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Réforme des retraites : on vous explique la retraite progressive, ce dispositif méconnu qui permet de lever le pied en fin de carrière

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié
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Le dispositif de retraite progressive existe depuis de nombreuses années mais il est encore méconnu des salariés (image d'illustration). (NITAT TERMMEE / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

La retraite progressive permet de passer à temps partiel et de liquider une partie de ses droits à la retraite, tout en continuant à cotiser. Fin 2018, seules 18 000 personnes bénéficiaient de ce dispositif qui pourrait être élargi avec la réforme des retraites.

Le monde de l'entreprise n'est pas tendre avec les seniors. En France, le taux d'emploi des 60-64 ans est même l'un des plus faibles d'Europe (31% en 2018 selon la Dares). Dans ces conditions, en plein débat sur la réforme des retraites, comment réclamer aux actifs de travailler plus longtemps quand les portes de l'emploi se referment en fin de carrière ? Interrogée sur ce paradoxe, Muriel Pénicaud a évoqué sur franceinfo plusieurs pistes, comme la "prévention" ou la "reconversion". La ministre du Travail a également mis en avant la retraite progressive, un dispositif existant qui fait écho, selon elle, à une "énorme aspiration sociale".

Cette aspiration à ne pas avoir un couperet – c'est-à-dire : ‘on travaille à fond et puis d'un coup on est chez soi' – est très forte. Et elle est bonne car on va vivre longtemps à la retraite (…) Il faut qu'on puisse aménager sa vie, et progressivement.

Muriel Pénicaud, ministre du Travail

sur franceinfo

La présidente du conseil d'administration de Sodexo, Sophie Bellon, a récemment coécrit un rapport sur "l'emploi des travailleurs expérimentés" dans lequel elle prône un élargissement du dispositif de retraite progressive. Cette piste fait désormais l'objet de discussions entre le gouvernement et les partenaires sociaux et pourrait connaître à l'avenir un regain d'intérêt.

Comment fonctionne ce dispositif aujourd'hui ?

La retraite progressive permet de lever le pied en fin de carrière tout en conservant peu ou prou ses revenus. Le salarié poursuit alors une activité à temps partiel – entre 40% et 80% de la durée légale du travail – tout en percevant une fraction de retraite. A titre d'exemple, un temps partiel à 80% donne droit au versement de 20% du montant de la retraite complète calculée provisoirement. Le salarié bénéficie d'une fraction de retraite tout en continuant à cotiser. A la fin du dispositif, le montant de la retraite est recalculé en intégrant les cotisations versées durant le temps partiel.

"Cela peut permettre de se mettre en état de continuer plus longtemps, de faciliter la transition vers la retraite ou de réduire son exposition à des conditions de travail difficiles, explique Annie Jolivet, économiste et chercheuse au Centre national des arts et métiers (Cnam). Ces différents facteurs peuvent se combiner." Si le salarié qui n'a pas assez cotisé souhaite aller jusqu'à 67 ans pour éviter une décote, "il va courir moins vite mais plus longtemps avec ce dispositif". L'économiste en résume ainsi la philosophie :

Cela consiste à se financer soi-même un aménagement de travail. En effet, le salarié cotise pour sa retraite et décide d'en consacrer une partie pour compenser la diminution de son activité. Il paie donc lui-même son temps partiel.

Annie Jolivet, économiste

à franceinfo

Qui peut bénéficier de la retraite progressive ?

Si ce dispositif fait l'objet d'un certain consensus, il souffre également de conditions d'accès assez restreintes. Avant de se plonger dans le formulaire de l'assurance-maladie, il faut en effet respecter plusieurs critères. Tout d'abord, il faut être âgé d'au moins 60 ans et avoir cotisé 150 trimestres pour en bénéficier – actuellement, les salariés nés après 1973 doivent en valider 172 pour une retraite à taux plein. Ce dispositif est fermé aux salariés au forfait-jour, aux professions libérales et à la fonction publique, ce qui réduit grandement son champ d'application.

Jusqu'en 2011, les fonctionnaires bénéficiaient pourtant d'un dispositif similaire, nommé cessation progressive d'activité (CPA). Cette option a été supprimée définitivement il y a neuf ans sans aucun dispositif de remplacement, mais il est aujourd'hui question d'ouvrir la retraite progressive aux agents publics. "Par effet de balancier, on propose aujourd'hui un dispositif proche de celui qui a été supprimé" dans la fonction publique, fait remarquer Régis Mezzasalma, conseiller confédéral sur les retraites à la CGT.

L'employeur a-t-il son mot à dire ?

C'est toute la difficulté actuellement pour le salarié demandeur. L'employeur doit en effet donner son feu vert avant toute demande de retraite progressive. Et dans les faits, ce n'est pas toujours évident. "Le dispositif résulte d'un accord entre un salarié et un employeur, explique l'économiste Annie Jolivet, et vous pourrez avoir du mal à convaincre cet employeur. Lors de mes enquêtes en entreprise, j'ai rencontré des salariés qui ont finalement renoncé au dispositif en raison des délais d'attente, parfois de plusieurs mois."

Brigitte Gasparini-Coz, aujourd'hui 60 ans, était cadre au forfait-jour à 90% dans une société toulousaine. Elle était donc exclue du dispositif – une situation "insupportable" et "discriminatoire" selon elle. Au préalable, elle a dû convertir son contrat pour sortir du forfait-jour et pouvoir bénéficier de la retraite progressive. "L'employeur a été compréhensif car beaucoup de départs à la retraite étaient prévus au cours des cinq prochaines années." Depuis le 1er janvier, elle travaille désormais à 80%, quatre jours sur cinq, et touche en sus une fraction de retraite. 

La retraite est une période qui m'inquiète, j'ai le sentiment que je vais me retrouver chez moi à me morfondre. Je me suis dit qu'il fallait que je me prépare mieux pour un passage en douceur.

Brigitte Gasparini-Coz, cadre en retraite progressive

à franceinfo

La situation pourrait toutefois évoluer dans le cadre de la réforme des retraites. En effet, le projet de loi prévoit que les employeurs privés ne pourront plus refuser de telles demandes de la part des salariés, sauf si "cette quotité réduite de travail est incompatible avec l'activité économique de l'entreprise". Reste à savoir sur quels critères seront établies ces exceptions.

Permet-elle de garantir une retraite à taux plein ?

La retraite progressive permet de conserver une activité à temps partiel et de liquider une partie de ses droits à la retraite, tout en continuant à cotiser pour améliorer sa future pension. "Le complément apporté par votre retraite partielle est plus ou moins important suivant les droits acquis auparavant, poursuit Annie Jolivet. C'est plus facile pour les gens qui ont eu de bonnes rémunérations dans le passé, avec des droits acquis plutôt bons. Mais cela peut être juste pour un salarié qui a toujours été au smic et qui passe à 50% ou 80% avec une faible compensation de retraite." 

Notre cadre en retraite progressive, Brigitte Gasparini-Coz, perd ainsi une dizaine d'euros par rapport à son forfait-jour à 90%. Depuis l'âge de 58 ans, elle a suffisamment cotisé pour obtenir une retraite à taux plein.

Il convient également de sortir la calculatrice pour vérifier que les cotisations versées pendant la retraite progressive permettent bien d'accéder à une retraite à taux plein. "Même si le salarié a bénéficié de ce dispositif, s'il n'a pas tous ses trimestres quand il cesse totalement son activité, il y aura une proratisation, donc une décote", souligne ainsi Régis Mezzasalma, de la CGT. 

Le dispositif permet toutefois de garantir un niveau très proche d'une retraite à taux plein, assure pour sa part Pierre Roger, secrétaire national confédéral CFE-CGC en charge de la concertation sur les retraites : "Si vous prenez un salaire moyen de 2 000 ou 2 500 euros brut sur une année à temps partiel, la retraite sera finalement peut-être diminuée de 2 à 3 euros par rapport au temps plein." Son évaluation repose sur l'exemple d'un salarié qui entre dans le dispositif à l'âge de 60 ans pour partir à 62 ans. 

Autre bémol : les dernières années de carrière correspondent souvent aux plus hauts salaires d'une vie et entrent donc en compte dans les 25 meilleures années pour le calcul de la retraite. Aujourd'hui, un temps partiel à cette période peut donc être pénalisant dans le futur calcul de la retraite.

Ce dispositif est-il populaire ?

La retraite progressive existe depuis une trentaine d'années mais reste confidentielle : seules 18 000 personnes en bénéficiaient à la fin de l'année 2018, selon la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav). "Beaucoup de gens ne connaissent pas. Le système est compliqué, il est lourd, il est difficile à obtenir", soulignait ainsi la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. En 2017, seul un nouveau retraité sur trois disait savoir à quoi correspondait ce dispositif, selon le rapport de Sophie Bellon.

"Ce dispositif ne connaît pas un grand succès car les entreprises n'en font pas la promotion", explique Pierre Roger, de la CFE-CGC. Les raisons invoquées par les entreprises sont, selon lui, une déstabilisation des services et la perspective de se retrouver "avec des wagons de cadres et de techniciens qui resteraient jusqu'à 70 ans, avec une faible implication dans l'entreprise".

Pendant très longtemps, le temps partiel a été considéré comme une forme de démotivation, avec tout ce que cela implique dans la promotion et les postes.

Pierre Roger, secrétaire national confédéral CFE-CGC

à franceinfo

Quelles sont les discussions en cours ?

Le rapport de Sophie Bellon préconise l'ouverture du dispositif à l'ensemble des salariés français, une proposition accueillie favorablement par les partenaires sociaux et le gouvernement. Mi-décembre, le Premier ministre, Edouard Philippe, avait déjà "souscrit totalement" à cette demande, en citant par exemple "les enseignants et les personnels hospitaliers". La retraite progressive sera rendue accessible aux salariés au forfait-jour à compter de 2022 dans le système actuel, précise encore le projet de loi sur la réforme des retraites.

Le dispositif a été récemment évoqué lors des réunions multilatérales des 7 et 14 janvier consacrées à l'emploi des seniors et à la gestion des fins de carrière. L'arbitrage de Matignon est attendu d'ici une quinzaine de jours, mais l'ouverture de cette retraite progressive au plus grand nombre semble d'ores et déjà acquise. "Les conditions d'accès à ce dispositif seront les mêmes qu'aujourd'hui, sauf en ce qui concerne la condition de durée d'assurance qui sera remplacée par une condition d'atteinte de l'âge légal", précise d'ailleurs le projet de loi.

Que proposent les syndicats ?

Reste à définir les détails du dispositif dans sa nouvelle version. Voici quelques propositions non exhaustives formulées par les syndicats.

Unsa. Le syndicat souhaite doper le recours à la retraite progressive avec des mesures d'incitation pour les salariés. "On pourrait envisager que les cotisations versées durant le dispositif soient calculées sur 100% du temps d'activité et non sur le taux d'activité réel", explique Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l'Unsa et négociateur sur les retraites. Cette mesure pourrait être financée "grâce à des mécanismes de solidarité ou patronaux". Autre option : favoriser le tutorat. "Un bénéficiaire de la retraite progressive pourrait accompagner un jeune dans le cadre du tutorat et être rémunéré en points de cotisation supplémentaires."

CGT. La centrale est favorable à l'extension du dispositif mais souhaite le coupler avec des mesures en faveur des jeunes. "Il faut un accompagnement de la diminution du temps de travail avec une embauche de jeune, résume Régis Mezzasalma, conseiller confédéral sur les retraites. Nous avons avancé l'idée d'un dispositif de formation de 400 heures pour le jeune sur le modèle des contrats de nouvelle génération avec une nouvelle expérimentation. Cela permettrait de prendre le problème sur les deux pieds : jeunes et seniors."

CFE-CGC. Le syndicat des cadres cherche avant tout à rassurer les employeurs réticents. "Nous proposons que dans le futur système, un salarié qui souhaite rester en retraite progressive après l'âge d'équilibre – toujours en discussion – doive en faire la demande à l'entreprise, qui pourra refuser", résume Pierre Roger. Par ailleurs, la CFE-CGC veut accorder un délai de six mois aux entreprises, le temps pour elles de se réorganiser quand il existe trop de demandes dans un même service.

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