Récit "C'est déjà la débandade" : les débuts compliqués de François Bayrou à Matignon, entre crise à Mayotte et formation du gouvernement

Confronté à la situation à Mayotte après les ravages du cyclone Chido, le nouveau Premier ministre a connu plusieurs couacs en cinq jours. Le Béarnais, qui assume sa stratégie et ses positions, peine par ailleurs à composer son gouvernement.
Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Le Premier ministre, François Bayrou, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 17 décembre 2024. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)

"Les échos sont catastrophiques, sur tous les bancs." Voilà ainsi résumé, par un collaborateur macroniste, ce que pensent les députés des premiers jours très délicats du nouveau Premier ministre, François Bayrou, nommé vendredi 13 décembre à Matignon après la censure de Michel Barnier le 4 décembre. Dès son arrivée, le Béarnais a dû composer avec une crise majeure, avec le passage dévastateur du cyclone Chido à Mayotte. 

Avant même sa nomination, tout commence par un bras de fer, vendredi, entre Emmanuel Macron et son allié historique. Le nom du maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) est évoqué depuis plusieurs jours pour Matignon, sans confirmation officielle. Dans la matinée, il échange pendant deux heures avec le chef de l'Etat. Selon les informations de France Télévisions, leur entretien "est très tendu" et d'autres pistes reprennent de la vigueur avant que le locataire de l'Elysée se résigne à nommer François Bayrou en fin de matinée

Une douloureuse "épreuve de force"

Devant ses troupes réunies à Matignon, vendredi soir, le Premier ministre revient sur cette bataille qui vient de se jouer au plus haut sommet de l'Etat. 

"Il a tout de suite été conscient d'avoir gagné une épreuve de force face à Emmanuel Macron, à qui il a dit : 'Je vous ai rejoint pour faire de grandes choses et pas de petites.'"

Un proche de François Bayrou

à franceinfo

Selon plusieurs personnes présentes, François Bayrou raconte avoir menacé le président de quitter le bloc présidentiel "à titre personnel" et de faire une conférence de presse dans la foulée, assure un député. 

Dès le lendemain, le remplaçant de Michel Barnier entame ses consultations, du côté institutionnel, pour aborder la situation politique. Il reçoit notamment le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, ou encore le président du Sénat, Gérard Larcher. Mais l'actualité rattrape immédiatement le Premier ministre, avec les premières conséquences du cyclone Chido à Mayotte. L'archipel est très durement frappé, les premiers morts sont annoncés en début d'après-midi et une réunion de crise est annoncée pour la soirée. En conférence de presse, Bruno Retailleau dit craindre que le bilan humain ne "soit lourd", mais l'image que retiennent les télévisions et les réseaux sociaux reste la prise de congé précipitée de François Bayrou, qui s'éclipse pendant la prise de parole du ministre de l'Intérieur démissionnaire.

En parallèle de la gestion de crise à Mayotte, le Premier ministre tente d'apaiser les relations avec l'Elysée, après la difficile "épreuve de force" de vendredi. Dans La Tribune dimanche, François Bayrou loue celui qui est son allié politique depuis 2017. "C'est un homme dont les gens ne se rendent peut-être pas compte de l'audace et du courage. Il n'y a rien de plus simple pour moi que de travailler avec lui", explique le nouveau chef du gouvernement, qui dément tout "affrontement" entre les deux têtes de l'exécutif.

"Vous n'êtes pas à votre place"

Sans assurance d'aboutir à un accord de non-censure, et donc de rester durablement à Matignon, François Bayrou entre dans le dur en recevant dès lundi les dirigeants des principaux partis. Y a-t-il une voie pour négocier des textes, voire pour faire entrer des figures d'ouverture au gouvernement ? Reçu en premier, le RN se dit "écouté" et salue une "méthode plus positive" qu'auparavant, mais le PS refuse de valider un "accord de non-censure", ce qui fragilise d'emblée le Premier ministre et sa future équipe.

En parallèle de ces consultations, une polémique commence à enfler dès le début d'après-midi. Le Premier ministre s'apprête à prendre un Falcon de la République pour assister, à 19 heures, au conseil municipal de Pau. Or, une heure plus tôt, se tient à Beauvau un conseil interministériel de crise sur la situation à Mayotte présidé par Emmanuel Macron. François Bayrou y assistera en visio depuis la préfecture, fait savoir son entourage, assurant que le Premier ministre a pris cet "engagement de longue date".

L'opposition s'empresse de critiquer ce choix. "Le peuple français mérite mieux qu'un Premier ministre illégitime à mi-temps", dénonce sur X Clémence Guetté, vice-présidente LFI de l'Assemblée nationale. "Indigne et irrespectueux", cingle, sur le même réseau social, le député PS Arthur Delaporte. Dans les couloirs ministériels aussi, cette présence à Pau en interpelle plus d'un. "C'est hallucinant. Surtout après son départ de la conférence de presse", livre une conseillère. "C'est un homme des territoires, il veut montrer qu'il ne sera pas dans le parisianisme. On peut penser que c'est malhabile mais il s'occupe de la crise à Mayotte", le défend le député du MoDem Richard Ramos. Mais, même dans son propre camp, certains ont dû mal à justifier ce choix, alors que Mayotte compte ses morts. 

"Je n'aurais rien fait comme lui. Je serais allé directement à Mayotte. Il se prend les pieds dans le tapis en allant à Pau."

Un proche de François Bayrou

à franceinfo

Malgré la polémique, François Bayrou est bien le soir même à Pau, où le conseil municipal est retransmis en direct sur les chaînes d'info. De nouveau, les opposants locaux de l'édile l'attaquent sur sa présence. "On n'est pas là pour faire du show, monsieur Bayrou, tance l'élu d'opposition de la Gauche démocratique et sociale Tuncay Cilgi. La première question qui me vient, c'est qu'est-ce que vous faites là ? Vous n'êtes pas à votre place. Je considère que le fait que vous soyez venu ici est une faute politique. Votre première mission, c'est d'aller à Mayotte."

Droit dans ses bottes, François Bayrou assure qu'il s'occupe de la situation sur l'archipel et qu'il continuera à être maire de Pau, arguant que "si vous abandonnez les responsabilités de la base, vous vous trouvez isolé et oublieux". Il en profite au passage pour relancer le débat sur le non-cumul des mandats. "On s'est trompé en [rendant] incompatibles les responsabilités locales et nationales, c'est une erreur", assure-t-il. Interrogé par la presse, il dit aussi ne plus se souvenir qu'il s'était opposé à ce cumul par le passé. Là encore, les déclarations du Premier ministre interrogent, alors que le nouveau gouvernement n'est pas constitué et que la France n'a toujours pas de budget, sans compter Mayotte. "Je ne suis pas sûr qu'il faille revenir sur le non-cumul, la règle me semble bien", soupire un élu MoDem. 

"Une pression de tous les diables"

Questionné sur la formation du gouvernement, François Bayrou se fixe aussi comme "échéancier" la semaine en cours et ajoute, toujours depuis Pau, qu'"il faut aussi que le président de la République soit là". Une référence aux déplacements du chef de l'Etat à Mayotte et à Bruxelles, prévus jeudi. La petite phrase est moyennement appréciée par l'Elysée, qui décide de prendre le Premier ministre au mot. "Nous sommes prêts", fait savoir mardi matin un proche du président, ajoutant qu'Emmanuel Macron attend les "propositions dans la foulée des consultations" du chef du gouvernement. "Macron va lui mettre une pression de tous les diables", s’amuse un collaborateur parlementaire. Tandis que chez LR, on temporise sur une éventuelle participation au gouvernement. "Il s'est fait avoir par son propre jeu avec Macron. Il va être obligé d'aller vite mais notre groupe va dire 'minute papillon'", glisse un député de droite. 

Au même moment sur franceinfo, la présidente de l'Assemblée nationale s'en prend directement à François Bayrou. "J'aurais effectivement préféré que le Premier ministre, au lieu de prendre un avion pour Pau, prenne un avion pour Mamoudzou", grince Yaël Braun-Pivet, se disant aussi "contre le cumul de mandats". Malaise en macronie. "Venir mettre une baffe comme ça au Premier ministre, c'est un peu excessif", souffle un député EPR croisé au Palais-Bourbon. Mais d'autres se lâchent carrément. "C'est déjà la débandade. Entre Mayotte et le conseil municipal, comment est-ce possible ? Yaël Braun-Pivet qui tape. Le président qui ne l’aide pas...", livre un collaborateur parlementaire. 

"François Bayrou est déjà démonétisé."

Un collaborateur parlementaire

à France Télévisions

François Bayrou, lui, continue d'enchaîner les rendez-vous à Matignon avec les groupes politiques. A gauche, on ne se gêne pas pour le critiquer. Le Premier ministre "n'a donné aucun élément sur la direction politique qu'il envisage de prendre. Il pave sa propre censure, tacle à la sortie Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste à l'Assemblée. Nous avions face à nous un Premier ministre qui a plus parlé de Pau que de la France". 

A 15 heures, mardi, le locataire de Matignon se prête à un exercice inédit : il va répondre seul aux questions des députés, en l'absence de gouvernement. Sans surprise, l'opposition fustige son aller-retour à Pau. "Vous n'auriez pas dû vous rendre à Pau pour conserver un mandat", attaque la cheffe de file des députés LFI, Mathilde Panot. "Pau, c'est en France (...). Si j'avais été dans une mairie du 7e arrondissement, ou la mairie de Neuilly, vous auriez considéré que c'était très bien", lui répond au banc François Bayrou, dénonçant "une rupture entre la vie de la province et le cercle des pouvoirs à Paris".

Le patron du MoDem commet aussi une nouvelle maladresse, en déclarant qu'"il n'est pas d'usage que le Premier ministre et le président de la République quittent en même temps le territoire national". Une sortie aussitôt moquée par ses opposants, qui n'ont pas manqué de rappeler que Mayotte est un département français. A la sortie de l'hémicycle, certains sont sidérés. "C'était catastrophique, on s'attendait à ce qu'il prépare un peu mieux l'exercice", souffle un député LR. Pas de quoi alarmer certains très proches du Premier ministre. "C'est facile de critiquer. Le plus difficile, c'est de bâtir et lui, c'est un bâtisseur", rétorque l'un d'eux.

Prochain défi à relever pour François Bayrou : la constitution d'un gouvernement rassemblant des personnalités de droite et de gauche, qui s'annonce très difficile. Après ses premiers pas maladroits, le locataire de Matignon n'a déjà plus droit à l'erreur.

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