussi lourde. C'est vrai pour la crise, comme je l'explique dans mon dernier livre. C'est vrai dans un contexte de guerre, de terreur, ou d'attentats. On ne peut pas faire face seul. "Je suis Charlie", ça veut dire "nous sommes tous Charlie" ! C'est une cause collective. Nous la prenons en main ensemble.
Comment gérer l'après, pour transformer cette émotion de façon positive ?
C'est un combat qui commence. Les jeunes gens qui ont fait ce qu'ils ont fait ne sont pas nés avec le gène de la monstruosité. Ils ont fréquenté des écoles françaises. Il faut se battre pour que l'école fasse barrage à la possibilité de devenir des fanatiques.
Il faut que les enfants et les adolescents apprennent à penser, à prendre du recul, à discuter pour ne plus être des proies pour tous ceux qui veulent se servir d'eux. Les enseignants et les parents d'élèves peuvent y travailler.
De façon générale, il faut rejoindre les autres et inventer des structures collectives. Si on en reste à l'émotion, l'élan de dimanche va retomber. J'étais extrêmement contente de voir, dans la rue, des enfants, c'était une des plus belles leçons d'instruction civique qu'ils puissent avoir. Il était clair que leurs parents leur avaient parlé, leur avaient expliqué quelles étaient les valeurs d'une démocratie.
Il faut montrer qu'on peut réinventer une façon d'être ensemble, dans l'humanité, la parole, la bienveillance et le respect de l'autre. Prendre conscience du fait que le collectif est indispensable. Il faut rassembler et éduquer.
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