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Réforme des retraites : les réticences d'une partie de la macronie, "pas emballée" pour voter le texte du gouvernement

Plusieurs parlementaires de la majorité ont fait connaître publiquement leur intention de ne pas de voter "en l'état" le texte du gouvernement. Des prises de position qui, sans inquiéter l'exécutif, font désordre.
Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, à l'Assemblée nationale, le 24 janvier 2023. (ANDREA SAVORANI NERI / NURPHOTO)

"Le compte n'y est pas." Cette phrase n'a pas été prononcée par des membres de La France insoumise, du Parti socialiste ou même du Rassemblement national, tous opposés à la réforme des retraites, mais par des députés de la majorité. L'annonce du report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, au lieu des 65 ans promis par Emmanuel Macron et qui suscitait l'opposition de plusieurs parlementaires du camp présidentiel, n'a pas suffi à calmer la grogne en interne. Chaque jour, un nouvel élu de la majorité exprime ses réserves, voire son intention de ne pas voter le texte "en l'état".

De quoi faire le bonheur des oppositions. "Je les salue", glisse malicieusement le député LFI Alexis Corbière. "Ça peut craquer aux marges de la majorité", observe Eric Coquerel. Le président LFI de la commission des finances à l'Assemblée lie le phénomène à l'importante mobilisation du 19 janvier. "Il n'y a plus que Macron et Ciotti pour défendre cette réforme", embraye le patron des socialistes à l'Assemblée, Boris Vallaud. 

"Peut-être les députés entendent-ils mieux les Français que le gouvernement."

Boris Vallaud, président du groupe PS à l'Assemblée nationale

à franceinfo

A l'heure actuelle, ils sont une dizaine, dans la majorité, à être sortis du bois, depuis la présentation du projet de loi par Elisabeth Borne. Mais ils seraient plus nombreux à ne pas être franchement enthousiastes, à en croire un député macroniste. "Les gens ne sont pas emballés dans la majorité", souffle-t-il. Le débat parlementaire, à partir du 30 janvier en commission et du 6 février dans l'hémicycle, s'annonce décisif pour ces élus qui conditionnent leur vote à l'ajout ou à la modification de points cruciaux de la réforme.

"Ils reviendront au bercail"

De son côté, le gouvernement affiche une sérénité à toute épreuve, tout en rappelant le contrat de départ. "Ils ont pleinement le droit de faire leur travail de parlementaires, mais la réforme des retraites a été soutenue par tous durant leur campagne", rappelle l'entourage de Franck Riester, ministre des Relations avec le Parlement. En coulisses, les langues se délient pour minimiser le poids et le nombre de ces élus récalcitrants. "Ce sont des postures. Les gueulards d'aujourd'hui ne seront pas les non-votants de demain", assure une source parlementaire. "Tous ceux qui poussent chez nous vont à la limite de leur opposition, mais ils reviendront au bercail", rebondit un député de la majorité.

"Pour l'instant, on peut faire du hors-piste mais au moment crucial, tout le monde reviendra sur la piste."

Un député de la majorité

à France Télévisions

Il faut dire que le mouvement des réfractaires n'est pas très organisé. Surtout, il existe cinquante nuances de réticences à la réforme des retraites. Il y a d'abord le gang des quatre, tendance aile gauche de la macronie. Cheffe de file : l'ex-ministre Barbara Pompili, désormais députée de la Somme et présidente d'En Commun, parti affilié à la majorité présidentielle. Elle est épaulée par trois autres députées En Commun, Cécile Rihlac, Stella Dupont et Mireille Clapot. Barbara Pompili a été la première à dégainer publiquement, en affirmant le 16 janvier sur BFMTV qu'elle ne pourrait pas voter "à ce stade" la réforme, critiquant un texte "pas assez équilibré" et pointant même "des injustices sociales".

Carrières longues, jeunes, seniors, pénibilité… Ces députées ont fait part de leurs propositions afin de "continuer d'avancer pour que le texte soit votable", dixit Cécile Rihlac. Elles plaident, comme d'autres, pour revenir sur les 44 ans de cotisations qui vont toucher les personnes ayant commencé à travailler à 18 ans ou encore pour un dispositif contraignant pour les entreprises qui n'emploient pas assez de seniors. Leurs sorties publiques font tiquer les farouches défenseurs de la réforme. "Pompili, c'est un sujet de job, elle se positionne pour être ambassadrice à l'OCDE", cingle un parlementaire de la majorité. 

"Or argenté" et 63 ans

Outre ce petit groupe, il y a également quelques loups solitaires, issus de plusieurs groupes de la majorité. Patrick Vignal, député Renaissance de l'Hérault, assure le 17 janvier sur BFMTV que si le texte "n'évolue pas", il ne le votera pas. Depuis, il est invité sur tous les plateaux télévisés pour demander "un nouveau contrat social entre les actifs, les retraités et les futurs entrants". Il défend farouchement "l'or argenté", comprendre les salariés seniors et plaide pour une fiscalité avantageuse pour les entreprises qui les emploieraient. 

"Je suis très clair, je veux rester honnête : si je venais à voter contre, je quitterais le groupe Renaissance."

Patrick Vignal, député Renaissance de l'Hérault

à franceinfo

L'exécutif doit aussi composer avec un autre rebelle : Richard Ramos, député MoDem, qui lui non plus ne votera pas la réforme "en l'état". L'alerte est encore plus sérieuse du côté d'Horizons, le parti d'Edouard Philippe qui prônait pourtant un report "à 65, 66 ou 67 ans". Cinq députés du groupe à l'Assemblée, André Villiers, ​Jérémie Patrier-Leitus, Yannick Favennec, Thierry Benoit et Jean-Charles Larsonneur affichent leurs intentions de s'abstenir ou de ne pas voter le texte en l'état. Ce dernier propose, par exemple, de supprimer l'âge légal de départ pour ne garder que la durée de cotisations de 43 ans avec un mécanisme de décote ou à défaut de porter l'âge légal de départ à 63 ans. 

"La réforme du gouvernement est strictement budgétaire et manque d'ambition sur le plan sociétal. Elle est aussi assez injuste pour les femmes quand on regarde le couperet des 64 ans."

Jean-Charles Larsonneur, député Horizons

à franceinfo

S'il est conscient que l'abaissement de 64 à 63 ans ne permettrait pas de couvrir entièrement le déficit des retraites, il défend "un point d'équilibre avec les autres groupes parlementaires" et un atterrissage "assez raisonnable par rapport à l'ambiance sociale". André Villiers va même plus loin et réclame carrément la suppression de la mesure d'âge pour ne s'en tenir qu'aux 43 années de cotisations, "une question de justice sociale", dit-il. "A ce stade, le gouvernement ne bougera pas sur les 64 ans, mais il n'est pas sûr que cela tienne dans le temps", pronostique-t-il. 

"Quand on dit quelque chose, on est un frondeur"

Le gang des quatre, des loups solitaires, cinq députés Horizons... Outre ces élus très réfractaires, il y a aussi ceux qui tentent d'influencer en interne le texte à coups de petits (ou grands) pas de côté par rapport au projet gouvernemental. Le MoDem, poil à gratter de la majorité depuis la naissance du macronisme, est bien décidé à faire entendre sa petite musique. "Le MoDem, c'est leur manière d'exister", ricane un élu Renaissance, pas inquiet pour un sou. "C'est de la tactique parlementaire classique et ils font plutôt bien leur coup", observe un fin connaisseur du Parlement. 

Leur proposition – vite balayée par le gouvernement – de revenir sur les 35 heures, en augmentant la durée hebdomadaire du travail d'une demi-heure, a fait grand bruit. "On savait que ça n'allait pas passer. C'était provocateur", commente un député MoDem. Le groupe de Jean-Paul Mattei a néanmoins déposé toute une série d'amendements qui modifient sérieusement le projet du gouvernement : clause de revoyure de la réforme en 2027, système de bonus-malus sur les cotisations patronales en fonction du nombre de salariés séniors, abaissement de deux trimestres par enfant pour l'âge légal de départ en retraite des femmes…

"Bien sûr que l'on a des amicales pressions, mais on est indépendants."

Un député MoDem

à franceinfo

Un poids lourd du parti de François Bayrou assure néanmoins à France Télévisions que le MoDem "ne soutiendra aucun amendement qui déséquilibre le système". "On ne va pas non plus refaire la réforme, il faut qu'on soit solidaires", estime-t-il. De quoi rassurer le gouvernement qui devra être vigilant au sein même du parti présidentiel. 

Un groupe d'une trentaine de députés Renaissance, à l'aile gauche, s'est par ailleurs baptisé "amicale sociale" et compte aussi obtenir des avancées. Benoît Bordat, député de la Côte-d'Or, est de ceux-là. Il n'était encore pas sûr de voter le texte du gouvernement il y a quelques jours, mais la position ouverte de l'exécutif sur l'évolution du texte lors du débat parlementaire pourrait le conduire à voter pour. "Certains se sont emparés de nos prises de position pour nous qualifier de frondeurs. Quand on ne dit rien, on est des Playmobil. Quand on dit quelque chose, on est un frondeur, déplore-t-il. On fait juste notre travail." 

Il a néanmoins retiré trois amendements qu'il portait en commission sur le retour des quatre critères de pénibilité supprimés en 2017, sur l'index seniors ou sur le décalage de trois mois de la réforme. "C'était peut-être un peu osé de ma part, car en proposant ce décalage, on perd le bénéfice des économies réalisées", explique-t-il, après avoir eu un échange avec le cabinet d'Olivier Dussopt. De quoi faire sourire ce conseiller ministériel. "Comme pour tout, il faut les alimenter, les rassurer, leur donner des billes. Ils vont rentrer dans le rang", affirme-t-il. "Le risque n'est pas ce qui se passe au Parlement, mais ce qui se passe dans l'opinion", lâche celui-ci. Un œil sur la mobilisation du 31 janvier.

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