Réforme des retraites : que réclament les partis politiques à François Bayrou avant sa déclaration de politique générale ?

L'équation est toujours aussi délicate pour François Bayrou. Le Premier ministre mène des tractations sur la réforme des retraites avec la gauche non mélenchoniste, tout en essayant de ne pas braquer ses alliés LR et même macronistes.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, quitte Matignon après avoir rencontré François Bayrou, le 16 décembre 2024. (YOAN VALAT / EPA / MAXPPP)

Au cœur des discussions, encore et toujours, la réforme des retraites. Malgré plusieurs heures d'échanges entre le gouvernement et le Parti socialiste (PS), les négociations pour trouver un accord de non-censure ont achoppé, alors que François Bayrou prononce sa déclaration de politique générale mardi 14 janvier à l'Assemblée nationale, à partir de 15 heures. Trouver un accord sur la réforme des retraites adoptée en 2023 pourrait permettre au Premier ministre de s'assurer un soutien plus confortable et d'éviter la censure lors de la présentation du budget.

Mais la marge de manœuvre de François Bayrou, qui n'a pas affiché publiquement sa position sur la réforme des retraites, est étroite, tant le sujet suscite encore des crispations. Suspension, gel ou pause ? Le vocabulaire utilisé par le Premier ministre, qui a rédigé son discours "du premier au dernier mot", sera scruté de près. Selon les informations de franceinfo et de France Télévisions, il ne devrait pas prononcer de "suspension" ni d'"abrogation" de la réforme, mais pourrait annoncer des discussions avec les partenaires sociaux.

A gauche, la suspension de la réforme avant tout

Partisans sur le fond d'une abrogation pure et simple de la réforme des retraites, socialistes, écologistes et communistes demandent, a minima, la suspension de cette loi portée par Elisabeth Borne en 2023. Les socialistes réclament que cette suspension soit effective dès le début de la renégociation de la réforme envisagée pour six mois avec les partenaires sociaux, et non pas uniquement en cas de succès de celle-ci. Si cette pause était techniquement réalisable, cela signifierait que les personnes nées en 1963 pourraient partir à 62 ans et 6 mois (avec une durée de cotisation de 42 ans et un trimestre) au lieu de 62 ans et 9 mois (avec une durée de 42,5 ans).

Toute la journée de lundi, l'exécutif a multiplié les pourparlers avec cette partie de la gauche, sans La France insoumise, qui refuse de négocier avec le gouvernement et déposera une motion de censure après le discours de François Bayrou. Une délégation emmenée par le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a d'abord été reçue par la ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, le ministre de l'Economie, Eric Lombard, et la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, puis deux heures durant par François Bayrou à Matignon en début de soirée.

"Ils donnent l'impression de se démener, mais à la fin c'est maigre", a résumé auprès de l'AFP la patronne des écologistes, Marine Tondelier, qui a, pour sa part, échangé par téléphone avec ces trois ministres. De son côté, le secrétaire national du Parti communiste français, Fabien Roussel, a réclamé, mardi matin sur LCI(Nouvelle fenêtre), "du concret", donc "un calendrier le plus resserré possible pour que l'on puisse annoncer à des salariés qu'ils pourront partir en retraite dans six, sept, huit mois".

Olivier Faure a finalement déclaré avoir fait une proposition de compromis dans la nuit de lundi à mardi à François Bayrou. Mardi matin, le premier secrétaire du PS a ainsi jugé "un accord possible" dans "quelques heures" sur la question du budget, et notamment la réforme des retraites. "Je pense que nous pouvons conclure", a estimé le député socialiste sur RMC-BFMTV(Nouvelle fenêtre), à propos de cette "proposition" qu'il se refuse à "dévoiler". "Si le Premier ministre l'accepte définitivement, c'est à lui de l'annoncer", a déclaré Olivier Faure. Revoir l'âge de départ fixé à 64 ans par la loi de 2023, "à moyen terme, c'est 15 milliards [d'euros] à trouver par an", donc "on discute, on montre qu'existent d'autres modes de financement", a-t-il expliqué.

Pour la droite, une suspension serait un point de non-retour

La droite tente de peser dans ces tractations : les ministres issus des Républicains (LR) menacent de quitter le gouvernement si François Bayrou fait trop de concessions à la gauche. C'est le président du Sénat, Gérard Larcher, qui a donné le ton dans Le Parisien, samedi. "Ni suspension, ni abrogation !", a lancé le sénateur LR des Yvelines. Le lendemain, dans le même journal, le patron des députés LR, Laurent Wauquiez, a estimé que "suspendre sans scénario alternatif" reviendrait à "sauter dans le vide sans parachute". "Ce sera sans la Droite républicaine !", a-t-il mis en garde.

Une expression reprise en partie par le député du Val-de-Marne Vincent Jeanbrun lundi sur Public Sénat(Nouvelle fenêtre) : "On est encore dans la phase de discussion et on pèse très fort sur une idée simple : on ne peut pas sauter dans l'inconnu." Vincent Jeanbrun est favorable à la reprise des discussions sur la réforme des retraites, "mais sans suspendre". Car pour les poids lourds du parti de droite, la suspension – et a fortiori l'abrogation – constituerait un point de rupture. La présidente LR de la région Ile-de-France y voit "le triomphe de la démagogie et de l'irresponsabilité". "Dans ces conditions surtout, la droite ne peut plus participer à ce gouvernement, parce que c'est un gouvernement qui irait contre les valeurs qu'elle porte", a déclaré Valérie Pécresse lundi sur France Inter.

Une façon de dire que Bruno Retailleau pourrait quitter le ministère de l'Intérieur ? L'intéressé n'a rien dit sur ce point. Mais il s'est prononcé sur le fond. "C'est une réforme qui est systémique, et si, demain, on atteignait le cœur du réacteur en termes de rendement budgétaire de cette réforme, alors on mettrait la France, pour le plaisir de la gauche, en danger, notamment budgétaire et financier", a-t-il averti lundi soir.

Dans le camp présidentiel, un sujet de division

Les macronistes ne sont pas unanimes sur une éventuelle suspension de la réforme. Certains semblent prêts à l'accepter, afin de parvenir à une stabilité politique, à l'instar de Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale et députée du groupe Ensemble pour la République. Dimanche, elle a affirmé, dans l'émission "Questions politiques" sur France Inter et franceinfo, "ne pas être opposée par principe" au fait d'"arrêter" brièvement la réforme des retraites pour en "rediscuter".

D'autres s'y opposent, faisant valoir le coût de cette décision, estimé par le gouvernement autour de 500 millions d'euros pour la seule année 2025. "Suspendre, c'est abroger, il faut arrêter de jouer sur les mots", a prévenu le député macroniste du Val-de-Marne Mathieu Lefevre, lundi matin sur RMC(Nouvelle fenêtre). "On ne peut pas se permettre de détricoter la réforme des retraites", a estimé le parlementaire, qui ne souhaite pas "revenir sur cette réforme courageuse".

Allié du camp présidentiel, l'ancien Premier ministre (Horizons) Edouard Philippe a aussi exprimé ses réticences. "Ça n'est jamais mauvais de discuter (...) Mais revenir en arrière, perdre du temps [et] placer la France dans une situation financière plus critique me paraît une mauvaise idée", a-t-il mis en garde, lundi, en marge d'un déplacement du ministre de l'Intérieur dans sa ville du Havre (Seine-Maritime).

Le RN, favorable à la suspension mais en retrait des négociations

Le Rassemblement national (RN) n'est pas en position centrale pour ces tractations : les ministres Eric Lombard et Amélie de Montchalin ont bien reçu les députés RN Sébastien Chenu et Jean-Philippe Tanguy pendant une heure environ vendredi, mais sur la question du budget. "On reste un peu sur notre faim sur ces échanges avec les ministres, on ne voit pas bien où ils veulent aller", a déclaré à l'issue de la rencontre le vice-président du RN Sébastien Chenu.

Néanmoins, le parti d'extrême droite continue d'afficher son opposition à la réforme des retraites et ne croit pas à une suspension, n'hésitant pas à parler "d'escroquerie politique". "Les groupes socialistes, écolos et communistes (…) sont prêts à se faire acheter avec n'importe quelle promesse, a lancé Jean-Philippe Tanguy. Prétendre qu'on peut garantir une retraite à 62 ans sans effort budgétaire ailleurs, c’est une mystification." Laure Lavalette a enfoncé le clou lundi : la députée RN parie que François Bayrou ne reviendra pas sur les 64 ans et que les Français "devront attendre Marine Le Pen en 2027 pour (…) abroger cette réforme".

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