"Gilets jaunes" : la Suisse peut-elle interdire les exportations de LBD vers la France, comme le souhaite un député helvète ?
Dans le live de franceinfo, vous nous avez interrogés sur l'initiative du député Guy Mettan et sur ses chances de succès.
Guy Mettan est député au Grand Conseil de Genève, le Parlement du canton genevois. Et il est parti en guerre contre les lanceurs de balles de défense (LBD). Employées par les forces de l'ordre depuis les début de la mobilisation des "gilets jaunes", ces armes sont accusées d'avoir mutilé de nombreux manifestants. Dans une interview à la chaîne RT France, mercredi 29 mai, cet élu suisse a confirmé qu'il avait déposé une résolution demandant au Conseil fédéral d'agir en faveur d'une interdiction des exportations de LBD vers la France.
La France est le plus gros acheteur de LBD suisse
Car les LBD utilisés dans les rues françaises sont fabriqués par l'armurier helvète Brügger & Thomet, dont le siège social est implanté non loin de Berne, à Thoune. Et parmi les 25 pays qui importent des LBD de Suisse, la France est sur ces cinq dernières années le plus gros acheteur, comme le révèle le Conseil fédéral dans un avis rendu fin mars.
Mais "il existe une ordonnance fédérale sur l'exportation d'armes qui interdit de vendre des armes létales aux Etats en guerre d'une part et aux Etats qui les utiliseraient contre leur population civile d'autre part", relève Guy Mettan. Le député fait référence à l'ordonnance sur le matériel de guerre qui encadre depuis 1998 le commerce des armes de guerre dans son pays.
On peut estimer que l'usage intempestif de ces lanceurs de balle de défense fait par les forces de l'ordre dans certaines manifestations de 'gilets jaunes' enfreint cette ordonnance fédérale.
Guy Mettandans une interview à RT France
Le Conseil fédéral indique que "les demandes d'exportation sont évaluées au cas par cas" et que cette "évaluation se fonde sur les critères de l'article 5" de l'ordonnance. C'est lui qui fixe les motifs pour lesquels "l'autorisation concernant les marchés passés avec l'étranger et la conclusion de contrats (...) n'est pas accordée".
Le commerce d'armes de guerre est donc exclu pour les entreprises suisses "si le pays de destination viole systématiquement et gravement les droits de l'homme". Ou "s'il y a de forts risques que, dans le pays de destination, le matériel de guerre à exporter soit utilisé contre la population civile".
Une arme considérée comme "matériel de guerre"
Au regard de la réglementation internationale comme nationale, le LBD est bien classé comme "matériel de guerre" relevant de la catégorie A2, au même titre que les autres "lanceurs" et "lance-projectiles" – le Défenseur des droits français n'a d'ailleurs pas manqué de le noter dans un rapport. Le LBD est également considéré comme "matériel de guerre" par la loi fédérale helvète sur le matériel de guerre, pointe le Conseil fédéral suisse dans son avis.
Le LBD n'est en revanche pas désigné comme une "arme létale", contrairement à ce que sous-entend le député helvète. Le LBD est "une arme dite sublétale", "c'est-à-dire conçue pour que la cible ne soit pas tuée", indique l'avis du Conseil fédéral suisse. Côté français, le Défenseur des droits l'écrit aussi dans son rapport : le LBD est un "moyen de force intermédiaire", à l'instar des Taser et Flash-Ball.
Selon la définition retenue par les autorités françaises et reprise par le Défenseur des droits, ces "'armes non létales', 'sublétales', 'semi-létales' ou encore 'à létalité réduite' ont vocation à offrir une solution intermédiaire entre l'inefficacité d'une intervention physique au moyen de gestes techniques et le risque de tuer au moyen d'une arme à feu". Mais ce critère de létalité n'entre pas en ligne de compte dans le débat suisse, car la loi fédérale sur le matériel de guerre "se borne à définir les armes indépendamment du risque spécifique de blessure qu'elles recèlent', souligne l'avis du Conseil fédéral.
Dans sa résolution mentionnée par le site Politis, Guy Mettan fait valoir que "la situation est aggravée par l'emploi par la France de munitions plus dangereuses et non conformes au mode d'emploi du fabricant suisse". Sous le feu des critiques après les premières mutilations imputées aux tirs de LBD, l'armurier helvète avait en effet révélé que "les munitions utilisées en France n'ont pas été conçues, fabriquées ni livrées" par ses soins. Cité par L'Express, il affirmait même qu'"en cas d'utilisation de munitions des autres fabricants, il y a le risque que la précision baisse et le risque de blessure augmente considérablement". Dans Capital, la police nationale, expliquant son choix, répliquait que les munitions suisses ne répondaient pas au cahier des charges français.
Une résolution avant tout "symbolique"
Une résolution adoptée à une écrasante majorité par les députés européens, mi-février, en pleine crise des "gilets jaunes", va dans le sens de Guy Mettan. Sans jamais mentionner la France, le Parlement européen y "condamne le recours à des interventions violentes et disproportionnées par les autorités publiques lors de protestations et de manifestations pacifiques". Une première version du texte critiquait même explicitement "le recours à certains types d'armes à létalité réduite par les forces de police contre des manifestants pacifiques. Et demandait "l'interdiction du recours à certains types d'armes et dispositifs à létalité réduite", dont le LBD 40.
Les conclusions d'un groupe d'experts des droits de l'homme des Nations unies, accablaient, elles, clairement la France, à la mi-février. Ceux-ci dénonçaient de "sévères restrictions à la liberté de manifester" et accusaient notamment Paris d'un "usage disproportionné d'armes dites 'non-létales'", dont les LBD.
Guy Mettan reconnaît toutefois que son "action" est avant tout "symoblique" et fait observer qu'"une résolution n'a pas la même force qu'une loi". Il remarque en outre que "la procédure fait que le traitement de cette résolution va prendre du temps". Il l'évalue à 6 voire 18 mois. La régulation des ventes de matériel de guerre fait débat en Suisse, constate Le Temps. Le Conseil national, la chambre basse, voulait transférer ce pouvoir d'autorisation d'exportations d'armes au Parlement, mais mi-mars le Conseil des Etats, la chambre haute, s'y est opposé.
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