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Reportage "On ne se sent plus vraiment en démocratie" : à Denain, dans le Nord, un 1er-Mai entre désillusion et crainte d'une montée du RN

Au cœur du bassin minier, une centaine de personnes ont défilé dans le cortège syndical pour la fête des travailleurs.
Article rédigé par Marine Cardot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Une centaine de manifestants étaient réunis le 1er mai 2023, à Denain (Nord) à l'appel des syndicats. (MARINE CARDOT / FRANCEINFO)

Sur la place Baudin à Denain (Nord), bordée de maisons en briques, de petits groupes se forment peu à peu. "Ça va ? Bah si on est là, c'est que ça va !" Sous leurs gilets rouges, les militants s'activent pendant qu'on distribue des brins de muguet à la volée.  A deux pas du terrain de foot, ils sont une centaine à s'être réunis ce lundi 1er mai à l'appel des syndicats. 

A 37 ans, Mathieu Becart est venu manifester avec son fils "contre la réforme des retraites, contre l'inflation et contre le gouvernement'. Ancien "gilet jaune", le technicien de maintenance dans une usine de chimie ne se sent pas entendu. "On a été des millions dans la rue, le gouvernement est resté sourd. Ils n'ont pas de majorité absolue à l'Assemblée mais ils font tout ce qu'ils veulent, on ne se sent plus vraiment en démocratie."

Mathieu Becart, technicien de maintenance, le 1er mai 2023 à Denain (Nord). (MARINE CARDOT / FRANCEINFO)

Dans cette petite ville du bassin minier, à 15 kilomètres de Valenciennes, la confiance dans les institutions s'étiole. Comme Mathieu Becart, les manifestants que franceinfo a rencontrés dans le cortège fustigent un gouvernement "qui n'écoute pas". "Au Stade de France, ils ont confisqué les cartons rouges et les sifflets, est-ce que c'est ça la démocratie ?", s'indigne encore le père de famille. 

Vers 9h30, le cortège s'ébranle, au départ de la place où se trouvait la salle des festivités d'Usinor. Lors de la fermeture de l'usine de sidérurgie en 1978, quelque 5 000 emplois ont été supprimés. Depuis, la ville a perdu environ un quart de sa population, selon l'Insee. Le taux de pauvreté y est de 41% en 2020, précise l'institut, contre 14,6% en France métropolitaine. 

"Est-ce que ça sert encore à quelque chose ?" 

Chaque année, le 1er mai, Christelle Mioux est dans la rue. Cette fois, c'est la colère qui domine pour cette assistante de projet originaire de Denain. Son CDD s'arrête fin août, et avec l'adoption de la réforme des retraites, elle s'inquiète pour l'avenir. "J'ai 57 ans, j'aurais bien voulu m'arrêter à 62, sachant que je serai au chômage", explique celle qui n'espère plus retrouver un contrat long. "On a l'impression que les parlementaires ne servent à rien, Macron décide de tout", regrette-t-elle.

Christelle Mioux, assistante de projet, manifeste le 1er mai 2023 à Denain (Nord). (MARINE CARDOT / FRANCEINFO)

Raymond Wojtinek, 73 ans, est venu défiler pour ses enfants et ses petits-enfants. Mais le retraité n'imagine plus voir la réforme des retraites retirée : "Est-ce que ça sert encore à quelque chose de manifester ? Macron va finir son mandat, il n'en a plus rien à cirer."

Plus généralement, il évoque son manque de confiance dans les partis politiques. "La gauche, c'est la débâcle, le Rassemblement national ne me convainc pas...", énumère-t-il alors que le cortège progresse peu à peu dans le centre-ville, dépassant le Burger King derrière lequel se dessine un terril.

"Ils ont abimé la confiance dans le pays"

"On a choisi ce parcours pour être bien visible au cœur de la ville, et puis parce qu'on longe des anciens sites miniers", souligne le cégétiste Yves Thioux. Les manifestants passent devant le magasin Carrefour. "Avant le supermarché, il y avait la gare d'eau, c'était là où les péniches étaient chargées en charbon", explique cet ancien mineur, puis sidérurgiste à Usinor. Chargées dans le coffre d'une petite voiture orange, des enceintes portent la voix de Jean Ferrat qui chante Ma France.

Yves Thioux, membre du bureau exécutif de l'union locale CGT de Denain (Nord), le 1er mai 2023. (MARINE CARDOT / FRANCEINFO)

Le maire (PCF) de la commune voisine de Lieu-Saint-Amand est venu en bus avec quelques-uns de ses administrés grossir les rangs de manifestation. Auprès de franceinfo, Jean-Michel Denhez fustige un exécutif "qui ne tient pas compte de l'avis des gens, au moment où tout augmente". Il évoque les éventuelles conséquences électorales : "Le gouvernement est en train de faire un boulevard pour Marine Le Pen, ils ont abimé la confiance dans le pays. Le RN ne fait rien, pourtant sa cote monte."

Le diagnostic de Ludovic Tonneau, conseiller municipal d'opposition à la mairie de Denain, est similaire. "En passant en force, en ne laissant aucune place à la discussion, le gouvernement a encore aggravé la cassure entre l'élite de la politique et la population", assure l'élu communiste.

Ludovic Tonneau, élu d'opposition à la mairie de Denain (Nord), le 1er mai 2023. (MARINE CARDOT / FRANCEINFO)

"Evidemment, c'est une inquiétude, je ne peux pas dire le contraire. Mais c'est à nous de faire le travail", abonde Yves Thioux. "Après, ça n'est pas toujours facile, à titre personnel, je remarque que les gens sont parfois fatigués de se battre", raconte-t-il. Au premier tour de la présidentielle, Marine Le Pen est arrivée largement en tête à Denain avec 41% des voix, suivie par Jean-Luc Mélenchon (28%) et Emmanuel Macron (14%). 

Elue au conseil municipal en 2020 sur la liste de Sébastien Chenu, député et vice-président du Rassemblement national, Michèle Dandois a vécu les choses de l'intérieur. "C'est vrai que je pensais que ça allait bouger, que Sébastien Chenu allait apporter quelque chose de nouveau, même si je n'étais pas d'accord avec tout", assure-t-elle. "C'est un parti qui est en vogue, j'en suis la preuve vivante !" 

Michèle Dandois, élue d'opposition (RN) à la mairie de Denain (Nord), le 1er mai 2023. (MARINE CARDOT / FRANCEINFO)

Elle explique aujourd'hui s'être désolidarisée du parti de Marine Le Pen, et précise qu'elle n'avait d'ailleurs "jamais pris [s]a carte au RN". En ce 1er mai, elle participe même au rassemblement syndical aux côtés de la CGT. "Au Rassemblement National, tout est dans la parole, ce sont de bons communicants, mais sur le fond des dossiers, il n'y a personne, ils essaient seulement de cumuler les postes", accuse-t-elle. "Le RN, qu'est-ce qu'ils proposent ? Rien, ils surfent sur la misère humaine", renchérit Ludovic Tonneau, qui se décrit comme "un rempart".

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