La réforme des retraites favorise-t-elle les cadres les mieux rémunérés, comme l'affirme Thomas Piketty ?
L'économiste français a critiqué la baisse de cotisations des cadres rémunérés au-delà de 120 000 euros par an dans le cadre de la réforme des retraites. Mais il est difficile d'affirmer qu'il s'agit d'un cadeau fait aux plus gros salaires.
Une nouvelle banderille plantée dans la réforme des retraites du gouvernement ? L'économiste Thomas Piketty, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), a émis une virulente critique lundi 2 décembre sur France Inter à propos du projet gouvernemental. "Un régime universel acceptable, ce serait un régime qui serait beaucoup plus favorable sur les salaires entre un smic, deux smic, trois smic et qui fasse porter davantage l'effort sur les salaires à six smic, sept smic et au-delà. Or le projet Delevoye fait exactement le contraire", a-t-il affirmé. Et de poursuivre : "Le pilier du système, c'est un financement (...) de 28% de cotisations sur tous les salaires jusqu'à 10 000 euros par mois, 120 000 euros par an, environ 7 smic, et ça tombe ensuite à 2,8% au-delà de 120 000 euros donc 10 fois moins."
En gros, sur les salaires entre 120 000 et 200 000 euros [annuels] vous avez une baisse de cotisations très importante.
Thomas Pikettysur France Inter
Une déclaration qui a fait réagir les lecteurs de franceinfo dans le live qui s'interrogent sur ce qui semble "un gros cadeau" pour les hauts salaires. Mais la réalité est plus complexe.
Un salaire net plus élevé mais une retraite moindre
Actuellement, les cadres cotisent pour leur retraite au maximum sur un salaire équivalent à 324 000 euros environ, soit huit plafonds de la Sécurité sociale – un montant de référence permettant le calcul de prestations sociales et égal à 40 524 euros en 2019. Pour ceux qui touchent moins de 40 000 euros par an, le taux global de cotisation est de 10,02%. Pour ceux touchant plus de 40 000 euros et jusqu'à 324 000 euros, ce taux s'élève à 24,64%.
Le projet de réforme du gouvernement propose de réduire le plafond de cotisation, comme l'a préconisé Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, dans son rapport paru en juillet 2019. Pour les rémunérations inférieures à 120 000 euros (soit 3 plafonds de la Sécurité sociale), deux cotisations s'appliquent, selon ce document. Une cotisation de 25,31% qui permettra de calculer les droits à la retraite, en plus d'une de 2,81% participant au financement mutualisé et solidaire des dépenses du système de retraite. Au total, ce sont donc 28,12% de cotisations qui devront être versés, pour 60% par les employeurs et 40% pour les assurés.
En revanche, pour les personnes gagnant plus de 120 000 euros par an, seule la cotisation solidaire de 2,81% s'appliquera sur une partie des revenus. Par exemple, un cadre payé 150 000 euros par an cotisera pour sa retraite à 28,12% jusqu'au plafond de 120 000 euros et pour les 30 000 euros restants, il ne cotisera plus qu'au titre de la solidarité (à 2,81%, également versée à 60% par les employeurs et 40% pour les assurés).
Conséquences : son salaire net sera plus élevé, puisque débarrassé de cotisations salariales de retraite entre 120 000 euros de revenu annuel et l'ancien plafond (324 000 euros). Mais sa pension de retraite, versée au titre de ses cotisations, sera moindre car le nouveau système ne prendra pas en compte son niveau de revenu réel.
Un système moins solidaire ?
Est-ce à dire que cette réforme est défavorable pour ces cadres ? Vincent Touzé, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques, estime que ces salariés, qui représentent "environ 2% de la masse salariale en France", sont "plutôt perdants" car la part de salaire net gagnée du fait de cette réforme sera soumise à l'impôt sur le revenu au lieu d'être directement investie pour leur retraite future par une cotisation.
Une perte "significative" selon l'Institut de la protection sociale (IPS) dans une contribution parue en novembre 2019. Un cadre de 45 ans percevant 6 plafonds de la Sécurité sociale (environ 243 000 euros par an) se verrait ainsi amputé de près de 29 000 euros par an de retraite avec le nouveau système. Si celui-ci choisissait d'investir dans un Plan épargne retraite (PER) comme le préconise le think tank, il serait soumis à une taxation partielle de ces cotisations – alors que les cotisations au régime obligatoire ne sont pas taxées. En clair, il perdrait au change. Un surcoût que l'IPS évalue pour ce cas précis à 12,76% du salaire net.
Pour compenser la perte de pension de retraite engendrée, Laurent Mahieu, secrétaire général du syndicat CFDT-Cadres, estime que "rien n'interdit de créer un régime complémentaire au-delà de 3 plafonds", même si selon lui, la priorité est avant tout "d'améliorer les bas salaires et les basses pensions". Or, en concentrant les obligations de cotisation au régime de retraite obligatoire aux revenus inférieurs à 120 000 euros, ne réduit-on pas l'assiette globale, et donc la solidarité ? Le syndicaliste s'interroge d'ailleurs sur le maintien d'un niveau fixe de cotisation mutuelle et solidaire à 2,81% en lieu et place d'une cotisation "progressive" qui répartirait l'effort.
C'est au niveau de la transition que se logerait une difficulté. Pour l'économiste Vincent Touzé, il existe "un problème de concordance de masse entre l'assiette de cotisations et les retraites à verser" puisque jusqu'ici, des cadres touchant entre 3 et 8 plafonds de la Sécurité sociale ont cotisé à ce titre pour leur retraite. Comment, dès lors, honorer le versement de leur pension, s'interroge Laurent Mahieu ? Vincent Touzé affirme qu'il faudra "un système de transition" ou "de taxation à part" pour compenser cela, système dont les contours ne sont pas encore connus.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.