"C'est lui qui rédige du premier au dernier mot" : dans les coulisses de la déclaration de politique générale de François Bayrou

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le Premier ministre, François Bayrou, à l'Elysée, le 8 janvier 2025. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Le Premier ministre délivre sa feuille de route aux Français, mardi, devant la représentation nationale. Un exercice institutionnel classique, mais qui s'inscrit dans un contexte politique inédit.

Ce sera un discours "capital et très important pour lui", à en croire un de ses proches. "Il est concentré et serein", assure de son côté Matignon. Mardi 14 janvier à 15 heures, François Bayrou montera à la tribune de l'Assemblée pour prononcer sa déclaration de politique générale. Cet exercice traditionnel, bien que non inscrit dans la Constitution, reste le passage obligé de tout nouveau Premier ministre.

Le Béarnais, nommé il y a un mois à Matignon, va néanmoins délivrer sa feuille de route dans un contexte politique inédit. Il se trouve en effet face à un Palais-Bourbon divisé en trois blocs et qui a censuré le précédent chef du gouvernement, Michel Barnier. En outre, ce discours est prononcé dans un contexte d'urgence budgétaire, alors que la France n'a toujours pas voté de projet de loi de finances pour 2025

Que va alors dire le Premier ministre à la représentation nationale, mais aussi aux Français ? "Rien ne filtre", confie Marina Ferrari, ex-ministre MoDem. Son ancienne collègue à la Santé, Geneviève Darrieussecq, figure importante du parti centriste, "n'a échangé avec personne" depuis son départ du gouvernement. "Je ne vais pas faire le siège de Matignon pour savoir où ils en sont", sourit la députée landaise. De nombreux proches de François Bayrou, qui ne se trouvent pas au gouvernement ou au sein de son cabinet, assurent ne pas avoir eu de discussion avec le Palois depuis sa nomination. Fidèle à sa réputation de grand taiseux, François Bayrou n'a rien dévoilé de son discours. 

Le "commando" de François Bayrou

Il a en revanche beaucoup consulté les forces politiques, ses soutiens comme l'opposition, mais aussi les organisations syndicales et économiques. Ces rencontres ont "inspiré" l'écriture de son discours, "commencée juste après sa nomination", livre Matignon à France Télévisions. "En homme de lettres, François Bayrou est très attaché à sa déclaration de politique générale", poursuit la même source. L'ancien professeur n'a, à cette heure, pas de plume. "Il écrit lui-même son discours et il prend son temps, assure un proche. Il est normal qu'il le réserve aux parlementaires."  

"C'est lui qui rédige du premier au dernier mot", confirme également le député MoDem Cyrille Isaac-Sibille. François Bayrou peut aussi compter, pour l'aider dans cette tâche, sur "une petite équipe" qui fonctionne en "mode commando", selon le même parlementaire. Il y a Eric Thiers, l'ancien "conseiller institutions" d'Emmanuel Macron, désormais conseiller spécial du maire de Pau (Pyrénées-Atlantique), mais aussi Séverine de Compreignac, ex-secrétaire général du groupe MoDem, nommée conseillère parlementaire à Matignon. François Bayrou s'appuie aussi sur Marc Fesneau, le patron du groupe MoDem à l'Assemblée nationale. "Ils se parlent tous les jours", affirme l'entourage de l'élu du Loir-et-Cher. 

"Marc Fesneau informe au fil de l'eau François Bayrou de ce qu'il perçoit et entend, de ses échanges, notamment avec d'autres parlementaires d'autres groupes."

L'entourage du président du groupe MoDem

à franceinfo

Au menu des discussions entre les deux hommes : le budget, les sujets sociaux mais aussi institutionnels qui devraient tous figurer dans le discours mardi. François Bayrou échange aussi "en permanence" avec Patrick Mignola. Ancien président du groupe MoDem, battu par un candidat LFI aux législatives de 2022, cet autre proche du chef du gouvernement a été nommé ministre des Relations avec le Parlement. "Il est associé de près au discours de politique générale et fait à François Bayrou des comptes-rendus réguliers des échanges qu'il a avec les présidents de groupe", livre l'entourage du ministre. 

La "liste de courses" des ministères

Pour construire son discours, le Palois s'est aussi nourri des notes que peuvent lui envoyer ses ministres. Mais contrairement à Michel Barnier, qui avait organisé, en amont de son discours de politique générale, un séminaire avec son équipe où chacun devait venir avec des propositions, rien n'est ici formalisé. "Les ministres qui veulent faire remonter des points peuvent le faire, glisse un conseiller ministériel. Ce n'est pas tant une commande qu'une invitation à être proactif". "Chacun y va de sa liste de courses dans les ministères", se gausse un centriste. 

A Bercy, les ministres de l'Economie et du Budget, Eric Lombard et Amélie de Montchalin, ont remis, samedi, à François Bayrou une synthèse des échanges qu'ils ont eus durant plusieurs jours avec les forces politiques, notamment la gauche, sur le projet de loi de finances. La réforme des retraites, dont la gauche réclame l'abrogation ou a minima la suspension, se trouve au cœur de la discussion. De son côté, le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, s'est lui entretenu, le 6 janvier, avec François Bayrou pour parler précisément de l'articulation de son périmètre. 

Aurore Bergé, la ministre de l'Egalité entre les femmes et les hommes, a, elle, transmis une note, le 9 janvier, autour de deux grandes priorités, explique son cabinet. D'une part la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences intrafamiliales, "pour mieux les prévenir et les appréhender, les violences sexuelles dans l'après-Mazan". D'autre part, "la lutte contre l'antisémitisme du quotidien" : "S'il faut adapter la loi pour se donner les moyens de mieux punir l'antisémitisme dans ses formes nouvelles, nous le ferons", ajoute-t-on de même source.

Ce sujet sera-t-il évoqué par François Bayrou ? Nul ne le sait. D'autres préfèrent jouer la prudence. Ainsi, Laurent Saint-Martin, ministre chargé du Commerce extérieur et des Français de l'étranger, a bien fait passer une note mais son entourage n'en précisera pas le contenu, et ce, "pour un meilleur gage de réussite". "Nous avions fait passer deux idées au président de la République pour son discours aux ambassadeurs(Nouvelle fenêtre) et elles ont été reprises", expliquent l'équipe de l'ancien ministre du Budget au sein du gouvernement Barnier.

Le défi politique

Dans l'hémicycle, François Bayrou s'adressera autant aux députés qu'à l'opinion publique. "Les Français ont besoin d'être rassurés, ils en ont ras la casquette de la politique, ils attendent un cadre général, une perspective", estime Marina Ferrari. Mais, pour voir loin, le Béarnais va devoir faire mieux que son prédécesseur, désormais détenteur du record du plus éphémère Premier ministre de la Ve République. Cela demande de trouver des compromis au Palais-Bourbon. "Il a un positionnement central, avec des relais à gauche et à droite et des positions équilibrées", vante Geneviève Darrieussecq.

Depuis sa nomination, le maire de Pau s'est attaché à montrer qu'il respectait toutes les composantes de l'Assemblée. "Je suis un partisan acharné du pluralisme politique", avait-il lancé aux députés, seul sur les bancs, avant la nomination de son gouvernement, le 17 décembre. "Je ne fais pas de différence entre les députés", avait-il encore promis, dans un message clair adressé au Rassemblement national, qui a voté la censure contre Michel Barnier. 

"Il faut envoyer un vrai message politique aux députés en disant que le pouvoir est à l'Assemblée nationale."

Un proche de François Bayrou

à franceinfo

 

"C'est dans son ADN aussi : toujours trouver le plus grand dénominateur commun. Il veut être le réconciliateur", poursuit ce même proche. "Dans son parcours politique, il a toujours prôné la recherche du compromis, appuie Marina Ferrari. Va-t-il y arriver ? Je n'ai pas de boule de cristal."

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