Réforme des retraites : pourquoi l'article 38 du règlement du Sénat, qui permet d'écourter les débats, inquiète la gauche
"Si nos oppositions étaient tentées par l'obstruction, alors il faudrait sans hésitation recourir aux outils qui, dans notre règlement, permettent de bloquer le blocage". La formule est signée Bruno Retailleau dans Le Parisien, le 25 février. Le patron des sénateurs LR, majoritaires à la chambre haute, confirme à franceinfo qu'il pense, entre autres, au recours à l'article 38 du règlement intérieur du Sénat. Introduit en 2015, ce texte n'a jamais été utilisé, mais il s'annonce potentiellement explosif s'il devait être brandi au cours des débats sur la réforme des retraites au Palais du Luxembourg, qui ont débuté jeudi 2 mars.
>> Réforme des retraites : suivez en direct l'examen du texte au Sénat
Il dispose que lorsqu'au moins deux orateurs d'avis contraire sont intervenus dans la discussion générale d'un texte, sur l'ensemble d'un article ou dans les explications de vote portant sur un amendement, un article ou l'ensemble du texte en discussion, le président du Sénat, un président de groupe ou le président de la commission concernée – celle des affaires sociales - peut proposer la fin de la discussion. La "clôture" est ensuite adoptée ou non par les sénateurs par un vote "assis et levé", selon le règlement.
"Un coup de force" ?
Cet article pourrait se révéler utile à la droite pour accélérer les débats alors que plus de 4 700 amendements ont été déposés sur le texte des retraites, dont une large majorité par l'opposition de gauche. Gérard Larcher affiche, lui, sa détermination à aller au bout de l'examen du texte et à voter le projet de loi, contrairement à l'Assemblée nationale, qui n'a pas dépassé l'article 2. "Le Sénat ira au bout du débat sur les retraites", a ainsi prévenu le président du Sénat, dans une interview au Figaro.
Le doute subsiste néanmoins sur l'interprétation de cet article puisqu'il n'y a pas de précédent en la matière. Laurence Rossignol, vice-présidente PS du Sénat, conteste notamment son éventuelle utilisation pour clore les discussions sur l'ensemble du texte. Politiquement, cette hypothèse reste peu probable tant elle donnerait du grain à moudre aux opposants à la réforme, prompts à dénoncer un passage en force.
Mais cette option reste bien plus envisageable sur un amendement ou un article précis. "C'est un instrument de procédure qui pourrait devenir l'outil d'un coup de force contre l'opposition au Sénat. Si l'article 38 devait être utilisé, on serait quand même dans l'intimidation", assure Laurence Rossignol à franceinfo. L'opposition de gauche redoute ce cas de figure, à commencer par le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner.
"Si l'article 38 du règlement est dégainé, ça va limiter le débat. On sera pris dans une double obstruction : le 47.1 du gouvernement et l'obstruction de la majorité sénatoriale de droite."
Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénatà franceinfo
"Ça peut être un pari dangereux"
A gauche, on affûte donc ses arguments en cas de recours à l'article 38. "Est-ce que la majorité sénatoriale est là comme supplétif du gouvernement pour contraindre l'opposition ou pour défendre le droit du Parlement à débattre d'un texte essentiel jusqu'au bout ?", interroge le sénateur socialiste Rémi Féraud. "On aurait là la droite sénatoriale qui viendrait au secours du gouvernement pour sauver le texte des retraites", critique la sénatrice écologiste, Mélanie Vogel.
"Est-ce qu'à droite, ils vont être les idiots utiles du gouvernement ?"
Mélanie Vogel, sénatrice écologisteà franceinfo
"Le règlement a été approuvé par le Conseil constitutionnel et l'obstruction est un dévoiement", leur rétorque Bruno Retailleau. "Bien sûr qu'il est légal et dans notre règlement. Mais est-il légitime dans un débat d'une telle importance ? C'est un article brutal", réplique Patrick Kanner. De son côté, le camp présidentiel, minoritaire au Sénat mais qui a trouvé un accord sur l'essentiel de son texte avec LR, minimise l'hypothèse d'un recours à l'article 38. "Il est difficile malgré tout à utiliser. Son utilisation est contraignante", insiste François Patriat, qui préside le groupe des sénateurs macronistes au Palais du Luxembourg. "On ne peut pas le faire non plus sur 500 amendements de suite."
Reste une dernière donnée à ne pas négliger pour le gouvernement : la réaction de la rue, qui pourrait se crisper encore davantage face à cette réforme. La gauche en est d'ailleurs bien consciente. "L'article 47.1 et maintenant l'article 38 pour faire passer en force un texte qui n'a même pas été voté à l'Assemblée nationale... Ça peut être un pari dangereux", prévient Rémi Féraud.
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