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"Les 65 ans, c'est la mèche de la poudrière sociale" : même au sein de la majorité, la réforme des retraites suscite des doutes et pas mal de regrets

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La présidente du groupe Renaissance à l'Assemblée nationale, Aurore Bergé, au micro dans l'hémicycle, le 17 octobre 2022. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Le texte qui sera officiellement présenté mardi est axé sur un recul de l'âge légal de départ à 64 ou 65 ans. Ce qui suscite des interrogations, voire des oppositions dans le camp présidentiel.

La majorité est-elle en ordre de marche pour porter la réforme des retraites  ? "Notre groupe est mobilisé et prêt", assure le député Renaissance Benjamin Haddad. L'enjeu est de taille pour le camp présidentiel puisqu'il s'agit de défendre, sans majorité absolue à l'Assemblée nationale, le texte majeur du second quinquennat Macron. Et ce, alors que l'ensemble des partenaires sociaux, la Nupes et le Rassemblement national répètent depuis plusieurs semaines leur opposition au recul de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ou 65 ans, la mesure phare de ce projet, qui sera officiellement présenté mardi 10 janvier par la Première ministre, Elisabeth Borne.

A cette hostilité syndicale et politique, il faut ajouter une opinion publique elle aussi fortement défavorable à cette réforme. "Le sujet est inflammable", souffle une députée de la majorité, quand une ministre rappelle qu'une "réforme des retraites, ce n'est jamais calme".  

Lors du premier Conseil des ministres de 2023, Elisabeth Borne a d'ailleurs demandé au gouvernement de " "résister aux vents contraires" . Mais ces vents contraires pourraient tout aussi bien souffler au sein même de sa propre majorité. Ils sont plusieurs à anticiper des "divergences", selon les mots du député MoDem Richard Ramos. "Des voix dissonantes", d'après le député Renaissance Jean-Marc Zulesi ou tout du moins "des débats", euphémise un ministre. Ce qui fait soulever quelques sourcils du côté de l'aile droite de la macronie. "Quand vous avez été élu sur le programme du président et à sa suite, c'est un peu curieux d'exprimer des réserves", estime par exemple le député Renaissance Charles Rodwell. 

"Si on maintient les 65 ans, je ne voterai pas la réforme"

Sans surprise, c'est au sein de l'aile gauche de Renaissance et du MoDem que les doutes sont les plus nombreux. "Ça se voit que les députés de la majorité, surtout ceux qui se revendiquent un peu de gauche, sont très fébriles, observe d'ailleurs un député EELV auprès de France Télévisions. Ils vont voter la réforme par devoir pour Macron, histoire de l'aider à réaffirmer son autorité perdue." Pour ces élus macronistes, le recul de l'âge légal à 65 ans, promesse du candidat Macron, est difficile à avaler. "Ça nous a coûté un certain nombre de collègues lors des législatives", soupire la députée Renaissance Cécile Rilhac. 

"J'ai toujours émis de grosses réserves sur le déplacement de l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans. C'est trop brutal. C'est un chiffon rouge."

Cécile Rilhac, députée Renaissance

à franceinfo

"Les 65 ans, ce n'est pas une mesure que je porte à titre personnel", abonde une autre de ses collègues. "Si on maintient les 65 ans, je ne voterai pas la réforme, menace même Richard Ramos. Les Français ont eu le Covid, les "gilets jaunes", la guerre en Ukraine et l'inflation. Les 65 ans, c'est la mèche de la poudrière sociale sur laquelle on est assis." Le président du groupe MoDem à l'Assemblée, Jean-Paul Mattei, est moins définitif mais il demande aussi "que l'on arrête avec le 65 ans" qui "n'est pas un totem".

Une expression reprise par Elisabeth Borne, lors de son interview sur franceinfo le 3 janvier . Selon la Première ministre, il existe " d'autres solutions qui peuvent aussi permettre d'atteindre ce qui est notre objectif  : l'équilibre de notre système de retraites à l'horizon 2030" . Doit-on y voir un abandon futur de la mesure phare d'Emmanuel Macron  ? Dans la majorité, l'idée de relever l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, couplé à une accélération de l'allongement de la durée de cotisations, fait son chemin. "64 ans, ça m'irait", glisse Richard Ramos. "C'est plus acceptable, avec les contreparties des mesures sociales", embraye Cécile Rilhac. Le député Renaissance Guillaume Gouffier-Valente y serait lui aussi "plutôt favorable", y voyant "un effort moins important" demandé aux Français. 

Les nostalgiques de la retraite à points

D'autres, moins nombreux, ne sont pas beaucoup plus enthousiastes face à l'option des 64 ans. "Les 64 ans, ce n'est pas la panacée non plus", estime une députée de la majorité. Ceux-là auraient en réalité préféré que l'on s'attaque aux nombres de trimestres cotisés plutôt qu'à l'âge. "Je fais partie de ceux qui pensaient que l'on devait réfléchir aux trimestres cotisés plutôt qu'à un âge pour mettre un âge. Mais malheureusement, on a perdu l'arbitrage", raconte Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire à l'Assemblée. En bon soldat, ce dernier promet néanmoins de défendre "le 64 ou le 65 ans". 

Un arbitrage perdu et pas mal de regrets, aussi. Plusieurs députés de la majorité sont en réalité nostalgiques du système universel de retraite, la réforme prévue lors du précédent quinquennat mais qui n'a jamais vu le jour. "Je reste dans le regret du système universel. Mais je me fais à l'idée que l'on n'a pas l'espace politique pour le faire et qu'il faudrait une majorité beaucoup plus forte à l'Assemblée et au Sénat", développe Guillaume Gouffier-Valente. "Cette réforme paraissait adaptée à notre société", ajoute Ludovic Mendès, député de Moselle. 

"La réforme universelle, c'était la réforme qu'on devait faire, elle était complète."

Ludovic Mendès, député Renaissance de Moselle

à franceinfo

"Je suis convaincu qu'il faudra arriver au système universel. Mais on n'a pas fait campagne dessus. La décision a été prise, on l'assume", tempère Lionel Causse, un autre élu du parti présidentiel.  

Quelle mesure sociale défendre ? 

La probabilité de voir ces macronistes se transformer en frondeurs est en réalité très faible. "Oui, ils ne sont pas favorables à la mesure d'âge, mais est-ce qu'ils vont pour autant mettre en danger le quinquennat du président alors que c'était dans son programme ?", interroge un conseiller ministériel. "Je ne vais pas me faire hara-kiri", confirme un député influent de la majorité, défavorable à la mesure d'âge.

Si l'ensemble des soutiens d'Emmanuel Macron devraient donc défendre le projet de réforme dans ses grandes lignes, il y aura des débats, voire des points d'achoppement, sur les mesures sociales qui accompagneront la mesure d'âge. "Je ne crois pas à des dissensions dans la majorité mais on aura un débat sur les mesures de réduction des inégalités des injustices", assure Guillaume Gouffier-Valente.

Inégalité hommes-femmes, carrières longues, travail des seniors, pénibilité, cumul emploi-retraite... Les sujets ne manquent pas. Un exemple  : la revalorisation de la pension minimale à 1  200  euros. Doit-elle concerner les retraités actuels ou seulement les futurs retraités après l'été 2023, date à laquelle doit la réforme doit entrer en application  ? Lionel Causse souhaite ardemment que cette revalorisation profite à ceux qui sont déjà à la retraite. C'était d'ailleurs une promesse de campagne d'Emmanuel Macron.

"Si les retraités d'aujourd'hui ne sont pas concernés par la revalorisation des petites pensions, on va être nombreux à grincer des dents, moi le premier."

Lionel Causse, député Renaissance

à franceinfo

Lionel Causse pourrait ne pas être entendu. " Ma priorité,  c'est que ce sont les actifs qui vont devoir travailler un peu plus longtemps qui bénéficient de cette revalorisation",  a annoncé Elisabeth Borne sur franceinfo. "On n'est pas en capacité de financer cette mesure", reconnaît Guillaume Gouffier-Valente.  Ce dernier plaide pour des mesures de réduction des inégalités hommes-femmes et pour travailler sur la pénibilité.

Plusieurs élus, sous la houlette du député Sylvain Maillard, planchent sur les mesures que défendra Renaissance au Palais-Bourbon. La patronne des députés macronistes, Aurore Bergé, doit faire connaître ce week-end la position officielle du groupe à l'Assemblée. Reste à embarquer également les autres alliés de la majorité, qui comptent bien faire entendre leur voix. "On proposera des amendements", promet le président du groupe MoDem, Jean-Paul Mattei. Qui ajoute en forme de clin d'œil  : "Un député se doit d'être un poil à gratter". Voilà le gouvernement prévenu. 

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