Réforme des retraites : Emmanuel Macron peut-il ne pas promulguer la loi, comme le réclament les opposants au texte ?
La réforme des retraites pourrait-elle ne pas voir le jour ? Les espoirs des opposants au texte ont été douchés par le Conseil constitutionnel, qui a validé en grande partie le texte du gouvernement, vendredi 14 avril. Mais ils espèrent néanmoins un geste politique d'Emmanuel Macron, à qui ils demandent, pour tenter de sortir de la crise politique, de ne pas promulguer la loi prévoyant le report de l'âge légal de départ à 64 ans. "La promulgation est l'acte par lequel une loi définitivement adoptée par le Parlement, ou approuvée par le peuple via un référendum, devient exécutoire", détaille le site Vie-publique.fr.
"Monsieur le président de la République, ne promulguez pas cette loi ce week-end", a ainsi plaidé Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, sur TF1. Dans un communiqué, l'intersyndicale a aussi demandé "solennellement" au chef de l'Etat de "ne pas promulguer la loi", ni de "l'appliquer", alors qu'elle doit entrer en vigueur au 1er septembre.
Mais ce scénario est-il seulement possible ? L'article 10 de la Constitution dispose que "le président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au gouvernement de la loi définitivement adoptée", sauf en cas de saisine du Conseil constitutionnel. Dans ce cas, il faut attendre que les Sages se soient prononcés, comme ce fut le cas vendredi soir. "Depuis 2017, le président promulgue systématiquement toutes les lois le lendemain ou le surlendemain" de leur adoption, rappelle l'entourage du chef de l'Etat à franceinfo.
"Le président est tenu de promulguer la loi quoi qu'il arrive"
"L'interprétation dominante est que le mot 'promulgue' de l'article 10 de la Constitution, conjugué au présent de l'indicatif, vaut impératif et impose au président de la République de promulguer la loi", détaille le constitutionnaliste Thibaud Mulier, maître de conférences à l'université Paris-Nanterre, interrogé par franceinfo. "Il est tenu de promulguer la loi, quoi qu'il arrive", confirme son confrère Benjamin Morel, maître de conférence en droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas. Le site Vie-publique.fr assure que "le président ne peut pas refuser cette promulgation".
Néanmoins, "on pourrait considérer que la formulation au présent n'impose pas la promulgation au président", avance Thibaud Mulier. Le président socialiste François Mitterrand avait ainsi refusé de signer, durant la première cohabitation en 1986, les ordonnances de son Premier ministre Jacques Chirac, prévoyant la privatisation de 65 groupes industriels. Et ce alors que l'article 13 de la Constitution prévoit, dans un énoncé semblable à celui de l'article 10, que "le président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres". Cette mesure avait donc finalement été soumise à la procédure parlementaire.
Si un tel refus était revendiqué par Emmanuel Macron, "il s'agirait donc d'une décision pouvant être critiquée, mais aucun organe ne pourrait le sanctionner", relève Thibaud Mulier. En effet, "le gardien de la Constitution n'est pas le Conseil constitutionnel, mais le président de la République, relève Benjamin Morel. Si le président ne promulguait pas la loi, ce serait donc au président de lui remonter les bretelles."
Une nouvelle loi pour demander l'abrogation de la réforme ?
Selon les textes, Emmanuel Macron peut aussi suspendre la promulgation de la loi en demandant, selon l'article 10 de la Constitution, une nouvelle lecture au Parlement sur la totalité du texte, ou certains de ses articles. C'est d'ailleurs ce que réclament Laurent Berger et la Nupes, qui veulent qu'un débat parlementaire "serein" puisse avoir lieu sur cette loi adoptée via le recours de l'exécutif au 49.3, qui engage la responsabilité du gouvernement sur un texte, sans le soumettre au vote.
Emmanuel Macron pourrait aussi promulguer la loi... tout en refusant de l'appliquer, notamment en demandant à la Première ministre Elisabeth Borne de ne pas prendre les décrets d'exécution de la loi. Là encore, il s'agirait d'une décision "discutable juridiquement", selon Thibaud Mulier. Mais qui a également un précédent. En 2006, le président Jacques Chirac avait ainsi promulgué la loi sur le contrat première embauche" (CPE), avant de renoncer à l'appliquer, dix jours plus tard, face à la mobilisation étudiante.
Enfin, même si la loi était promulguée et que les décrets d'exécution étaient pris, la loi pourrait encore ne pas entrer en vigueur si un projet de loi, dont l'objet serait l'abrogation de la réforme des retraites, était adopté avant le 1er septembre, date où cette dernière doit entrer en vigueur, note Benjamin Morel. Les parlementaires socialistes ont d'ailleurs annoncé, vendredi, leur intention de déposer un texte législatif demandant l'abrogation de la réforme si elle devait être promulguée.
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