Inflation, système de santé, réforme des retraites... Sur fond de "climat très morose", les dossiers brûlants qui attendent le gouvernement en 2023
"Ça sent la rentrée polémique", glisse un député écologiste auprès de France Télévisions. Sur le plan politique, ce début d'année 2023 s'annonce très tendu pour l'exécutif. "Le prisme principal, c'est celui de l'angoisse et de l'inquiétude. Le climat est très morose", analyse Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof. Pour le politologue, la principale difficulté de l'exécutif tient au fait que celui-ci est confronté à un enchevêtrement de crises successives. "Le rôle de gestionnaire de crises est devenu consubstantiel à Emmanuel Macron. Les gens lui reconnaissent ce rôle-là mais cela ne dresse pas pour autant une perspective lisible. L'exécutif ne donne pas de projet pour ce second mandat", développe Bruno Cautrès.
>> Retrouverez l'interview de la Première ministre, Elisabeth Borne, dans la matinale de franceinfo.
Crise de l'énergie, inflation galopante... C'est dans un contexte économique et social difficile que le gouvernement va s'attaquer à la très controversée réforme des retraites et à l'épineux projet de loi sur l'immigration. "Au fil de ces saisons de dangers, ce qui est demeuré constant, encore cette année, c'est notre capacité à relever ensemble ces défis", a tenu à rappeler le président de la République lors de ses vœux aux Français, samedi 31 décembre. Franceinfo se penche sur les dossiers brûlants qui attendent l'exécutif dès janvier.
La crise énergétique et l'inflation : "Ça va faire mal"
Un conseiller ministériel en convient : les dossiers de l'énergie et de l'inflation sont bien "les plus chauds" pour le gouvernement, car ces sujets "touchent la vie des Français". Or la crise énergétique et la hausse des prix, conséquences de la guerre en Ukraine, devraient se poursuivre en 2023. Les prix de l'énergie, dont la hausse s'est étendue à ceux de production des autres secteurs, notamment l'industrie alimentaire, continueront à contribuer à l'inflation, avec la hausse programmée de 15% des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité et la fin de la ristourne généralisée à la pompe. Selon l'Insee, l'inflation devrait atteindre un pic de 7% sur un an en janvier et février.
Si le gouvernement a prévu plusieurs dispositifs pour alléger les factures des Français, comme le chèque énergie ou l'indemnité carburant de 100 euros pour les travailleurs les plus modestes, les précédents mécanismes mis en place étaient plus protecteurs.
"L'argent magique, c'est fini. On ne peut pas aider tout le monde."
Une ministreà France Télévisions
Mais, dans les couloirs des ministères, on s'en inquiète. "C'est sur les factures que ça va faire mal. Si des restaurateurs, commerces, PME, commencent à fermer à cause de la crise énergétique, ça va être explosif, s'alarme un conseiller. Si l'énergie pousse des gens à mettre la clé sous la porte, le gouvernement devra passer à la caisse. Le quoi qu'il en coûte deviendra le quoi qu'il en chauffe." Or, c'est déjà la réalité de nombre d'artisans, au premier rang desquels les boulangers ou les bouchers, dont certains sont contraints de baisser le rideau.
Les potentielles coupures d'électricité : un risque moins élevé
Autre sujet majeur : les risques de coupures d'électricité cet hiver. Au grand soulagement du gouvernement, le scénario du pire semble s'être quelque peu éloigné. Le 20 décembre, RTE a ainsi abaissé de "élevé" à "moyen" le niveau de risque de tensions sur le réseau électrique, au moins jusqu'à la mi-janvier. Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité devra-t-il actionner le signal "Ecowatt rouge", voire procéder à des coupures ciblées ? "La France aborde le cœur de l'hiver dans une situation plus favorable qu'au début de l'automne, et mieux préparée à faire face aux situations de tension", assure RTE. Le risque pour la sécurité d'approvisionnement en électricité ne peut cependant pas être exclu "en cas de conditions météorologiques très défavorables", nuance le gestionnaire.
Pour y faire face, le gouvernement a envoyé début décembre aux préfets une circulaire détaillant précisément ce qu'il adviendrait en cas de coupures de courant. Un document très commenté pour ses conséquences majeures sur le quotidien des Français, mais dont le traitement médiatique a agacé dans les rangs de la majorité. "Il y a eu un emballement médiatique sur les délestages, estime la députée Renaissance Prisca Thevenot. Où avons-nous annoncé qu'il y aurait des coupures de courant imminentes ? C'est seulement une anticipation de quelque chose qui pourrait arriver".
La réforme des retraites : la grande "inconnue"
Avortée lors du premier quinquennat Macron du fait de la pandémie de Covid-19, la réforme du système de retraites, chère à Emmanuel Macron, refait son apparition en ce début d'année. Elisabeth Borne, après plusieurs semaines de concertations, doit détailler la réforme le 10 janvier. Sur la table, notamment : le relèvement de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 65 ans d'ici à 2031. Une promesse de campagne du chef de l'Etat mais une mesure à laquelle les Français sont pourtant opposés à 67%, selon un sondage Odoxa pour Public Sénat.
Tous les instituts de sondage témoignent d'ailleurs de l'hostilité de l'opinion publique à cette réforme. L'exécutif doit-il craindre une mobilisation d'ampleur, comme cela avait été le cas sous Edouard Philippe ? "Ce projet n'est pas soutenu", veut croire une cadre de la Nupes.
"Il y aura, j'espère, beaucoup de monde dans la rue."
Une cadre de la Nupesà France Télévisions
Dans la majorité, on tente au contraire de se rassurer. "L'inconnue, c'est les retraites. Cette réforme reste un objet technique moins concret que l'énergie ou l'essence. Il y aura une mobilisation syndicale mais pas de gilet-jaunisation", veut croire un conseiller ministériel, tandis qu'un autre pressent que "les Français ne vont pas se mobiliser contre la réforme des retraites".
Sur le plan institutionnel, le gouvernement va devoir s'atteler à faire passer cette réforme au Parlement, dans un contexte de majorité relative. Et s'il dispose de l'arme du 49.3, l'exécutif souhaiterait bien s'en passer. "C'est indéfendable politiquement de faire passer la réforme des retraites via un 49.3, ce serait un échec absolu", tranche un député Renaissance.
Or, l'équation s'avère complexe pour réunir une majorité sur ce texte. Les députés LR, qui auraient pu jouer le rôle d'appoint des macronistes, sont profondément divisés sur le sujet. Et même dans la majorité, des voix discordantes se font entendre concernant le report de l'âge légal à 65 ans. "Je suis favorable à l'allongement de la durée de cotisation, plutôt qu'à un relèvement de l'âge", confie une députée de l'aile gauche de la majorité. Idem pour Jean-Paul Mattei, président du groupe MoDem à l'Assemblée nationale, qui regrette aussi la retraite à points, abandonnée lors du précédent quinquennat.
"Qu'on arrête avec les 65 ans, ce n'est pas un totem !"
Jean-Paul Mattei, président du groupe MoDem à l'Assembléeà franceinfo
Le projet de loi immigration : "Le débat dangereux"
"Tout est sensible sur ce sujet", résume une députée macroniste. L'un de ses collègues prévient : "L'immigration, c'est le débat dangereux". L'année 2023 doit ainsi être marquée par un nouveau texte sur l'immigration. Le projet de loi doit être présenté en janvier en Conseil des ministres par Gérald Darmanin et Olivier Dussopt, avant d'arriver quelques semaines plus tard au Sénat, puis à l'Assemblée nationale en avril.
Le 20 décembre, les ministres de l'Intérieur et du Travail ont détaillé, dans Le Figaro, les principales mesures retenues. Le gouvernement dit vouloir défendre un équilibre entre expulsions et intégration au travers de deux mesures phares : la délivrance d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) dès le rejet d'une demande d'asile en première instance et la création d'un titre de séjour "métiers en tension", qui permettrait à des étrangers sans papiers de travailler dans les secteurs qui manquent de main-d'œuvre.
Du "en même temps", synthétise un député Renaissance. De quoi permettre de "faire atterrir le texte côté majo", décrypte un autre élu de la majorité. Du côté des oppositions, on fustige le texte, pour des raisons différentes. Ce texte "ne servira encore une fois à rien" pour Marine Le Pen, et fait "la courte échelle à l'extrême droite" selon Mathilde Panot (LFI). La droite, elle, est vent debout contre le titre de séjour pour les métiers en tension. Bref, "politiquement, c'est casse-gueule", résume Jean-Paul Mattei.
Santé : un plan pour sauver un système "à bout de souffle"
Des urgences débordées, des médecins libéraux en grève, un manque criant de soignants à l'hôpital comme en ville... L'année 2022 s'est achevée dans une tension extrême pour le système de santé, en voie de "déliquescence" selon des professionnels. Ces derniers attendent la "refondation" promise par le gouvernement. La santé est d'ailleurs l'un des deux piliers du Conseil national de la refondation (CNR) voulu par Emmanuel Macron.
A son arrivée au ministère de la Santé début juillet, François Braun évoquait un "système de santé à bout de souffle". Six mois plus tard, l'offre de soins paraît encore plus mal en point. Une triple épidémie hivernale s'est abattue sur un dispositif déjà exsangue en raison d'un manque structurel de soignants, malgré les milliards d'euros déversés depuis 2020 dans le cadre du Ségur de la santé pour renforcer l'attractivité du secteur.
Autre difficulté pour le gouvernement : la grève des médecins généralistes, entamée le 26 décembre et reconduite jusqu'au 8 janvier. Ils réclament une hausse du tarif de consultation (de 25 à 50 euros) et une amélioration de leurs conditions d'exercice.
Pour tenter de répondre à cette crise du système de santé, Emmanuel Macron va prononcer un discours solennel vendredi 6 janvier sur ce thème, a annoncé l'Elysée à France Télévisions, confirmant une information du Parisien. Un plan santé doit ensuite être présenté courant janvier par le ministre.
Fin de vie : "Le débat sera passionné et médiatique"
Du côté des réformes sociétales, le débat sur la fin de vie marquera à coup sûr l'année 2023. La Convention citoyenne, voulue par Emmanuel Macron, va entrer dans le vif du sujet en examinant, en ce mois de janvier, dix "enjeux prioritaires", dont la question des "formes extrêmes de souffrance psychique". Ces quelque 200 Français tirés au sort, réunis au Conseil économique social et environnemental (Cese), devront dire en mars s'il faut changer ou non la loi actuelle, sans garantie d'être suivis.
En parallèle, une mission d'évaluation parlementaire de la loi actuelle (appelée Claeys-Leonetti) est en cours à l'Assemblée nationale. Les députés espèrent justement un débat apaisé sur cette question. "C'est l'exemple parfait (de sujet) où la teneur des débats doit être à la hauteur", assure une députée Renaissance.
Mais, preuve de la sensibilité du sujet, justement, il a été demandé aux membres du gouvernement de ne pas donner leur avis publiquement "pour ne pas biaiser, polluer" le débat, rapporte une ministre auprès de France Télévisions. "Le débat sur la fin de vie sera passionné et médiatique, et va embarquer les Français sur un sujet de société universel, prédit un conseiller ministériel. Le signal faible, c'est comment les représentants religieux et, disons, les croyants un peu zélés vont accepter ou perturber ce débat."
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