Réforme des retraites : âge de départ validé, référendum d'initiative partagée rejeté, censure de l'index senior... Ce qu'il faut retenir des décisions du Conseil constitutionnel
Ils ont mis fin au suspense. Les neuf membres du Conseil constitutionnel, présidé par l'ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius, ont rendu, vendredi 14 avril, leur décision sur la très controversée réforme des retraites, à l'origine d'une crise politique et sociale. Trois recours avaient été déposés devant les Sages par des députés de la Nupes, des sénateurs de gauche et des députés du Rassemblement national, tandis que la Première ministre avait elle-même saisi la juridiction. Trois options s'offraient à eux : la censure totale de la réforme, la censure partielle ou la validation du texte. Ils ont choisi la deuxième. Par ailleurs, la première proposition de loi demandant un référendum d'initiative partagée sur le maintien de l'âge de départ à 62 ans a été rejetée. Voici les points saillants de leurs décisions.
Le report à 64 ans de l'âge légal est validé
Le Conseil constitutionnel a donné un blanc-seing à une grande partie de la réforme des retraites, dont l'augmentation de la durée de travail, qui constitue le cœur du texte. L'âge légal de départ à la retraite pourra donc être relevé progressivement de 62 à 64 ans, au rythme de 3 mois par an à partir du 1er septembre 2023 jusqu'en 2030. Pour obtenir une pension "à taux plein" (sans décote), la durée de cotisation devra passer de 42 ans (168 trimestres) actuellement à 43 ans (172 trimestres) d'ici à 2027 au lieu de 2035, au rythme d'un trimestre par an.
Le Conseil constitutionnel a également validé la plupart des autres mesures emblématiques de la réforme. Ainsi, la majorité des régimes spéciaux existants, dont ceux de la RATP, des industries électriques et gazières et de la Banque de France, disparaîtront petit à petit, selon la "clause du grand-père", déjà mise en œuvre à la SNCF. La mesure ne s'appliquera donc qu'aux nouveaux embauchés à partir du 1er septembre 2023.
L'utilisation d'un PLFRSS est jugée conforme
L'exécutif a choisi de faire passer sa réforme des retraites via un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS). Il s'agit d'un texte qui a pour objectif de modifier, en cours d'année, le budget de la Sécurité sociale, lui-même établi par un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) l'année précédente. Mais "l'insertion dans un PLFRSS de dispositions aussi importantes que celles apportant une réforme en profondeur du système de retraite n'est pas conforme aux dispositions organiques", avaient notamment plaidé les 88 députés RN ayant saisi le Conseil constitutionnel (PDF). Dans leur saisine (PDF), les députés de la Nupes y voyaient, eux aussi, "un détournement de procédure". Ces saisines demandaient donc aux Sages de censurer l'ensemble du texte, ce qui aurait obligé le gouvernement à reprendre à zéro le processus, en déposant cette fois un projet de loi ordinaire.
Le Conseil constitutionnel n'a pas donné raison aux opposants, estimant que si certaines dispositions "auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l'origine par le gouvernement de les faire figurer au sein d'une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle". Une décision conforme à la tradition du Conseil constitutionnel. Seuls deux projets de loi, en 1979 et 2012, ont déjà été totalement censurés sous la Ve République pour des motifs de procédure.
L'index senior et le CDI senior sont retoqués
Les mesures contenues dans un PLFRSS doivent avoir un impact sur le budget de la Sécurité sociale de l'année 2023, sans quoi ils sont qualifiés de "cavaliers sociaux" ou "législatifs", c'est-à-dire sans rapport avec l'objet du texte. Les députés du Rassemblement national et de la Nupes plaidaient que des mesures telles l'index senior, l'expérimentation d'un CDI senior ou la création de deux fonds contre l'usure professionnelle devaient être retoquées par les Sages, au motif que leur impact immédiat sur les finances publiques était "incertain" ou "indirect".
Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, avait lui-même mis en garde le gouvernement, à en croire des propos rapportés par Le Canard enchaîné. "Tout ce qui est hors du champ financier" dans le texte, nécessiterait un "deuxième texte", avait-il alerté mi-janvier. Sans surprise, les Sages ont donc estimé que plusieurs mesures étaient contraires à la Constitution. C'est le cas de l'index senior, du CDI senior, mais aussi du suivi médical spécifique, réservé aux salariés exposés à des facteurs de pénibilité.
Les Sages ont aussi censuré la mesure visant à comptabiliser, dans le calcul ouvrant le droit à un départ anticipé pour certains fonctionnaires des catégories actives (exerçant des métiers pénibles et dangereux) les années passées en tant que contractuel avant leur titularisation. Enfin, deux points techniques, l'annulation du transfert à la Sécurité social du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco, et l'information accrue des assurés, en particulier ceux aux carrières hachées, sur les droits à la retraite, ont été censurés.
L'exécutif pourra toutefois réintroduire certaines de ces mesures dans le grand projet de loi prévu sur le "plein-emploi" au printemps.
La limitation des débats est jugée recevable
Les oppositions avaient aussi estimé que l'utilisation massive de mesures spécifiques contenues dans la Constitution ou le règlement du Sénat avait entravé le bon déroulement des débats parlementaires au sujet de la réforme. L'article 47.1 de la Constitution a ainsi permis à l'exécutif de limiter les débats à 50 jours au Parlement. "Comme le PLFSS doit être voté avant le 1er janvier, les délais sont extrêmement limités, justifiait à l'époque le constitutionnaliste Benjamin Morel. Et quand on modifie le budget en cours d'année, c'est souvent qu'il y a urgence." Mais la réforme des retraites ne revêtait pas ce caractère urgent, selon les oppositions et plusieurs constitutionnalistes.
Le gouvernement a aussi eu recours à l'article 49.3, pour faire adopter son texte sans vote de l'Assemblée nationale. Enfin, il a aussi utilisé d'autres articles de la Constitution pour accélérer les débats au Parlement : l'article 44.2 pour supprimer la kyrielle de sous-amendements déposés par la gauche au Sénat, ou l'article 44.3 pour obliger les sénateurs à se prononcer sur la totalité du texte sans mettre aux voix les amendements auxquels le gouvernement était défavorable.
Le Conseil constitutionnel a estimé qu' "aucune exigence constitutionnelle n'a été méconnue" et que l'accumulation de ces procédures, si elle a un caractère "inhabituel", "n'est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l'ensemble de la procédure législative ayant conduit à l'adoption de cette loi".
Les débats sont considérés comme sincères
La jurisprudence du Conseil constitutionnel impose "le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire", garanties par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la Constitution. Les députés de la Nupes ayant saisi le Conseil constitutionnel estimaient que le gouvernement n'avait pas transmis au Parlement suffisamment d'informations lui permettant d'éclairer les discussions, par exemple sur les conséquences de la réforme pour les femmes ou sur l'attractivité des métiers bénéficiant jusque-là d'un "régime spécial", voué à disparaître. Ils avaient par ailleurs, avec ceux du RN, pointé ce qu'ils estimaient être des informations "incomplètes", voire "trompeuses", sur le nombre de bénéficiaires de la retraite minimale à 1 200 euros ou l'équilibre financier de la réforme.
Le Conseil constitutionnel n'a pas retenu ces arguments, estimant qu'il n'y avait pas, dans les informations fournies par le gouvernement, "des erreurs sur les effets économiques attendus de cette réforme de nature à affecter la clarté et la sincérité des débats". Les estimations "initialement erronées" du gouvernement, sur le nombre de bénéficiaires de la pension minimale à 1 200 euros, ont par exemple été considérées comme "sans incidence sur la procédure d'adoption de la loi" et ce "dès lors que ces estimations ont pu être débattues".
La première demande de RIP est rejetée
C'est râpé pour le RIP. Introduit dans la réforme constitutionnelle de 2008 et encadré par l'article 11 de la Constitution, le référendum d'initiative partagée (RIP) est un dispositif qui prévoit la possibilité d'organiser une consultation populaire sur une proposition de loi. Plus de 250 parlementaires de la gauche et du centre ont déposé, le 20 mars, une première demande de RIP portant sur une proposition de loi visant "à affirmer que l'âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans". Le gouvernement estimait que cette proposition de référendum n'était pas une réforme, puisqu'elle "se born[ait] à affirmer une limite d'âge qui figur[ait] déjà dans les textes en vigueur".
Le Conseil constitutionnel a, lui aussi, considéré que cette demande n'était pas conforme, pour la même raison que le gouvernement. Néanmoins, un référendum sur le maintien de l'âge de départ à 62 ans pourrait tout de même avoir lieu. Percevant la fragilité juridique de leur premier essai, des parlementaires de gauche ont déposé une nouvelle demande de RIP, sur laquelle les Sages trancheront le 3 mai.
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