Réforme des retraites : cinq questions sur la très discutée "clause du grand-père"
A partir de 2025, un système unique à points doit remplacer les 42 régimes de retraites existants, selon les vœux du gouvernement. Mais cette réforme sera-t-elle réservée seulement aux nouveaux entrants sur le marché du travail ? Une possibilité successivement évoquée puis rejetée par l'exécutif.
On l'imagine quasiment en barbe blanche et manteau rouge. La "clause du grand-père" a un faux air de cadeau de Noël, à l'approche des fêtes de fin d'année. Appliquée à l'actuel projet de réforme des retraites, cette disposition implique que seuls les nouveaux actifs arrivant sur le marché du travail seraient concernés, à partir de 2025, par le système à points universel censé fusionner les 42 régimes existants. Que recouvre exactement cette notion de "clause du grand-père" ? A-t-elle déjà été mise en œuvre ? Pourquoi le gouvernement souffle-t-il le chaud et le froid autour de cette piste ? Franceinfo tente d'y voir plus clair.
1 C'est quoi, la "clause du grand-père" ?
La formule "clause du grand-père" est née aux Etats-Unis, juste après la guerre de Sécession. En 1866, les esclaves noirs sont émancipés et le droit de vote est accordé à tous les citoyens américains. Ou presque. Plusieurs Etats du Sud restreignent ce droit en imposant plusieurs conditions, mais accordent une dérogation qui octroie le droit de vote aux personnes dont le père ou le grand-père votaient déjà avant l'abolition de l'esclavage.
En français, on parle plutôt de "clause d'antériorité". Dans le cas de la réforme des retraites, cela signifie que la fusion des 42 régimes existants en un unique système à points ne s'appliquerait qu'aux nouveaux entrants sur le marché du travail. Les autres conserveraient leur régime actuel de retraite avec, éventuellement, des départs anticipés. Selon les vœux du gouvernement, la loi doit entrer en vigueur en 2025, après adoption par le Parlement à l'été 2020.
2Cette clause d'antériorité a-t-elle déjà été appliquée ?
Oui. En France, elle a ainsi garanti la préservation de leur statut aux salariés de plusieurs entreprises publiques privatisées. La première application date de 1996, avec la transformation de France Télécom en société anonyme. Les anciens salariés sont restés fonctionnaires tandis que les nouveaux ont été recrutés sous un autre statut. Voilà pour la forme. Sur le fond, l'opérateur souhaitait mettre en place "un plan de réduction rapide et importante de ses effectifs visant en priorité les fonctionnaires", soulignent Les Echos. Un dispositif de préretraite a donc été mis en place pour permettre aux plus âgés de partir dès 55 ans en touchant 70% de leur salaire. Quelque 50 000 d'entre eux ont bénéficié de ces "congés de fin de carrière" entre 1998 et 2001, selon le Sénat.
A La Poste en 2002, la même démarche a prévalu : les nouveaux embauchés ont signé un contrat relevant du droit privé, les autres sont restés dans la fonction publique. L'entreprise devient une société anonyme détenue à 100% "par l'Etat, actionnaire majoritaire, et par d'autres personnes morales de droit public" en 2010. Quinze ans plus tard, les fonctionnaires sont minoritaires dans les deux entreprises. "Depuis 2017, Orange [ex-France Télécom] compte plus de salariés de droit privé que de fonctionnaires. À La Poste, la bascule s'est faite en 2014 : les agents de l'Etat ne représentent plus aujourd'hui que 41,8% du personnel et cette part va continuer à descendre", notait La Croix en février 2018.
A l'étranger, le gouvernement italien avait prévu, dans les années 1990, d'aller vers un système à points "avec une entrée très progressive et souple dans le nouveau système en trente ou quarante ans", relève L'Expansion. Mais la crise financière de 2008 et l'endettement du pays ont bousculé l'agenda. A l'été 2011, la Commission européenne a pressé le gouvernement italien de réformer rapidement son système de retraites, détaille Le Monde. En moins de deux semaines, Rome a préparé "une réforme drastique, très impopulaire", votée fin 2011 par un Parlement qui n'avait pas d'autre choix. Le texte contenait notamment une baisses des pensions, un allongement des périodes de cotisation et la fin du double système. La "clause du grand-père" n'a donc, finalement, pas été mise en œuvre chez le voisin transalpin, comme prévu initialement.
3Est-ce qu'elle s'applique aux cheminots de la SNCF ?
Non, mais il faut noter que la situation est particulièrement compliquée dans le ferroviaire. Au projet de réforme des retraites en cours de discussion, s'ajoute la réforme de la SNCF adoptée en 2018. Selon celle-ci, les nouveaux agents de l'entreprise publique cesseront d'être recrutés comme cheminot à partir du 1er janvier 2020. Les anciens agents SNCF, eux, conserveront leur statut et leurs droits : la garantie de l'emploi et le régime de retraites, même s'ils sont transférés à d'autres opérateurs lors de l'ouverture du rail à la concurrence fin 2020. "Mais ce régime des retraites peut évoluer selon des conditions définies par l'Etat", observe l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP), interrogé par franceinfo.
Concrètement, à partir de 2025, date prévue par le gouvernement pour l'entrée en vigueur du système à points universel, les actuels cheminots de la SNCF n'ont pas plus de visibilité pour leur retraite que les autres salariés. "C'est comme si on changeait le contrat à la mi-temps", remarquent amèrement plusieurs conducteurs de train que nous avons contactés, en rappelant au passage leurs fortes contraintes (horaires de nuit, travail les week-ends et jours fériés...).
4Pourquoi cette piste divise-t-elle au sein du gouvernement ?
L'exécutif fait des allers-retours sur le sujet, avec des voix dissonantes. Le 28 octobre, Emmanuel Macron a paru ouvert à l'introduction de cette "clause du grand-père" dans le projet de réforme des retraites, au moins pour certains régimes spéciaux. "Je comprends tout à fait quelqu'un qui est à EDF, à la RATP ou à la SNCF, qui a 48 ou 50 ans, et qui proteste. (...) Il est rentré avec un pacte avec la nation, on lui a dit : 'Vous allez travailler dans cette entreprise, voilà vos droits'. Sans doute qu'il ne faut pas tout bousculer pour lui", a déclaré le chef de l'Etat au micro de RTL. Mais le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, s'est rapidement insurgé face à ces propos, se sentant désavoué. Le 6 novembre, il a expliqué au Parisien pourquoi cette "clause du grand-père" lui apparaît inapplicable.
Si on fait la 'clause du grand-père' pour une profession, il faut la faire pour tout le monde. Question d'équité. Ça veut dire que l'on renonce à la réforme.
Jean-Paul Delevoyeau Parisien
Cette critique a été mal digérée à l'Elysée et le haut-commissaire a été rapidement recadré. Le 8 novembre, la porte-parole du gouvernement, Sibeth N'Diaye, a de son côté assuré "que toutes les options [restaient] bien sur la table". Mais dimanche dernier, nouvelle sortie au sein du gouvernement. Invité de "BFM Politique", le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a fermé la porte à cette disposition. "La 'clause du grand-père', ce n'est pas possible. Sinon la réforme a lieu dans trente ans", a-t-il lancé.
5Qu'est-ce qui se profile ?
A quelques jours de la grève du 5 décembre, le choix du durcissement est-il acté ? Rien n'est semble-t-il décidé, puisque le gouvernement se dit prêt à revoir sa copie. Selon Le Monde, le Premier ministre, Edouard Philippe, a pour la première fois évoqué, mardi 26 novembre, "la possibilité de ne pas appliquer la réforme à tous les salariés en même temps et de la même manière". Une négociation sur la transition pourrait avoir lieu secteur par secteur.
Mercredi 27 novembre, à l'issue du Conseil des ministres, le chef du gouvernement a donné un peu plus de précisions. Il s'est dit prêt à un compromis entre "une transition immédiate et brutale" et la "clause du grand-père". Sous-entendu : l'entrée en vigueur de la réforme ne s'appliquerait pas forcément dès la génération née en 1963, comme annoncé au départ. La concertation sur la réforme s'achèvera "le 9 ou le 10 décembre" et le Premier ministre présentera "dans les jours qui suivront" le projet du gouvernement "dans sa globalité".
Car d'autres décisions se profilent sur le front des retraites. Au nom de l'équilibre budgétaire, le gouvernement pourrait annoncer des mesures rapides pour pallier le déficit annoncé des caisses de retraite à l'horizon 2025. De 8 à 17 milliards d'euros, selon le Conseil d'orientation des retraites (COR). Parmi les pistes envisagées : l'allongement des cotisations pour les actifs âgés actuellement de 56 à 60 ans, ou la mise en place d'un "âge-pivot" de départ à la retraite à 63 ou 64 ans, avec application de décote avant et de surcote après.
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