: Vidéo Dis franceinfo, c'est quoi la loi contre les "fake news" ?
Dès jeudi, les députés examinent un projet de loi visant à lutter contre "la manipulation de l'information" en France. En quoi consiste exactement cette loi anti-fake news ? Comment sera-t-elle appliquée ? Eléments de réponse avec notre assistant personnel.
Face aux "fake news", ces fausses informations visant à manipuler l'opinion, quelle stratégie faut-il adopter ? Les députés se penchent sur cette question sensible, jeudi 7 juin. Ils examinent en première lecture un projet de loi controversé du gouvernement visant à lutter contre "la manipulation de l'information" en France en période électorale. Deux propositions de loi – une ordinaire et une loi organique concernant les scrutins présidentiels – sont à l'étude sur le sujet au Palais-Bourbon.
Pourquoi légiférer face au phénomène des "fake news" ? Que comprend cette loi et comment pourra-t-elle être appliquée ? Franceinfo vous apporte plusieurs éléments de réponse.
Pourquoi une loi contre les "fake news" ?
L'idée est née à l'issue des dernières élections présidentielles, en France comme aux Etats-Unis. Au cours de ces récentes campagnes, bon nombre d'intox visant des candidats – tels Hillary Clinton et Emmanuel Macron – ont largement circulé en ligne. Si l'issue du scrutin français n'a, semble-t-il, pas été affectée par ces rumeurs, les "fake news" sont accusées d'avoir influencé l'élection présidentielle outre-Atlantique, en faveur de Donald Trump.
Dans ce contexte, le président de la République, Emmanuel Macron, a décidé d'intervenir. Lors de ses vœux à la presse, mercredi 3 janvier, le chef de l'Etat a annoncé un projet de loi visant à empêcher la propagation de fausses informations, d'une "propagande", en période électorale.
Les sites ayant pignon sur rue sont la vitrine légale de cette propagande, articulée avec des milliers de comptes sur les réseaux sociaux, qui en un instant répandent partout dans le monde, dans toutes les langues, le bobard inventé pour salir un responsable politique, une personnalité.
Emmanuel Macronlors de ses vœux à la presse, le 3 janvier 2018
Avec ce texte, Emmanuel Macron vise directement les diffuseurs de ces "fake news" en ligne. Alors candidat, il avait porté plainte pour "faux, usage de faux et propagation de fausse nouvelle destinée à influencer le scrutin", après la diffusion de faux documents sur internet l'accusant de pratiquer l'évasion fiscale dans les Caraïbes. Cette rumeur avait été reprise par sa rivale, Marine Le Pen, en plein débat de l'entre-deux-tours. "J'espère que l'on n'apprendra pas que vous avez eu un compte offshore aux Bahamas", avait-elle insinué en direct.
Mais à travers ce projet de loi, le gouvernement cible également, de manière implicite, des pays tels que la Russie, accusée d'avoir tenté d'influencer plusieurs scrutins étrangers via des contenus sponsorisés en ligne et via ses médias. Le 29 mai 2017, au côté de Vladimir Poutine, Emmanuel Macron n'avait pas hésité à qualifier RT et Sputnik, deux médias russes qui ont un pied en France, d'"organes d'influence" pendant la campagne présidentielle. Ils ont "à plusieurs reprises produit des contrevérités sur ma personne et ma campagne", s'était-il indigné. Cette loi entend donc aussi répondre à ces soupçons d'ingérence.
Que prévoit cette proposition de loi ?
Ce projet de loi tente d'abord d'apporter une définition au terme encore flou de "fake news". Il entend définir légalement une fausse information comme "toute allégation ou imputation d'un fait dépourvue d'éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable".
La définition d'une "fausse information" adoptée : il s'agira de "toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable."#DirectAN #FakeNews cc @NaimaMoutchou pic.twitter.com/F4oxhwcBsX
— LCP (@LCP) 30 mai 2018
Jugeant le dispositif légal "insuffisant" pour lutter contre les "fake news", ce texte introduit la possibilité de saisir la justice en référé, c'est-à-dire en urgence, pour arrêter la diffusion d'une fausse information en ligne en période pré-électorale et électorale. Un juge aura ainsi 48 heures pour se prononcer sur la fausseté d'une information. Si cette information est diffusée massivement et peut affecter l'issue du scrutin, la justice pourra ordonner son retrait du web. Elle pourra par exemple déréférencer un site la diffusant, ou encore fermer un compte la faisant circuler sur Facebook.
Cette proposition de loi donne en parallèle de nouvelles missions au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Ce dernier pourra "empêcher", "suspendre" ou "mettre fin" à la diffusion de chaînes de télévision gérées par un pays étranger, si ces dernières "portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation". En cas de "diffusion de fausses nouvelles" sur une chaîne étrangère, celle-ci pourra également se voir refuser son conventionnement par le CSA.
A travers ce texte, le gouvernement demande aussi aux plateformes diffusant ces "fake news" en ligne – Facebook, Twitter, ou encore Google – de mieux lutter contre elles. Dans un contexte électoral, ces diffuseurs devront très clairement informer le public et les autorités sur les personnes les ayant payés – et le montant déboursé – pour mettre en avant des contenus. Ils devront en parallèle développer un dispositif permettant à chaque utilisateur de signaler une "fake news" et faire part de ces signalements aux autorités concernées. enfin, la proposition de loi appelle ces plateformes à rencontrer de manière régulière médias et annonceurs et prône davantage d'éducation aux médias.
Mais il est déjà possible de lutter contre les "fake news", non ?
Ce projet de loi sur les fausses informations vient en effet compléter une série de dispositifs déjà existants sur le sujet. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse stipule que "la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses" est punie d'une amende de 45 000 euros, si elles sont susceptibles de troubler "la paix publique".
Des poursuites pour diffamation sont également possibles, dans le cas où une allégation "porte atteinte à l'honneur ou à la considération" d'une personne. S'il s'agit d'une diffamation publique, la peine encourue est de 12 000 euros d'amende, et de 45 000 euros si la personne visée est un élu.
Depuis le 21 juin 2004, la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) prévoit également la possibilité, en référé, d'ordonner le retrait d'un contenu en ligne appellant à la violence, à la haine ou encore à la discrimination. Cette proposition de loi contre les "fake news" va donc plus loin, en permettant une procédure d'urgence similaire sur les simples critères de fausseté et de diffusion massive d'une information.
Cette loi pourra-t-elle vraiment s'appliquer ?
C'est l'une des craintes partagées par plusieurs juristes et chercheurs spécialistes du sujet. La loi peut-elle vraiment empêcher une circulation en masse, globale et virale d'une fausse information ? "Il y a un risque d'encombrement des tribunaux pour ces questions-là", explique à franceinfo Jean-Marie Charon, sociologue, spécialiste des médias et de l'information.
Dans le cas où le caractère faux de l'information et la volonté de manipuler l'opinion sont complexes à établir, "il n’est pas du tout certain que le juge ait les moyens, et surtout le temps, de rendre efficace le dispositif", poursuit le chercheur. Ce dernier s'inquiète également de la volonté du gouvernement de définir légalement ce qu'est une "fake news". Qu'est-ce qu'une information qui "poserait problème, qui mériterait une poursuite ?" s'interroge-t-il. "On voit qu'il y a un problème de définition."
Pour Jean-Marie Charon, il semble également difficile d'imposer à des plateformes étrangères – telles que Facebook ou Twitter – de lutter davantage contre les fausses informations. "ll n'y a pas d'accord, il n'y a pas de convention entre la justice française et la justice américaine sur ces questions-là", analyse le sociologue. "Je crains qu'on s'aperçoive très vite que ces grandes plateformes internationales auront les moyens d'échapper" à la loi, alerte-t-il. "De fait, elles ne répondent pas au cadre juridique français."
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