Reprise économique : la France a-t-elle vraiment décroché ?
Les signes de redémarrage se confirment chez nos voisins, tandis que notre économie semble toujours à la peine. Francetv info tente d'y voir plus clair.
Baisse du chômage au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, signes encourageants en Allemagne ou en Chine... Les signaux économiques positifs se multiplient à travers le monde, traduisant dans beaucoup de pays les prémices de la reprise. Mais à Paris, la morosité est toujours de mise.
Alors que l'agence Moody's doit donner, vendredi 24 janvier, sa note actualisée sur la dette souveraine de la France, francetv info dresse un constat de la situation économique à l'aide de quelques indicateurs.
La croissance
Ce qui se passe ailleurs. En Chine, la croissance du PIB (produit intérieur brut) s'est ralentie en 2013, jusqu'à atteindre son plus bas niveau depuis treize ans, à 7,6%. Un chiffre qui laisse pourtant rêveur les pays de l'Union européenne. Au Royaume-Uni, on enregistre une croissance de 2,7%. En Allemagne, elle s'est établie à 0,4% en 2013.
Ce qui se passe en France. La croissance s'est contractée. Après un rebond surprise de 0,5% pour la période avril-juin, le PIB de la France a reculé de 0,1% sur la période juillet-septembre. Résultat, l'Insee attend une "reprise poussive" de l'économie française début 2014. Pour retrouver le chemin de la croissance, "c'est sur l'offre qu'il faut agir" a déclaré François Hollande lors de sa conférence de presse, en détaillant le pacte de responsabilité.
Est-ce que c'est grave ?"Il faut relativiser. La France a déjà retrouvé son PIB d'avant-crise, ce qui n'est pas le cas du Royaume-Uni, remarque auprès de francetv info Fabrice Montagné, économiste Europe chez Barclays. Mais cela devrait arriver dans les mois à venir."
"Proposer aux entreprises de leur faciliter la vie ressemble à un signal positif, mais pour le moment, les mesures se font attendre et la croissance mondiale n'attendra pas la France pour en tirer bénéfice", prévient le cabinet d'analyses AlphaValue, contacté par francetv info.
"Le problème avec les annonces du gouvernement, c'est que nous ne sommes pas certain que cela va se traduire par des investissements des entreprises. Sans compter qu'il n'y a pas de volet spécifique pour les industries à forte innovation", commente pour francetv info Henri Sterdyniak, directeur du département Economie de la mondialisation à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Doute partagé par Fabrice Montagné : "Pour 2014, on s'attend à une hausse des investissements de 1,8%. C'est peu. Si la reprise était solide, on pourrait avoir une prévision largement supérieure après le recul de 2,2% observé en 2013."
Le chômage
Ce qui se passe ailleurs. Le taux de chômage au Royaume-Uni a reculé nettement, puisqu'il atteint 7,1% sur la période septembre-novembre, son plus bas niveau depuis janvier-mars 2009. La baisse du nombre de demandeurs d'emploi est également notable aux Etats-Unis, où le chômage est au plus bas depuis octobre 2008, avec un taux de 6,7%.
Ce qui se passe en France. Le chômage a progressé de 5,6% entre novembre 2012 et novembre 2013 (pour la catégorie A n'ayant exercé aucune activité). Malgré un début d'automne encourageant, il a de nouveau augmenté en novembre, selon des chiffres publiés en décembre : il atteint 10,5% de la population active. Lors de sa troisième conférence de presse, François Hollande n'a pas réitéré sa promesse d'inverser la courbe du chômage."Certes, depuis six mois, le chômage des jeunes a reculé. Certes, il y a eu une stabilisation du chômage et une tendance se dessine. Mais nous n'avons pas encore gagné la bataille pour l'emploi", a concédé le président.
Est-ce que c'est grave ? Le cabinet d'analyses AlphaValue souligne qu'il existe des contextes différents outre-Atlantique et outre-Manche. "Aux Etats-Unis, la transition énergétique (gaz de schiste) provoque un enthousiasme massif, qui se transforme en confiance et crée une inertie ou une anticipation économique vertueuse pour tous, estime-t-il. Au Royaume-Uni, le niveau des cotisations et le cadre fiscal permettent aux entreprises de fabriquer de l'emploi facilement dès qu'un signe de reprise est anticipé", poursuit-il.
"On est loin du chômage à 26% en Espagne, commente auprès de francetv info Fabrice Montagné. En France, on a davantage tendance à commenter le verre à moitié vide que le verre à moitié plein", poursuit-il.
Et pour se rassurer, il faut rappeler que le taux de chômage en Allemagne est resté inchangé entre octobre et novembre, à 6,9%. Un mouvement de stagnation que la France devrait également connaître début 2014. Selon les prévisions de l'Insee, mi-2014, le taux de chômage dans l'Hexagone risque d'augmenter de 0,1 point, pour s'établir à 11%.
L'activité dans le privé
Le secteur privé de la zone euro a débuté l'année sur un rythme plus élevé que prévu. Son activité est calculée à partir de l'indice PMI composite. Considéré comme un baromètre fiable, il est établi par le cabinet Markit, qui traite les réponses de milliers d'entreprises de la zone euro.
Ce qui se passe ailleurs. En janvier, dans l'ensemble de la zone euro, il est de 53,2. Son niveau le plus haut depuis la mi-2011. Et pour le septième mois consécutif, il est au-delà de la barre des 50 points, ce qui est synonyme de croissance. En Allemagne, l'indice atteint 55,9 en janvier, contre 55 en décembre. C'est son neuvième mois de croissance consécutive.
Ce qui se passe en France. En France, le même indice est de 48,5, en janvier. C'est mieux qu'en décembre (47,3). Mais cela reste sous la barre des 50, alors qu'il était au-dessus en novembre.
Est-ce que c'est grave ? "Tandis que l'Allemagne mène l'expansion de la zone euro, la France pourrait continuer à freiner la reprise de la région au cours des mois à venir", estime Chris Williamson, chef économiste au cabinet Markit. Selon lui, les chefs d'entreprises français "s'inquiètent de la situation politique, du manque de réformes et des moyens par lesquels le gouvernement veut relancer l'économie".
Sur le site Atlantico, Alain Fabre, qui dirige une société indépendante de conseil financier aux entreprises, s'inquiète car, selon lui, le "décrochage" se fait "non plus par rapport à l'Allemagne, mais par rapport à l'ensemble de l'Europe". "L'Espagne et l'Italie ont chuté plus bas que la France, donc elles remontent plus vite", nuance Henri Sterdyniak, qui estime que la France est "au milieu, comme toujours. Ni en pointe, ni spécialement à la traîne". Un point de vue partagé par Fabrice Montagné. Selon lui, "il n'y a pas de décrochage spécifique de la France. Elle est dans la moyenne des pays de la zone euro".
Les exportations
Ce qui se passe ailleurs. En Allemagne, l'excédent commercial est reparti à la hausse en novembre. Il a atteint 17,8 milliards d'euros. L'un des plus élevés depuis vingt ans, a relevé Le Figaro. En Espagne, le déficit commercial a atteint 1,76 milliard d'euros. Mais entre janvier et novembre, il s'est réduit de 52% : le volume des exportations atteint même un "niveau historique" depuis 1971, selon le ministre espagnol de l'Economie.
Ce qui se passe en France. Le déficit commercial de la France s'est "creusé fortement", passant de 4,8 milliards d'euros en octobre à 5,7 milliards en novembre. La ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, a reconnu, début janvier, que le pays faisait face à "un problème structurel, un problème de compétitivité". Elle a estimé qu'il fallait aider les entrepreneurs pour qu'ils soient "moins à la paperasse et plus à l'action".
Est-ce que c'est grave ? "A l'exception de quelques secteurs sur lesquels nous faisons la course en tête, comme le luxe ou l'aéronautique, notre industrie est souvent positionnée sur le milieu de gamme, explique François Vidal, directeur délégué de la rédaction du quotidien économique Les Echos, sur son blog. Résultat, nous sommes pris en étau entre une Allemagne installée sur le haut de gamme et une Europe du Sud plus agressive sur les prix."
Un constat à recontextualiser. "En Espagne, les exportations ont une croissance rapide, mais cela ne suffit pas pour supporter toute l'économie du pays, qui reste en crise", commente Fabrice Montagné. Et les performances allemandes cacheraient, selon certains économistes, une faiblesse. L'Allemagne est régulièrement accusée d'être trop dépendante de ses exportations. De nombreux responsables politiques étrangers souhaitent qu'elle fasse davantage reposer la croissance sur la consommation intérieure.
Les spécialistes évoquent plusieurs hypothèses pour expliquer les mauvais chiffres des exportations hexagonales. AlphaValue pointe la compétitivité et accuse "le coût du travail trop élevé qui pèse sur les marges des entreprises, qui préfèrent se désendetter plutôt qu’investir pour l’avenir". De son côté, Henri Sterdyniak estime que l'industrie française pèche par "manque d'idées, de grands projets innovants".
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