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La CGT ira à Matignon : Sophie Binet "affirme une grande détermination, mais elle ouvre la porte", analyse le directeur de l'Institut supérieur du Travail

Selon Bertrand Vivier, "si le gouvernement et le président de la République ont gagné la bataille législative, les organisations syndicales ont gagné la bataille de l'image."
Article rédigé par franceinfo
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Sophie Binet, secrétaire général de la CGT, lors d'une réunion avec la Première ministre à Matignon le 5 avril 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS)

Sophie Binet de la CGT "affirme une grande détermination, mais elle ouvre la porte", analyse samedi 6 mai sur franceinfo Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du Travail, alors que le syndicat a répondu favorablement à l'invitation d'Elisabeth Borne. La Première ministre souhaite recevoir individuellement les organisations syndicales les 16 et 17 mai. La CFDT, la CFE-CGC la CFTC comptent se rendre à Matignon. De son côté, FO réserve sa réponse. "La Première ministre ne peut que s'en réjouir", affirme Bernard Vivier, mais rappelle que c'est Emmanuel Macron "qui pilote, qui conduit, qui lance les initiatives". Les rencontres bilatérales favorisent, selon lui, une meilleure "prise en compte" des "spécificités de chaque organisation syndicale". Mais il estime que "le gouvernement n'a pas la possibilité d'avoir une stratégie de division parce que depuis trois mois, l'intersyndicale s'est affirmée et entend continuer à s'affirmer".

franceinfo. Comment interprétez-vous la réponse positive de la CGT à l'invitation d'Elisabeth Borne ?

Bernard Vivier. En décidant d'aller à Matignon, comme les autres organisations syndicales CFDT, CFTC, CFE-CGC et probablement Force ouvrière, même si la décision n'est pas encore formellement prise, la CGT ne se rend pas à Canossa. Sophie Binet n'a pas la tête d'un bourgeois de Calais. Elle affirme une grande détermination, mais elle ouvre la porte. Elle considère que le dialogue social, c'est important. Pour une organisation comme la CGT, dans les premiers mois de l'arrivée à la tête de la CGT de Sophie Binet, c'est un geste, une posture qui permet d'affirmer l'importance de la CGT dans le dialogue social.

Le fait d'y aller tous, bien qu'on attende encore la réponse de FO, c'est une façon de maintenir le front syndical ?

Si le gouvernement et le président de la République ont gagné la bataille législative, les organisations syndicales ont gagné la bataille de l'image, la bataille de l'opinion publique et entendent conserver ce capital de sympathie. Les entretiens se dérouleront de façon bilatérale, c'est-à-dire le gouvernement et chaque syndicat l'un après l'autre, mais la préparation de cette rencontre va se faire de la même façon qu'ont été prises les décisions entre organisations syndicales pendant toute la période de contestation de la réforme des retraites. Un discours commun sur des thèmes nouveaux. Ce n'est plus les retraites, mais ce sont des thèmes très importants qui découlent de la loi, par exemple la pénibilité, les seniors et d'autres sujets aussi que les syndicats veulent afficher, pour ne pas dire imposer au gouvernement. Le contenu de la discussion, la chronologie, le calendrier des échéances à venir vont faire l'objet d'exigences syndicales en direction du gouvernement.

C'est une victoire pour Elisabeth Borne ?

La Première ministre ne peut que s'en réjouir. Est-ce un triomphe ? Sûrement pas parce que les organisations syndicales savent bien qu'au-dessus de la Première ministre, le président de la République existe. C'est lui qui pilote, qui conduit, qui lance les initiatives. La Première ministre est une sorte d'ambassadrice d'ouverture du président de la République en direction des organisations syndicales. Le contact est plus facile entre les syndicats et la Première ministre qu'entre les syndicats et le président de la République.

Quel est l'avantage des entretiens bilatéraux ?

Les spécificités de chaque organisation syndicale peuvent mieux s'exprimer et peuvent être mieux prises en compte par la Première ministre. Mais évidemment, au risque pour la Première ministre d'avoir un discours particulier et un peu flatteur pour chaque organisation syndicale. Une intersyndicale unie ça donne une puissance de feu, mais ça gêne aussi des discussions un peu moins diplomatiques, un peu moins convenues. Une intersyndicale qui se rencontre avec la Première ministre au même moment sur le même lieu, il y a une sorte de retenue de fusion dans un discours commun qui ne valorise pas les spécificités de chaque organisation syndicale.  

C'est une stratégie de division de la part du gouvernement ?

Le gouvernement n'a pas la possibilité d'avoir une stratégie de division parce que depuis trois mois, l'intersyndicale s'est affirmée et entend continuer à s'affirmer. La préparation de ces rencontres bilatérales sera forte. Cela permet à la Première ministre de ne pas se sentir face à un tribunal intersyndical et donc cela peut faciliter les expressions de chaque organisation et de la Première ministre.

Est-ce qu'il y a un risque que ces concertations s'abrègent rapidement si le gouvernement ne répond pas aux exigences des syndicats ?

Un gouvernement ne peut pas se couper trop longtemps des corps intermédiaires que sont syndicats et patronat. Nous avons aujourd'hui dans notre pays le besoin, sinon de réconciliation en tout cas, de recoudre les relations. Le chef de l'État et le gouvernement se sont bien rendu compte que sans ces corps intermédiaires qui font fonctionner le monde du travail, les décisions ne sont pas bien acceptées. C'est un vieux principe qui avait été formulé en des temps anciens, de la façon suivante : on ne gouverne pas la France par décret ou par loi. Il est important que patronat et syndicats s'organisent et même s'organisent entre eux. C'est là probablement un des enjeux importants des mois à venir. Est-ce que ces derniers vont avoir l'autorisation, la possibilité de bâtir entre eux un calendrier de discussion, de négociation ? Le vrai dialogue social, c'est d'abord entre patronat et syndicats.

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