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Crise énergétique : comment l'exécutif a été dépassé par sa communication sur les possibles coupures de courant

Craintes pour les patients à domicile, inquiétudes de nombreux secteurs économiques, critiques de l'opposition… Les directives envoyées aux préfets par le gouvernement ont suscité beaucoup de préoccupations ces derniers jours.
Article rédigé par franceinfo
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Emmanuel Macron à Aix-en-Provence le 5 décembre 2022. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

Préparer la France à d'éventuelles coupures d'électricité, sans créer la panique. Depuis l'annonce, il y a une semaine, des mesures d'urgence pour faire face à de potentielles interruptions de courant, le gouvernement doit répondre à de nombreuses inquiétudes. La guerre en Ukraine et les problèmes de maintenance sur le parc nucléaire français augurent en effet des difficultés d'approvisionnement en électricité pour l'hiver.

Si toutes les mesures annoncées s'avéraient insuffisantes, l'Etat pourrait procéder à des "délestages tournants", des interruptions de courant de deux heures maximum, aux périodes de la journée les plus tendues sur le réseau électrique. Face aux inquiétudes, le gouvernement cherche désormais à rassurer. Retour sur une semaine de communication politique mouvementée. 

Acte 1 : le gouvernement dévoile ses directives en cas de coupures

Après les apparitions en col roulé de Bruno Le Maire ou en doudoune d'Elisabeth Borne, le gouvernement entre dans les détails de son plan de crise. Le 1er décembre, des directives précises sont envoyées aux préfets pour se préparer à de possibles coupures d'électricité hivernales. Ces instructions sont dévoilées à la presse, y compris à franceinfo. Dans ce scénario de "délestages", considéré comme celui du pire par le gouvernement, les services de l'Etat pourraient être appelés à fermer des écoles le matin, si elles ne peuvent pas être chauffées ; à annuler certains trains pour éviter qu'ils ne restent bloqués sur les voies, si les panneaux de signalisation s'éteignent. Les Français seraient appelés à éviter de prendre leur voiture, en cas d'extinction de feux de signalisation sur la route.

"Nous ne sommes pas en train d'annoncer aux Français qu'il y aura des coupures", tente déjà de rassurer sur BFMTV le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, qui n'a pas oublié les procès en impréparation au début de la pandémie de Covid-19. 

Acte 2 : "Pas de panique", tempère Emmanuel Macron

Rassurer à tout prix. Sur TF1, le 3 décembre, en marge de son déplacement aux Etats-Unis, Emmanuel Macron affirme que le gouvernement communique simplement sur "un cas extrême", qu'il est "normal" de préparer, "parce que parfois l'impensable arrive". Le chef de l'Etat insiste à nouveau sur la nécessité de respecter le plan de sobriété, "c'est-à-dire de réduire d'environ 10% [les consommations d'énergie] par rapport à notre consommation habituelle", pour éviter les mesures de délestage. "Pas de panique", lance-t-il.

Acte 3 : grande distribution, agriculteurs, opérateurs téléphoniques et secours s'inquiètent

Dès l'annonce de ces dispositions, et en dépit des messages rassurants du chef de l'Etat, de nombreux secteurs font part de leur préoccupation. L'opérateur Orange redoutait déjà des coupures du réseau mobile et pointait le risque de difficultés d'accès aux numéros d'urgence. Cela constituerait "une vraie prise de risque, voire une perte de chance" pour les patients, alerte désormais le Samu. Les territoires ruraux considèrent qu'ils pourraient être "les plus impactés", déplore Michel Fournier, président de l'Association des maires ruraux de France. La grande distribution s'inquiète, elle, de la perte de produits frais. Les agriculteurs se font du souci pour la sécurité de leurs bêtes sans ventilation et les vétérinaires pour les "pertes de chance" des animaux.

Acte 4 : Enedis affirme que les patients à haut risque ne seront pas prioritaires en cas de coupure

Une déclaration du porte-parole d'Enedis alarme l'opinion publique et agace l'exécutif. Sur BFMTV, le 5 décembre, le représentant du distributeur d'électricité déclare : "Les personnes qui sont à haut risque vital ne font pas partie des clients prioritaires définis par les préfectures." Laurent Méric explique que le courant pourrait être coupé chez ces particuliers. "On a une attention particulière à leur égard, ils ont un numéro de téléphone dédié", complète-t-il tout de même. 

Acte 5 : l'opposition critique le plan du gouvernement

L'opposition se saisit immédiatement de ces propos. "Les gens qui sont sous respirateurs artificiels et dont la vie est mise en cause par leur arrêt ne sont pas prioritaires pour le gouvernement", attaque Marine Le Pen à l'Assemblée nationale le 6 décembre. La députée écologiste Sandrine Rousseau remet en cause le plan d'urgence du gouvernement. "Est-ce qu'on a besoin de garder des infrastructures extrêmement consommatrices comme les aéroports de manière prioritaire ? Moi, je dis non", juge-t-elle sur BFMTV. Pour l'élue écologiste, il faudrait plutôt "garder les écoles ouvertes". 

Acte 6 : Emmanuel Macron fustige les "scénarios de la peur"

En déplacement en Albanie, le 6 décembre, le président est interrogé sur les possibilités de délestages. "Ce débat est absurde, le rôle des autorités publiques n'est pas de transmettre la peur", déclare Emmanuel Macron, faisant référence aux propos "entendus ces dernières heures". "Nous sommes un grand pays, nous avons un grand modèle énergétique, nous allons tenir cet hiver malgré la guerre", martèle-t-il, dénonçant "les scénarios de la peur".

Une des proches du chef de l'Etat assure à franceinfo qu'il est "sorti de ses gonds" en prenant connaissance des déclarations du porte-parole d'Enedis. "Le travail d'EDF, c'est de faire tourner les centrales, le travail du gouvernement, c'est qu'il y ait une planification, le travail de tout le monde, c'est qu'on déroule la sobriété", ajoute Emmanuel Macron.

Elisabeth Borne, elle aussi, s'emporte. Devant l'Assemblée nationale, la Première ministre rejette les "propos maladroits" du porte-parole d'Enedis et assure "que les personnes malades à domicile seront toujours prises en charge"

Acte 7 : au sein de la majorité, un député reconnaît un "cafouillage"

A l'Assemblée nationale, l'élu écologiste Benjamin Lucas dénonce "la communication à outrance" du gouvernement. "Envoyer des ministres parler des coupures, faire paniquer les gens pour après apparaître comme celui qui rassure, ce n'est pas sérieux", pointe-t-il. Le gouvernement "nous angoisse", renchérit le député socialiste Olivier Faure, le 7 décembre, sur franceinfo. 

La multiplication des interventions a fini par avoir un effet contraire à celui qu'escomptaient les stratèges du gouvernement. Un député de la majorité reconnaît auprès de franceinfo un "cafouillage" de communication. Mais il déplore : "On est en train d'anticiper et on nous fait un procès comme s'il y avait déjà des coupures."

"La difficulté, c'est que le message 'on est prêts en cas de délestage' s'est transformé en 'ça va arriver'", décrypte Christian Delporte, spécialiste de la communication politique, auprès de l'AFP. "Au lieu de rassurer, ça devient anxiogène."

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