Réforme des retraites : tempo de la Nupes, indécision de LR… Les chefs de file des groupes parlementaires dévoilent leur stratégie avant les débats à l'Assemblée
L'heure de vérité a sonné. Après un premier passage en commission, les députés débutent, lundi 6 février, l'examen du projet de loi sur la réforme des retraites en séance publique dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. "C'est un vrai moment d'aiguillage du quinquennat, reconnaît un parlementaire de la majorité. La question étant : 'Peut-on faire passer une grande réforme ? Si c'est oui, on peut faire le reste." L'issue pour l'exécutif reste toutefois incertaine, en ces temps de majorité relative au Palais-Bourbon. Car le deal que le gouvernement espère conclure avec Les Républicains pour faire adopter son projet de loi demeure fragile, malgré la main tendue dimanche par Elisabeth Borne à propos de l'une des principales revendications de la droite sur les carrières longues.
D'autant que c'est une forme de compte à rebours qui a débuté depuis fin janvier et l'arrivée du texte sur le bureau de l'Assemblée nationale. Cette réforme étant inscrite dans le cadre d'un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS), l'exécutif fait en effet usage de l'article 47.1 de la Constitution pour accélérer l'examen de ce texte budgétaire en limitant les travaux à 20 jours à l'Assemblée dans un premier temps.
Comment vont se positionner les députés des groupes de la majorité et des oppositions dans ce contexte inédit ? Quel sera le plan de bataille de chaque camp ? Les chefs de file des dix groupes parlementaires sur ce dossier expliquent à franceinfo comment ils envisagent le débat qui débute et la stratégie de leur parti.
Sylvain Maillard (Renaissance) : "On est face à l'histoire"
Le groupe Renaissance compte 170 députés
Le groupe parlementaire du parti présidentiel va bien entendu soutenir le projet de loi du gouvernement, qu'il devra aussi porter face aux oppositions. "On demande un effort aux Français pour assurer dans les années qui viennent le même niveau de pension qu'actuellement. Le système est structurellement déficitaire (...) On est face à l'histoire", assure Sylvain Maillard, numéro deux du groupe Renaissance, chargé d'un groupe de travail de son parti sur les retraites.
"Le système par répartition ne peut pas être préservé si on ne travaille pas plus."
Sylvain Maillard, vice-président du groupe Renaissance à l'Assembléeà franceinfo
Pour autant, les députés macronistes entendent modifier le texte du gouvernement par petites touches, via une série d'amendements. Sylvain Maillard cite les trimestres supplémentaires pour les pompiers, la possibilité pour les enseignants du premier degré de partir une fois le nombre de trimestres atteint (et non à la fin de l'année scolaire), une majoration pour le troisième enfant pour les femmes exerçant des professions libérales ou encore l'allongement du délai pour racheter ses périodes de stage.
Dans l'hémicycle, Sylvain Maillard assure que son groupe va être "très, très présent" et que "l'idée est d'être très libre, de se battre projet contre projet". Il s'attend à un débat "très dur", face à une opposition qui va "chercher la provocation". Dans son viseur notamment, La France insoumise, qui voudrait, selon lui, "bordéliser l'Assemblée nationale". "J'attends que les Français voient à quel point il n'y a aucune proposition de l'autre côté, si ce n'est des taxes et des impôts."
Si l'élu de Paris refuse de se prononcer sur le possible usage d'un nouveau 49.3, il répond volontiers sur les potentielles défections de son propre camp, alors que plusieurs élus de la majorité ont des réticences à voter ce texte. "Pas une voix de Renaissance ne manquera au texte, on s'est engagés lors de la présidentielle et des législatives. C'est important de tenir ses promesses."
Laure Lavalette (Rassemblement national) : "On va combattre pied à pied, mais sans emboliser le système"
Le groupe Rassemblement national (RN) compte 88 députés
Du côté du Rassemblement national, Laure Lavalette résume la position de son parti en une phrase : "Nous allons combattre ce texte pied à pied, amendement par amendement, mais sans emboliser le système." "C'est une réforme antisociale et injuste", poursuit l'élue du Var. Elle compte défendre la vision du RN sur les retraites : "Quand vous avez travaillé entre l'âge de 17 et 20 ans, vous devez pouvoir partir à 60 ans avec 40 annuités. Et que ce soit ensuite progressif jusqu'à 62 ans. Mais aucun Français n'ira au-delà de 42 annuités."
La porte-parole du groupe RN veut croire que le débat parlementaire permettra de convaincre les sceptiques chez LR ou dans la majorité de ne pas voter ce texte.
"J'espère que tous ceux qui sont sceptiques vont trouver le courage de voter contre et d'écouter le peuple."
Laure Lavalette, députée RNà franceinfo
Laure Lavalette met en garde l'exécutif s'il venait à dégainer un nouveau 49.3 sur ce texte. "Cela provoquerait une détestation encore plus grande d'[Emmanuel] Macron et de son gouvernement. Les Français sont à bout, il y a un cynisme à faire passer cette réforme maintenant", dénonce-t-elle.
François Ruffin (La France insoumise) : "Le gouvernement fait de la mousse, mais tant qu'il y a les 64 ans, c'est non"
Le groupe La France insoumise (LFI) compte 74 députés
Les députés LFI se veulent en première ligne de l'opposition sur ce texte. "Le gouvernement fait de la mousse avec ses mesures sur la pénibilité ou l'index seniors. Il manque juste un numéro vert", ironise François Ruffin, qui sera responsable de son groupe lors des débats. "Mais la clé, ce sont les deux ans de plus. Et tant qu'il y a cette mesure, c'est non." L'élu de la Somme conteste l'argument budgétaire de l'exécutif sur ce texte et plaide une urgence à financer d'autres chantiers comme l'école, l'hôpital ou l'adaptation au dérèglement climatique.
Français Ruffin propose, pour combler "un déficit qui n'est pas là", "l'indexation des salaires sur l'inflation", ce qui rapporterait "12 milliards pour les retraites". Il souhaite également "mettre les superprofits et les milliardaires à contribution pour financer un minimum vieillesse au-dessus du seuil de pauvreté".
Dans l'hémicycle, l'ancien journaliste promet de faire résonner les témoignages qu'il a reçus "de caristes", "de soignants", "d'auxiliaires de vie", "de caissières", "de conseillers de centres d'appels"… "Tous ceux qui vont travailler plus et que [Gérald] Darmanin insulte", selon lui. Face à ceux qui accusent LFI d'obstruction parlementaire avec ses milliers d'amendements déposés, François Ruffin rétorque que "c'est la majorité qui a fait le choix de ne pas laisser le temps au débat" avec l'article 47.1. Il promet que son groupe adaptera sa stratégie pour que les députés puissent examiner le cœur de la réforme.
"On a la possibilité, durant l'examen du texte, de retirer des milliers d'amendements pour qu'on puisse examiner l'article 7, qui contient la mesure d'âge sur les 64 ans."
François Ruffin, député LFIà franceinfo
Le fondateur du journal Fakir doute que le texte soit voté à l'Assemblée dans le temps imparti. Mais il assure que "l'essentiel, ce sont les trois millions de Français dans la rue [2,8 millions selon la CGT le 31 janvier]."
Stéphane Viry (Les Républicains) : "Le dialogue avec le gouvernement a été utile, mais l'atterrissage reste incertain"
Le groupe Les Républicains (LR) compte 62 députés
C'est incontestablement le groupe le plus difficile à lire. Si Eric Ciotti, le nouveau patron du parti, répète à l'envi qu'il veut pouvoir voter cette réforme, rien ne dit que tous les députés de son camp suivent cette ligne. "On veut une réforme des retraites car il faut en assurer un financement durable et il faut plus de justice, notamment pour les pensions trop faibles. Mais on reste un groupe d'opposition", assure le député Stéphane Viry, responsable de son groupe sur les retraites.
Il résume en une phrase la ligne de crête sur laquelle les députés LR se trouvent : "C'est 'non' pour certains collègues, sauf si, par exemple, on est certains que les 1 200 euros [de pension minimum] embarquent toutes les situations. Pour d'autres, c'est 'oui', à condition que l'on obtienne le retrait des 44 ans de cotisation [pour certaines carrières longues]." Or, même la main tendue par Elisabeth Borne dans le JDD, dimanche 5 février, pourrait ne pas suffire.
La Première ministre est favorable à l'extension du dispositif carrières longues aux personnes qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans. "Est-ce que ça va suffire à embarquer une majorité de collègues LR ? Certains ont pris acte de sa réponse mais ça me paraît incertain, assure Stéphane Viry. Il y a encore une marge à donner sur la reconnaissance des carrières longues et sur la primauté donnée aux 43 années de cotisations par rapport à l'âge."
"Je pense être l'interprète de mon groupe en disant qu'une majorité d'entre nous n'est pas convaincue."
Stéphane Viry, député LRà franceinfo
"Le dialogue avec le gouvernement a été utile, il y a eu un vrai bon travail fait par nos responsables [Olivier Marleix, président du groupe LR, et Eric Ciotti] mais l'atterrissage législatif reste incertain et imparfait", poursuit l'élu des Vosges. Ce dernier promet d'être "force de proposition", sans "rechercher le chaos ou le blocage" lors des débats.
Philippe Vigier (MoDem) : "On votera cette réforme, mais on souhaite l'améliorer"
Le groupe MoDem compte 51 députés
Allié historique d'Emmanuel Macron mais farouchement attaché à son indépendance, le groupe MoDem va voter le projet du gouvernement tout en bataillant pour imposer ses idées. "On votera cette réforme mais on souhaite l'améliorer avec les points que l'on a soulevés", assure Philippe Vigier, en charge des retraites pour son groupe.
Il cite le rapprochement des régimes spéciaux du régime général, le système de bonus-malus pour les entreprises sur l'index seniors, la clause de revoyure en 2027 ou encore des rendez-vous professionnels à 45 et 60 ans. Mais sur le cœur du projet, la mesure d'âge, le MoDem est bien sur la même longueur d'ondes que l'exécutif.
"Evidemment qu'il faut travailler plus."
Philippe Vigier, député du MoDemà franceinfo
L'élu d'Eure-et-Loir promet un débat parlementaire "projet contre projet", "argument contre argument". "C'est l'heure des vérités."
Boris Vallaud (Parti socialiste) : "L'essentiel de notre combat, c'est le refus de la retraite à 64 ans"
Le groupe Parti socialiste (PS) compte 31 députés
"Notre position est extrêmement claire : c'est le refus de la retraite à 64 ans. C'est l'essentiel de notre combat", martèle Boris Vallaud, président du groupe PS à l'Assemblée nationale. "Ensuite, on parlera des recettes et on aura l'occasion de formuler des propositions pour dire qu'il y a d'autres possibilités pour équilibrer le déficit [du régime des retraites]. Il y a des façons plus justes de le faire sans que cela soit un impôt sur la vie des gens", poursuit l'élu des Landes. Contrairement à LFI, le PS ne se place cependant pas dans une stratégie d'obstruction.
"Les amendements, c'est comme le piano : on choisira le tempo en fonction des discussions, de leur nature. On peut accélérer ou ralentir."
Boris Vallaud, président du groupe PS à l'Assembléeà franceinfo
Le patron des députés socialistes croit à "un vote possible à l'Assemblée nationale" malgré le délai de 20 jours. Il reste persuadé qu''un effort d'intelligence collectif peut mettre en échec le gouvernement".
Paul Christophe (Horizons) : "Si on a l'opportunité de voter ce texte, on le votera"
Le groupe Horizons compte 29 députés
Sans surprise, le groupe Horizons, allié de Renaissance au sein de la majorité, affiche son soutien à la réforme gouvernementale, même si quelques députés se montrent pour l'heure dubitatifs face au texte qui a été présenté. "C'est assez sain dans la vie parlementaire que l'on puisse avoir des avis différents, mais l'idée est d'atterrir sur une position commune pour assumer un vote", défend Paul Christophe, référent de son groupe sur les retraites.
"J'ai bon espoir que les évolutions du texte soient de nature à satisfaire les collègues récalcitrants."
Paul Christophe, député Horizonsà franceinfo
"C'est d'abord une réforme en responsabilité pour sauver un système qui a fait ses preuves", estime Paul Christophe. "Nous sommes pour une réforme qui préserve un système de retraite par répartition, c'est l'ambition de ce texte. Si on a l'opportunité de voter cette réforme, on la votera", assure l'élu du Nord, pour qui "les oppositions ont la main sur la capacité à ralentir ou à accélérer le débat", en fonction du nombre d'amendements qu'elles ont déposés et qu'elles pourraient retirer.
André Chassaigne (Parti communiste) : "Ce n'est pas l'opposition parlementaire qui arrivera à faire fléchir le gouvernement, mais la rue"
Le groupe Parti communiste (PCF) compte 22 députés
Si le président du groupe PCF à l'Assemblée annonce sans surprise demander "le retrait pur et simple de ce projet de loi", il veut aussi afficher sa lucidité sur l'issue du débat parlementaire. "Ce n'est pas l'opposition parlementaire qui arrivera à faire fléchir le gouvernement, mais la rue", assure André Chassaigne.
"Nous sommes les porte-voix du mouvement social à l'Assemblée. Nous n'avons pas la naïveté de penser que ce débat parlementaire fera plier le gouvernement, mais nous ferons l'exégèse de ce projet de loi."
André Chassaigne, président du groupe PCF à l'Assembléeà franceinfo
Pour ce faire, le groupe communiste a déposé "des amendements de fond" qui ne visent pas à faire de l'obstruction. Il promet aussi de "décortiquer le texte du gouvernement pour trouver des faiblesses". A l'instar de François Ruffin, il redoute lui aussi qu'il "soit impossible d'examiner le texte dans le délai imparti". "Je crains que la décision soit prise en commission mixte paritaire [qui réunit sept sénateurs et sept députés] et que ce soit 14 personnes qui règlent la question. Ce serait la cerise sur le gâteau."
Sandrine Rousseau (Europe Ecologie-Les Verts) : "Il faut leur mettre la honte de faire passer ce texte ou de le passer sans vote"
Le groupe Europe Ecologie-Les Verts (EELV) compte 22 députés
"On va s'opposer massivement au recul de l'âge de départ à la retraite. Et c'est non négociable", affirme Sandrine Rousseau, responsable du texte sur les retraites pour le groupe EELV. Elle assure que les députés écologistes se battront sur "la reconnaissance de la pénibilité", sur la question du financement – elle propose l'augmentation de 1% des cotisations patronales pour financer les retraites – mais aussi sur l'index seniors, "cette feuille de salade gadget, comme vous en avez toujours une au resto". Les écologistes veulent que cet index soit "au moins contraignant".
Eux aussi vont s'adapter en séance publique pour jouer avec leurs amendements afin de débattre de l'article 7, qui contient la fameuse mesure d'âge sur les 64 ans.
"On veut absolument un débat sur l'article 7 et la mesure d'âge. On ne peut pas débattre de la réforme sans parler d'âge."
Sandrine Rousseau, députée EELVà franceinfo
Sandrine Rousseau espère également que le débat qui s'ouvre permettra de convaincre des députés de ne pas voter ce texte, notamment au sein de la majorité. "On ira aussi les chercher en dehors de l'hémicycle", assure-t-elle. Quant aux défenseurs de la réforme, elle prévient : "Il faut leur mettre la honte de passer ce texte ou de le passer sans voter. Il faut qu'ils aillent rendre des comptes à leurs électeurs."
Bertrand Pancher (Liot) : "On rejette ce texte à cause du report de l'âge de départ"
Le groupe Liot (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) compte 20 députés
Le groupe Liot, présidé par Bertrand Pancher, et qui réunit notamment des élus ultramarins et des élus de centre-gauche et de centre-droit, affiche son opposition au texte du gouvernement. "On rejette ce texte car l'augmentation de l'âge légal de départ est une mesure disproportionnée par rapport aux enjeux", explique Bertrand Pancher.
"On va tenter de faire comprendre aux députés Renaissance qu'ils se trompent et que le président Macron avait dit le contraire lors du précédent quinquennat."
Bertrand Pancher, président du groupe Liot à l'Assembléeà franceinfo
L'élu de la Meuse dénonce aussi "un débat malheureusement tronqué". "On est dans un déni de démocratie avec cet article 47.1 dont moi-même j'ignorais quasiment l'existence", déplore-t-il. "On ne peut pas passer comme ça par dessus une opinion publique aussi hostile. On va faire comprendre qu'il y a une mobilisation dont il faut tenir compte et on les mettra en garde", poursuit Bertrand Pancher. Lui aussi compte sur la mobilisation sociale pour faire plier le gouvernement. "L'issue n'est pas écrite", conclut-il.
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