"Gilets jaunes" : "C’est facile de juger ces gens-là quand on est bien nourri, désobéir c’est aussi un sursaut de vie"
Selon Sandrine Roudaut, auteure et éditrice engagée, la désobéissance est un processus positif, qui permet de "redire quelles sont les valeurs fondamentales de l’humanité".
"C’est facile de juger ces gens-là quand on est assez bien nourri et bien protégé", estime Sandrine Roudaut. Conférencière, elle a écrit deux essais (L'Utopie mode d’emploi et Les suspendues). Elle pense qu’il faut "désobéir pour pouvoir obéir aux lois supérieures de l’humanité, qui sont des lois de fraternité, de justice, de respect du vivant et de solidarité envers les générations futures". Elle veut faire changer de regard sur la désobéissance.
franceinfo : Quel est votre regard sur le mouvement des "gilets jaunes" ?
Sandrine Roudaut : Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait une désobéissance aussi importante et qu’elle viendrait de là, mais j’espérais qu’elle viendrait, parce que c’est un peu un sursaut de l’humanité. On voit dans l’histoire que les gouvernements n’arrivent pas à nous protéger et donc que ce sont des citoyens qui désobéissent pour venir redire quelles sont les valeurs fondamentales de l’humanité, comme les suffragettes par exemple [au début du XXe siècle].
Il faut désobéir pour redire ce qui est important pour nous.
Sandrine Roudautà franceinfo
Aujourd’hui, des manifestations se déroulent sans autorisation, des magasins sont cassés, on désobéit beaucoup. Trouvez-vous cela positif ?
Ce qu’il faut d'abord dire, c’est qu’il y a trois types de violences : la violence de certains casseurs et certains manifestants, la violence des CRS en face, ce n’est pas un mythe. Il y a aussi la violence du système et celle-là est très insidieuse, on n’en parle pas. On est en France les champions de la consommation des antidépresseurs. Elle provoque des suicides au travail, des dépressions, une consommation de drogue assez importante. Donc finalement, désobéir c’est aussi un sursaut de vie.
Par rapport à la violence, on aime voir qu’elle ne vient que de quelques casseurs. C’est vrai, mais néanmoins, il n’y a pas que cette casse-là. Au moment des gardes à vue, on s’est rendu compte qu’il y avait énormément de pères de famille, énormément de gens qui n’avaient jamais fait ça, qui n’étaient jamais sortis des rails. Donc finalement, cette violence on l’a tous en nous. Moi quand j’ai vu à Notre-Dame-des-Landes un CRS gazer un adolescent qui manifestait joyeusement, j’ai eu envie de lui mettre mon poing dans la figure, alors que je suis une non-violente totale. Je pense que c’est aussi ce qui nous fait peur, c’est qu’on est tous un peu comme ça, on a tous un peu cette violence.
La grande majorité de la classe politique dénonce la violence des "gilets jaunes". De votre côté, la trouvez-vous acceptable ?
Moi je ne justifie pas la violence, je ne la trouve pas légitime, mais je peux la comprendre. C’est facile de dénoncer. Quand je vois des gens qui disent qu’ils n’ont pas pu emmener leurs enfants en vacances depuis dix ans, je trouve ça terrible.
C’est facile de juger ces gens-là quand on est assez bien nourri et bien protégé. Je trouve que donner des leçons sur cette histoire, c’est un peu facile.
Sandrine Roudautà franceinfo
La désobéissance, même avant la violence, c’est dérangeant. Sans le faire volontairement, quelqu’un qui désobéit (que ce soit pour accueillir un réfugié, ou qui va contre une loi), c’est quelqu’un qui dit ‘ceci est intolérable et pourtant vous le tolérez’. Et ça, pour tous les autres, c’est super dur à entendre. Ce qu’on entend, c’est que nous, on ne fait rien. On le prend très mal ! C’est pour ça qu’on n’aime pas voir les désobéissants, parce que ce sont des gens qui s’affranchissent du politiquement correct, de plein de choses. Ils ne le font pas pour nous embêter, mais ils nous dérangent, ça vient toucher des parts d’ombre et en même temps ça vient toucher notre part de pouvoir, qui dit ‘mais levez-vous’ !
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