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Mort de Jean-Pierre Elkabbach : de la "honte" de Le Pen au "cerveau" de Marchais, sept séquences cultes d'un "intervieweur hors pair"

Redouté depuis de longues années pour ses questions aussi piquantes que déroutantes, Jean-Pierre Elkabbach est mort mardi à l'âge de 86 ans. Il laisse notamment derrière lui quelques fameux échanges avec des personnalités politiques.
Article rédigé par franceinfo
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Le journaliste politique Jean-Pierre Elkabbach, sur le plateau d'Europe 1, à Paris, le 14 mars 2012. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

"Un monstre sacré du journalisme français." Emmanuel Macron a rendu hommage, mercredi 4 octobre, à Jean-Pierre Elkabbach, mort la veille à l'âge de 86 ans. "La France perd l'un de ses intervieweurs hors pair, un journaliste érudit dont le nom fit trembler des générations de responsables politiques", salue l'Elysée dans un communiqué.

Au fil de son demi-siècle de carrière de journaliste politique, Jean-Pierre Elkabbach avait en effet développé l'art des questions qui déroutent, notamment lors d'interviews restées fameuses sur Antenne 2 ou Europe 1. Franceinfo rembobine et vous propose une sélection.

La "honte" de Marine Le Pen

C'est l'une de ses "punchlines" les plus célèbres. Au lendemain de la marche historique du 11 janvier 2015 après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, Jean-Pierre Elkabbach reçoit Marine Le Pen. Celle qui est encore présidente du Front national est interrogée sur son absence dans le cortège parisien la veille. Elle a manifesté seule à Beaucaire (Gard), loin de l'unité nationale. L'intervieweur phare d'Europe 1 n'attend pas le round d'observation et attaque d'entrée de jeu.

Jean-Pierre Elkabbach : "Bonjour Marine Le Pen. Vous n'avez pas honte ?" 

Marine Le Pen : "Pardon ?"

Jean-Pierre Elkabbach : "Vous n'avez pas honte ?" 

Marine Le Pen : "Honte de quoi ?"

Jean-Pierre Elkabbach : "Vous n'avez pas de regrets ?" 

Marine Le Pen : "Mais de quoi me parlez-vous monsieur Elkabbach ? Je vous reconnais bien là dans la provocation mais..."

Jean-Pierre Elkabbach : "Le monde entier était à Paris hier, c'était au-delà de l'union nationale, l'Union européenne, l'union planétaire pour lutter contre le terrorisme (...) et les démocrates se sont passés de vous car vous n'y étiez pas. Vous avez préféré aller devant mille personnes à Beaucaire, c'est-à-dire chez les vôtres." 

Marine Le Pen : "Non, c'est le gouvernement et un certain nombre de partis politiques qui, quelques heures après l'attentat, sont tombés dans la basse politique politicienne." 

Sur X (ex-Twitter), la leader du Rassemblement national a salué mercredi matin "une figure emblématique du journalisme". "Ses interviews pugnaces, son style incisif et sa liberté de ton resteront dans les mémoires. Le monde des médias perd un professionnel rigoureux et exigeant", a-t-elle ajouté.

Le rendez-vous donné "lundi matin" à Bruno Le Maire

En novembre 2016, Bruno Le Maire n'était pas ministre de l'Economie d'Emmanuel Macron mais candidat à la primaire de la droite. Lors du dernier débat de la campagne, diffusé sur France 2, il se pose comme le candidat du "renouveau". Une posture qui semble laisser l'intervieweur sceptique

Bruno Le Maire : "Ne laissons pas le monopole du renouvellement politique à la gauche. Il serait bon aussi que chez nous, à droite, au centre, on soit capables de montrer qu'il y a des des idées nouvelles, des visages nouveaux. On est capables de changer."

Jean-Pierre Elkabbach : "Pourquoi ça ne fonctionne pas avec vous ?"

Bruno Le Maire : "Mais qu'est-ce qui vous dit Jean-Pierre Elkabbach que ça ne va pas fonctionner ? Vous connaissez déjà le résultat de dimanche ? Vous savez ce que vont voter les Français ? Vous savez, il y a une France des sondages, une France des commentateurs, il y a une France des journalistes, elle est totalement libre, elle a le droit de commenter. Et puis il y a la France des Français..."

Jean-Pierre Elkabbach : "On en parlera lundi matin..."

Bruno Le Maire : "Monsieur Elkabbach, je suis candidat à la primaire, ça mérite tout simplement le respect de votre part. Et je n'ai pas de leçons à recevoir de votre part sur ma candidature. Ce sont les Français qui jugeront, ce n'est pas vous."



La "couleur du mur" d'André Vallini

Jean-Pierre Elkabbach aimait désarçonner ses interlocuteurs dès l'entame de l'entretien. André Vallini peut en témoigner. En mai 2014, sur Europe 1, celui qui est alors secrétaire d'Etat à la Réforme territoriale, vient défendre son projet de loi. Comme Bruno Le Maire, André Vallini va se heurter à un "mur" qu'il n'avait pas vu venir.

Jean-Pierre Elkabbach : "Quelle couleur vous préférez pour le mur ?" 

André Vallini : "Pour le mur ? Quel mur ?" 

Jean-Pierre Elkabbach : "Comment quel mur ? Le mur sur lequel votre réforme territoriale va se fracasser." 

André Vallini : "D'abord, elle ne va pas se fracasser. Je pense que l'on peut réussir cette réforme même si les résistances sont nombreuses, les Français attendent cette réforme." 

A l'annonce de la mort du journaliste, André Vallini a fait référence avec humour à cette interview passée à la postérité. "Cher Jean-Pierre Elkabbach, nous ne saurons jamais de quelle couleur était le mur ! Grande tristesse après la disparition de cette légende du journalisme politique", a écrit mardi soir le socialiste sur X (ex-Twitter).

La mère "femme de ménage" de Gérald Darmanin

Jean-Pierre Elkabbach laissait parfois se dérouler l'entretien avant d'asséner la question qui fâche. En septembre 2014, il reçoit le député et maire UMP de Tourcoing, Gérald Darmanin. Si l'interview démarre de manière classique, elle prend une tournure plus personnelle et s'oriente sur la profession des parents de l'actuel ministre de l'Intérieur. Et notamment celle de sa mère, pour une question qui a choqué les internautes

Jean-Pierre Elkabbach : "Gérald Darmanin, vous venez de loin. D'où viennent vos parents ?"

Gérald Darmanin : "J'ai un grand-père maltais. Darmanin, c'est maltais. J'ai un grand-père tirailleur algérien et j'ai deux grands-mères flamandes."

Jean-Pierre Elkabbach : "Que font vos parents ?" 

Gérald Darmanin : "Ma mère est femme de ménage et mon père, désormais retraité, était commerçant."

Jean-Pierre Elkabbach : "Elle est toujours femme de ménage ?"

Gérald Darmanin : "Oui, elle est encore femme de ménage."

Jean-Pierre Elkabbach : "Vous la laissez être femme de ménage ?" 

Gérald Darmanin : "Je trouve cette question un peu indécente. Par ailleurs, je crois qu'elle a dû s'arrêter quelques minutes pour m'écouter ce matin."

Jean-Pierre Elkabbach : "Elle a bien fait !"

Le temps de lecture de Fleur Pellerin

S'il savait entamer tambour battant un entretien, Jean-Pierre Elkabbach gardait parfois une carte dans sa manche au moment de conclure. En mai 2015, sur Europe 1, il reçoit Fleur Pellerin. Quelques mois plus tôt, la ministre de la Culture du gouvernement de Manuel Valls avait affirmé n'avoir eu le temps de lire aucun roman depuis deux ans. Alors que l'interview touche à sa fin, le journaliste ne manque pas de l'interroger sur cette incongruité.

Jean-Pierre Elkabbach : "Il parait que maintenant, vous lisez ?"

Fleur Pellerin : "Qu'est-ce que ça veut dire ? Je n'ai jamais cessé de lire Jean-Pierre Elkabbach."

Jean-Pierre Elkabbach : "Les fiches et les dossiers techniques, non ?"

Fleur Pellerin : "J'ai dit que je lisais moins, ce qui est normal, parce que je travaille 16 heures par jour."

Jean-Pierre Elkabbach : "Maintenant, vous lisez, c'est ce que je veux dire. Je veux vous offrir les deux dernières Pléiades."

Fleur Pellerin : "Non mais Jean-Pierre Elkabbach, je n'aime pas tellement cette approche un peu méprisante, j'ai toujours beaucoup lu."

Jean-Pierre Elkabbach : "Ce n'est pas méprisant. Moi, j'aime beaucoup la culture et la lecture."

Fleur Pellerin : "Ben moi aussi, nous nous rejoignons sur ce point."

Jean-Pierre Elkabbach : "Regardez 'Bibliothèque Médicis' [une émission que Jean-Pierre Elkabbach présentait sur Public Sénat], vous serez fixée. Et ce qu'on fait à Europe 1."

Le "cerveau" et la "petite tête" de Georges Marchais

Avant ses années à Europe 1, Jean-Pierre Elkabbach a eu fort à faire sur le plateau de l'émission "Cartes sur table" sur Antenne 2 avec le leader du Parti communiste, Georges Marchais. En janvier 1980, ce dernier est invité à s'expliquer sur la politique internationale de l'URSS, après avoir rencontré le leader soviétique Leonid Brejnev. Au côté de Jean-Pierre Elkabbach, un autre jeune journaliste politique, Alain Duhamel, mène l'interview.

Jean-Pierre Elkabbach : "Ce que vous venez de dire reflète un peu ce que vous avez entendu, sur la lutte contre l'impérialisme ?"

Georges Marchais : "Ça fait 20 fois que je discute avec vous..."

Jean-Pierre Elkabbach : "Vous n'en parliez jamais comme ça..."

Georges Marchais : "Vous n'arrivez pas à vous mettre dans votre petite tête que moi aussi, j'ai un cerveau et un cerveau qui est capable de raisonner, de réfléchir et de formuler des propositions et des appréciations. Je ne vais pas apprendre mes leçons à l'étranger, moi."

Jean-Pierre Elkabbach : "Dans ma petite tête, je me souviens..."

Georges Marchais : "Quand je vais à l'étranger, je discute, j'écoute... Je ne suis peut-être qu'un ouvrier à vos yeux, mais je suis un militant ouvrier qui, avec  mes camarades intellectuels dans son parti, est capable de procéder à des analyses qui tiennent debout."

Le "taisez-vous" de Georges Marchais... qui n'a jamais existé

Georges Marchais a eu un autre célèbre échange lors d'un débat avec Jean-Pierre Elkabbach, à nouveau électrique, pour le second tour des élections législatives 1978. C'est à cette occasion qu'on a attribué au leader communiste une phrase passée à la postérité, le fameux "Taisez-vous Elkabbach".

Mais ces mots ne sont, en réalité, jamais sortis de la bouche de Georges Marchais ce soir-là. Ils ont été inventés par l'humoriste Thierry Le Luron, comme le rappelle le Huffington Post. L'humoriste s'est cependant bien inspiré d'une passe d'armes entre le journaliste et le secrétaire général du Parti communiste français.

Georges Marchais : "Attendez, écoutez, vous avez déjà reçu un avertissement de tous les syndicats de journalistes contre le fait qu'on ne peut pas s'exprimer à Antenne 2."

Jean-Pierre Elkabbach : "Ce qui est faux. Faut pas se mêler de problèmes de journalistes, on y répondra quand il le faudra M. Marchais." 

Georges Marchais : "Ecoutez Elkabbach, c'est, je crois, une soirée suffisamment sérieuse... Si vous pensez que ma place n'est pas souhaitable puisque la droite a gagné, moi, je laisse la place à la droite et je vais ailleurs. On me demande ailleurs, je peux y aller. Parce que c'est extrêmement désagréable de discuter avec vous. Je crois que les syndicats ont raison de protester contre le fait que l'information avec vous sur Antenne 2 a du mal à s'exprimer."

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