Réformes des retraites : le gouvernement a-t-il vraiment fait des concessions aux syndicats, comme l'assure Edouard Philippe ?
Le Premier ministre a annoncé que le premier round de négociations avait débouché sur des "avancées concrètes". Mais celles-ci restent toutefois mineures, au regard de la réforme présentée une semaine auparavant et des exigences des syndicats.
Après deux jours de dialogue avec les syndicats et le patronat à Matignon, le Premier ministre a assuré, jeudi 19 décembre, que "les discussions de ces derniers jours [avaient] permis des avancées concrètes" sur la réforme des retraites. Edouard Philippe a ensuite listé les points sur lesquels le gouvernement avait, selon lui, accepté de faire preuve d'"ouverture", "dans une logique de compromis" avec les organisations syndicales : la pénibilité, la progressivité, la pension minimale garantie.
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Mais plusieurs internautes ont dans la foulée affirmé que les "avancées", détaillées par le chef du gouvernement, étaient en réalité inexistantes et qu'elles avaient au contraire déjà été mentionnées, lors de la présentation du contenu de la réforme, une semaine plus tôt.
Aucune avancée, tout était dans le dossier de presse du 11 décembre 2019.
— Projet Arcadie (@Projet_Arcadie) December 19, 2019
Que de temps perdu
Sur la pénibilité
Ce qu'a annoncé Edouard Philippe. Le Premier ministre a promis une prise en compte "plus généreuse" de la pénibilité, en abaissant les seuils. Il propose que la pénibilité soit reconnue à partir de 110 nuits travaillées par an, au lieu de 120 aujourd'hui. Et pour les salariés qui font les trois-huit, dès 30 nuits par an au lieu de 50. Le compte pénibilité (Compte professionnel de prévention) serait aussi étendu aux fonctionnaires. D'après lui, près de 300 000 personnes pourraient en bénéficier, en plus des 860 000 qui y ont déjà droit. En outre, la piste d'un "véritable droit à la reconversion" sera intégrée aux travaux en cours sur l'emploi des seniors, afin de "ne pas créer des trappes à pénibilité". En revanche, Edouard Philippe ne revient pas sur la suppression, en 2017, de quatre des dix critères de pénibilité, à savoir le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les agents chimiques dangereux, comme le demandent les syndicats.
Ce qu'il y avait déjà dans la réforme. L'abaissement du seuil à partir duquel le travail de nuit est pris en compte dans la pénibilité figurait déjà dans le dossier de presse (en pdf) de présentation de la réforme. Tout comme son application à la fonction publique, notamment hospitalière. Seule la précision du nombre de nuits par an à partir duquel le compte pénibilité sera alimenté est nouvelle. Le document estimait en outre plutôt à 250 000 le nombre de bénéficiaires de cette mesure. En outre, l'ancien haut-commissaire, Jean-Paul Delevoye, qui a imaginé cette réforme, insistait déjà dans son rapport (en pdf) sur la nécessité d'"améliorer la situation des seniors sur le marché du travail".
Sur la progressivité
Ce qu'a annoncé Edouard Philippe. La retraite progressive permet de travailler à temps partiel et de bénéficier d'une compensation de la perte de revenus par la retraite. Le chef du gouvernement a assuré qu'il souscrivait "totalement" à l'idée d'élargir le dispositif aux fonctionnaires, notamment aux enseignants et aux personnels hospitaliers, comme le demandaient les syndicats. Le sujet fera l'objet d'une concertation "dès le mois de janvier", a-t-il indiqué. De même pour "l'aménagement des fins de carrière à l'hôpital".
Ce qu'il y avait déjà dans la réforme. Le dossier de presse de présentation de la réforme indique que le départ en retraite progressive sera ouvert à l'ensemble des salariés, y compris les cadres au forfait. Mais il ne mentionnait pas la fonction publique dans cet élargissement. Le Premier ministre fait donc un geste en direction des fonctionnaires.
Sur la pension minimale garantie
Ce qu'a annoncé Edouard Philippe. Le Premier ministre a annoncé que "deux pistes d'amélioration" seraient discutées "dès le mois de janvier", afin de "rendre ce mécanisme à la fois plus progressif et plus protecteur". D'une part, la possibilité d'aller "au-delà des 85% du Smic" déjà promis "pour ceux qui ont continûment travaillé à ce niveau toute leur vie". D'autre part, celle d'"offrir cette protection aux travailleurs précaires dont le temps partiel est bien souvent subi".
Ce qu'il y avait déjà dans la réforme. Dans sa présentation initiale, la réforme prévoyait que cette retraite minimale soit de 1 000 euros net en 2022 pour une personne ayant fait une carrière complète au Smic, puis revalorisée pour atteindre au maximum 85% du Smic en 2025, au moment de la bascule dans le système universel. Le chef du gouvernement propose donc d'étendre cette pension minimale garantie aux travailleurs précaires.
Sur les régimes spéciaux
Ce qu'a annoncé Edouard Philippe. Le Premier ministre a évoqué un possible accord à la SNCF, afin de "favoriser la progressivité de la mise en œuvre de la réforme". Il a aussi évoqué des échanges en cours à la RATP et dans le secteur de l'énergie. Il a également promis que la réforme "reconnaîtra les spécificités" des marins qui auront "les assurances qu'ils demandent" sur leur droit à un départ anticipé avant 62 ans. Enfin, pour les fonctionnaires, un chantier sera ouvert "dès la rentrée" sur "la garantie des six derniers mois", pour le calcul des droits acquis au moment de l'entrée en vigueur de la réforme en 2025, comme le réclame l'Unsa.
Ce qu'il y avait déjà dans la réforme. Le rapport Delevoye envisageait déjà une progressivité de l'application de la réforme, les assiettes et les taux de cotisation des salariés du public et du privé s'uniformisant au fil du temps. Cette disposition a été transposée dans la réforme présentée par Edouard Philippe le 11 décembre. Quant aux marins, il offrait que leurs avantages spécifiques soient maintenus, ces derniers bénéficiant notamment de barèmes et d'exonérations en fonction du secteur ou du type de navire sur lequel ils travaillent. Le Premier ministre laisse désormais, en plus, la porte ouverte à la négociation sur les régimes spéciaux dans les branches où la grève a le plus de répercussions (SNCF, RATP et fonction publique).
Sur l'âge pivot
Ce qu'a annoncé Edouard Philippe. Le Premier ministre a défendu la création de l'âge d'équilibre, en plus de l'âge légal de départ à la retraite, avec un bonus-malus pour inciter à travailler plus longtemps. Il a cependant indiqué qu'il y avait "des marges de manœuvre" – "pas immenses", a-t-il toutefois précisé – pour parvenir à l'équilibre financier. Le chef du gouvernement laisse certes la porte ouverte à d'autre options, permettant "d'individualiser davantage les trajectoires de départ à la retraite" et "d'éviter le caractère aveugle" d'une borne d'âge uniforme. Mais il est "radicalement opposé à une baisse des pensions" et il ne "souhaite pas" une hausse des cotisations.
Ce qu'il y avait déjà dans la réforme. Dans sa présentation de la réforme, le 11 décembre, le gouvernement confiait aux partenaires sociaux le soin de se concerter pour fixer les principaux paramètres de la réforme : la valeur du point, l'âge pivot ou les montants du bonus et du malus. Mais il annonçait aussi les valeurs qu'il entendait leur donner. Edouard Philippe propose certes de laisser les syndicats suggérer d'autres variables d'ajustement de la réforme. Mais sans renoncement à l'âge pivot, principal pierre d'achoppement, les possibilités sont minces.
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