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Réforme des retraites : pourquoi le sort du texte va (sans doute) se régler autour de quatorze parlementaires

Faute de vote dans le délai imparti, la commission mixte paritaire, composée de sept députés et de sept sénateurs, aura la lourde tâche de rédiger un compromis à soumettre à l'Assemblée.
Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Les députés débattent de la réforme des retraites, à l'Assemblée nationale, le 8 février 2023. (QUENTIN DE GROEVE / HANS LUCAS / AFP)

"On accumule les problèmes démocratiques avec ce texte, on est sûr que personne ne pourra le voter", hausse des épaules Marine Le Pen. "Tout va se passer en CMP." Dans les couloirs de l'Assemblée, mardi 7 février, la présidente du groupe RN s'arrête quelques instants devant la presse pour livrer son analyse sur la réforme des retraites, débattue depuis le 6 février dans l'hémicycle. Et évoque la CMP, un acronyme inconnu de la plupart des Français, mais qui pourrait bientôt faire son apparition dans le débat public. Il désigne la commission mixte paritaire qui réunit sept députés et sept sénateurs lorsque le Sénat et l'Assemblée nationale ne sont pas d'accord sur un texte. Ces parlementaires ont alors pour mission d'aboutir à un texte commun.

Une étape classique de la procédure parlementaire, mais qui va prendre toute son importance dans le débat électrique sur la réforme des retraites. Car il existe une probabilité très forte que l'Assemblée ne puisse pas se prononcer, en première lecture, sur le texte du gouvernement, pour deux raisons chacune dénoncée par des camps politiques différents. La première : les délais contraints d'examen du texte puisqu'en choisissant un projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale (PLFRSS), le gouvernement s'appuie sur l'article 47.1 de la Constitution. L'Assemblée nationale a ainsi vingt jours pour se prononcer et le Sénat quinze. Et si le Parlement ne parvient pas à le voter dans un délai de cinquante jours, le gouvernement peut alors légiférer par ordonnances. La seconde : les milliers d'amendements qui ralentissent l'examen du texte. 

"Pour qu'il y ait un vote, il faut avoir le temps de tout examiner. Et là avec les délais, ce n'est pas possible."

Le groupe communiste

à franceinfo

Le choix d'un PLFRSS est d'ailleurs dénoncé unanimement par la Nupes mais aussi par le Rassemblement national. Le temps est ainsi compté. La niche parlementaire du PS, examinée jeudi, a été maintenue à la date prévue, malgré les demandes de report du groupe socialiste. Cela fait donc des heures en moins au débat sur les retraites. Autre point important : les oppositions souhaitaient aussi ouvrir les débats sur la réforme des retraites le week-end du 11 et 12 février. Mais, il n'en sera finalement rien, selon une décision actée mardi.

Trop d'amendements en peu de temps

La majorité défend le calendrier retenu. "On n'a pas un délai si court que ça, on pourrait tout à fait aller au bout du texte", rétorque Jean-Paul Mattei, le président du groupe MoDem. Mais cette hypothèse est selon lui rendue impossible du fait des 20 000 amendements déposés, dont 13 000 par le seul groupe de La France insoumise. Une stratégie vivement critiquée par la majorité qui parle d'obstruction parlementaire. "S'ils maintiennent leurs amendements, il n'y aura pas de vote à l'Assemblée, c'est sûr", assure une figure de Renaissance. La Première ministre elle-même l'avait dénoncé, le 2 février, sur France 2.

"C'est vrai que quand on voit qu'il y a 20 000 amendements, ça ferait quatre mois de débats au Parlement. Je pense que peut-être les oppositions pourront en enlever pour qu'on puisse débattre."

La Première ministre Elisabeth Borne

sur France 2

"C'est insupportable, ils ne veulent pas débattre", s'emporte également Bruno Millienne, un député du MoDem. "On ne dépassera pas l'article 3, merci la Nupes et ses 50 milliards d'amendements", renchérit Marine Le Pen. La gauche, justement, assume. "On utilise tous les outils à notre disposition, on n'a pas vocation à faciliter leurs basses besognes", défend le député communiste Sébastien Jumel. 

Un Sénat qui penche à droite

Mais l'horloge tourne. A 0 heure et une minute, samedi 18 février, le délai d'examen du texte à l'Assemblée nationale se termine. Si la discussion n'est pas achevée, le gouvernement va transmettre le texte au Sénat qui aura jusqu'au 13 mars à minuit pour se prononcer. Quel texte ? Ce sera le projet de loi initial, modifié, le cas échéant, par les amendements votés par l'Assemblée nationale mais acceptés par le gouvernement. Les sénateurs auront alors quinze jours pour se prononcer sur la réforme des retraites.

Or, la majorité sénatoriale penche clairement à droite et contrairement aux députés des Républicains, les sénateurs LR sont unis et favorables à cette réforme des retraites. Depuis plusieurs années, la chambre haute se prononce pour relever l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans. "C'est le fruit d'un compromis entre LR et centristes. Ce texte a été jugé suffisamment positif pour que le gouvernement s'en rapproche, cela va dans le bon sens", se félicite Hervé Marseille, président de l'UDI et du groupe centriste au Sénat. 

"Au Sénat, il y a une réflexion, une organisation, un dialogue et des habitudes de travail qui permettent d'aboutir. La majorité sénatoriale est capable de rationaliser le débat."

Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste

à franceinfo

Le vote est donc hautement probable au Sénat, ce qui fait pester certains députés. "Les représentants du peuple vont être privés de leur pouvoir, on va transférer au Sénat le soin de faire un texte, c'est quand même incroyable !" confie le député Charles de Courson, du groupe LIOT.

Le dernier mot pour la commission mixte paritaire

A partir du 14 mars, les parlementaires vont donc se réunir au sein de la commission mixte paritaire. Autour de la table : sept députés et sept sénateurs qui auront pour objectif de trouver un accord à partir du texte voté par les sénateurs. Or, la composition de la CMP, qui dépend de la taille des groupes politiques, est clairement favorable au gouvernement du fait de l'accord passé avec Les Républicains. Du côté du Palais-Bourbon, Renaissance dispose de trois sièges, le Modem un, tandis que les Républicains, le Rassemblement national et La France insoumise en ont un chacun. Du côté du Sénat, les Républicains ont trois sièges, les centristes, les socialistes, les communistes et le groupe rassemblement démocratique et social européen en ont un chacun. Un rapport des forces qui fait soupirer dans les rangs de la Nupes. 

"Il y aura une majorité pour voter le texte en commission mixte paritaire. On ne peut pas le dire de manière tonitruante pour ne pas désespérer la rue."

Un parlementaire de la Nupes

à franceinfo

"Tous les textes ont été adoptés avec une CMP conclusive [on dit alors qu'un accord a été trouvé en commission mixte paritaire], c'est devenu la norme depuis le début de cette législature", aime d'ailleurs à rappeler un député Renaissance. En cas d'accord, le texte reviendra en lecture finale à l'Assemblée et ne pourra plus être amendé par les députés. "Si la CMP est conclusive, cela veut dire que l'accord avec LR aura tenu et donc que ça passera en lecture finale", veut croire une députée de la majorité. 

Le gouvernement pourra alors éviter d'utiliser un 49.3 dont personne ne veut dans le camp présidentiel. Mais ce scénario idéal n'est absolument pas garanti : "On est sur des plaques de glace, tout peut déraper", glisse Hervé Marseille. Les députés LR récalcitrants peuvent tout à fait être plus nombreux au fur et à mesure de l'examen du texte et faire tomber l'accord avec le gouvernement. Les députés de la Nupes ont aussi la possibilité à tout moment d'enlever des milliers d'amendements pour accélérer le débat et donc rendre possible un vote à la chambre basse. Dans leur viseur : l'article 7, qui contient la mesure d'âge, et qui est le plus amendé.

Les élus de gauche veulent absolument débattre de cet article, mais pas non plus trop tôt "pour ne pas tuer dans l'œuf la mobilisation sociale", selon un élu communiste. Résultat : les députés de la majorité ont reçu pour consigne de ne pas bouger de leur siège, le temps des débats. "Je pense que la Nupes va attendre la semaine prochaine pour accélérer, ils ont intérêt à maintenir la pression jusqu'au bout", confie un député Renaissance. Et de conclure : "Les amendements, c'est leur seule cartouche, ils vont la tirer à la fin."

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