Entretien "très tendu", annonce retardée... Le récit des dernières heures qui ont conduit à la nomination de François Bayrou comme Premier ministre

Après d'ultimes tergiversations vendredi matin, Emmanuel Macron a finalement chargé son fidèle allié centriste de former un gouvernement.
Article rédigé par Laure Cometti - avec le service politique de France Télévisions
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Devant le perron de Matignon, un tapis rouge et des micros ont été installés, le 13 décembre 2024, avant l'annonce du nom du nouveau Premier ministre. (ANNE RENAUT / AFP)

Rarement un remaniement aura été aussi incertain. En annonçant la nomination de François Bayrou au poste de Premier ministre, vendredi 13 décembre, Emmanuel Macron a mis fin à huit jours de tractations et à une matinée de montagnes russes politiques baignées dans "un brouillard total", selon les mots d'un député centriste.

Après la démission de Michel Barnier le 5 décembre, Emmanuel Macron avait choisi de consulter les forces politiques dans l'espoir de sortir de la crise provoquée par la censure du gouvernement. C'est lors d'une réunion des partis à l'Elysée, mardi, que le chef de l'Etat avait lui-même fixé la date du choix du futur locataire de Matignon. Devant les cadres d'un arc allant des communistes à la droite, il s'était engagé à le nommer "dans les 48 heures".

Le chef de l'Etat prend souvent son temps pour nommer ses chefs de gouvernement : 51 jours s'étaient écoulés entre la démission de Gabriel Attal en juillet et la nomination de Michel Barnier en septembre. Cette fois, il semblait vouloir trancher rapidement et avait même accéléré son programme jeudi en Pologne pour "gagner du temps" et "rentrer le plus tôt possible à Paris". Mais à peine l'avion présidentiel s'était-il posé jeudi soir que la décision était reportée au lendemain matin. Tard dans la soirée, à 22h30, le service politique de France Télévisions apprenait qu'un entretien était prévu vendredi, à 8h30, entre Emmanuel Macron et le favori pour Matignon, le centriste François Bayrou.

"Des mauvais retours de leur échange"

Vendredi matin, à l'heure dite, le président du MoDem arrive à l'Elysée pour s'entretenir avec le chef de l'Etat. Leur tête-à-tête, qui dure près de deux heures, "est très tendu", selon les informations de France Télévisions. "On a eu de mauvais retours de cet échange, comme quoi ça ne s'était pas bien passé et que ça avait été très long", raconte à franceinfo le député MoDem Nicolas Turquois.  

A la sortie, François Bayrou s'éclipse, sans donner de nouvelles à ses proches. Du côté de l'Elysée, toujours pas de fumée blanche. Le nom du Palois n'est ni écarté ni confirmé par Emmanuel Macron, ce qui relance la cote de ses concurrents, comme Bernard Cazeneuve ou Roland Lescure. "L'option Lecornu remonte", assure de son côté une source au sein du camp présidentiel.

Durant l'entretien, le centriste a pourtant tenté de convaincre le chef de l'Etat, menaçant de retirer le soutien des 36 députés du MoDem au bloc présidentiel. "Plein de gens avaient essayé depuis des semaines de faire en sorte que ce ne soit pas François Bayrou, déplore sur franceinfo le député MoDem Richard Ramos. Il a dit certainement au président : 'Si ce n'est pas moi, je reprends ma liberté'", poursuit l'élu du Loiret. Mais Emmanuel Macron hésite encore. 

Des "doutes" au "soulagement" chez les centristes

Alors que le rendez-vous est toujours en cours, un tapis rouge est déroulé sur le perron de Matignon, en vue d'une passation dont l'un des protagonistes demeure un mystère. Sur place, même les techniciens chargés d'installer les micros semblent dans le flou.

Un peu plus tard, alors que les chaînes d'information s'impatientent, Emmanuel Macron est lui occupé par une cérémonie. Incongruité du calendrier, le chef de l'Etat, sous les ors de la salle des fêtes de l'Elysée, remet la Légion d'honneur à Thomas Bach, président du Comité international olympique, en présence du Premier ministre démissionnaire, Michel Barnier. La matinée se consume. Chez les centristes, l'ambiance se tend. "Je commence à avoir de gros, gros doutes", retrace Nicolas Turquois.   

"Depuis dimanche, c'est les montagnes russes. On pensait que ce serait François Bayrou, puis on n'y croyait plus lundi, avant d'y croire à nouveau mardi. Et vendredi, plus la journée avance, moins j'y crois."

Nicolas Turquois, député MoDem de la Vienne

à franceinfo

Sur les réseaux sociaux, les moindres indices sont scrutés par les internautes, comme un avion décollant de Cherbourg à 11h30 en direction de Paris, qui relance les spéculations sur une possible nomination du Normand Bernard Cazeneuve. Fausse piste. A la mi-journée, bien que l'Elysée ait fait savoir que la nomination interviendrait en fin de matinée, la décision n'est toujours pas communiquée.

"C'est un peu navrant, cette journée"

D'après les informations du service politique de France Télévisions, c'est à 11h30 que le chef de l'Etat a finalement décidé de reconvoquer François Bayrou pour lui annoncer sa nomination. Une heure plus tard, à 12h43, un communiqué laconique met fin au suspense : "Le président de la République a nommé M. François Bayrou Premier ministre, et l'a chargé de former un gouvernement". 

Pour François Bayrou, la date a une saveur particulière, qu'il ne manque pas de rappeler aux journalistes qui le suivent comme une ombre : c'est le jour anniversaire de la naissance d'Henri IV, Palois comme lui, dont le centriste a écrit une biographie. La journée est loin d'être terminée : le maire de Pau se rend à 14h30 aux funérailles de l'historien Jean-Pierre Rioux, dans le 18e arrondissement de Paris, avant de retourner à 17 heures dans le cœur de la capitale, à Matignon, pour la cérémonie de passation avec Michel Barnier.

"Je n'ignore rien de l'Himalaya qui se dresse devant nous, des difficultés de toute nature", lance le nouveau chef du gouvernement dans la cour, rue de Varenne. Le plus dur commence pour le centriste, qui va devoir former un gouvernement et tenter d'élargir son soutien à l'Assemblée pour faire adopter un budget. Parmi ses troupes, la tension est retombée, laissant place à une joie tempérée par les rebondissements de dernière minute. "On l'a vécue comme un chemin de souffrance, cette nomination", résume Nicolas Turquois, avec "une forme de soulagement". "C'est un peu navrant, cette journée, tous ces micro-détails", déplore un député de droite pour qui la séquence donne l'image d'un pouvoir incapable de décider rapidement.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.