"On ne va pas tenir encore très longtemps" : pourquoi les policiers interpellent Emmanuel Macron sur les "gilets jaunes"
Les forces de l'ordre disent avoir "frôlé la catastrophe" samedi dernier et s'inquiètent pour la suite de la mobilisation.
Deux jours après "l’acte III" de la manifestation des "gilets jaunes" à Paris, les forces de l’ordre doutent. La stratégie mise en place face aux émeutiers était-elle la bonne ? Le dispositif adapté ? Les policiers et les gendarmes étaient-ils suffisamment bien équipés ? Cela fait trois semaines que les "gilets jaunes" se mobilisent et les policiers fatiguent, leur moral baisse. Ils plaident désormais leur cause auprès du gouvernement.
"On doit changer de méthode pour tenir bon"
Dès samedi 1er décembre, plusieurs représentants syndicaux rappelaient avec prudence que le maintien de l’ordre n’est pas "une science exacte". Que la gestion des manifestations de "l’acte III" allait s’avérer délicate.
Le 1er décembre, David Le Bars, le secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale, notait à l’antenne de franceinfo que s'il y avait à priori "suffisamment de forces" il allait falloir pour les policiers "être prudents, mobiles, disponibles sur la longueur de la journée."
Un des enjeux de la journée était la sécurisation des Champs-Élysées, à la suite des affrontements qui s’y étaient déroulés le 24 novembre. Une attention particulière avait été portée à l’évacuation du matériel de chantiers et du mobilier sur place pouvant servir de projectile ou à l’érection de barricades. Mais les forces de l’ordre ont été débordées par la multiplication des points chauds dans la capitale admet David Le Bars : "Je crois que l'intégralité de l'avenue des Champs-Elysées était quasiment nettoyée, après, il est difficile d'envisager de vider intégralement la ville de Paris."
La solution, on ne l'a pas
David Le Barsà franceinfo
Autre faiblesse du dispositif policier : l’immobilisation sur des positions, loin des échauffourées, d’une partie des effectifs. David Michaud, secrétaire national CRS pour le syndicat UNSA Police, a déploré lundi sur franceinfo que "des compagnies de CRS [soient] restées en point fixe, et à aucun moment n'ont été utilisées." "On les a contraints à rester en point statique autour de l'Assemblée nationale, Matignon et l'Élysée" explique le syndicaliste. Le résultat s’est fait sentir dès la matinée de samedi à l’Arc de Triomphe, les CRS présents étaient trop peu nombreux pour garder le contrôle du monument.
"Ça fait deux semaines que les pouvoirs publics imaginent que les 'gilets jaunes' vont venir dans un périmètre contrôlé et sécurisé, analyse David Le Bars, le secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale, mais il faut en tirer les conséquences : ils ne viennent pas sur ces périmètres-là. Il faut arrêter d'essayer de les y cantonner." Une nouvelle stratégie donc, en prévision d’un potentiel quatrième samedi de manifestation des "gilets jaunes" à Paris, le 8 décembre.
"On doit changer totalement de méthode pour tenir bon", plaide-t-il. Une adaptation supplémentaire à la forme que prennent ces émeutes, après le refus des manifestants de demander l’autorisation de défiler aux autorités, et de se soumettre à un parcours balisé par la préfecture.
Mais David Le Bars le reconnaît : "Il n'y a pas énormément de marge de manœuvre, puisqu'il n'y a pas énormément de temps pour adapter un dispositif" d’ici samedi prochain.
"On est mal équipés"
Sensés être utilisés pour se dégager de situations difficiles ou pour tenir à distances des manifestants violents, souvent critiqués pour leur dangerosité, les grenades lacrymogènes, les canons à eau et autres flashballs font partie de l’arsenal des forces de maintien de l’ordre.
Samedi, ces armes dites "non létales" ont été très utilisées par les CRS et les unités de gendarmes mobiles. "10 000 grenades rien que sur la partie CRS. On était dans une situation où on risquait d’être mis en échec" raconte David Michaux secrétaire national CRS pour le Syndicat UNSA Police, "on s'est retrouvés pendant un laps de temps à court de munitions. On a été obligés de faire venir des réserves nationales. C'est extraordinaire."
"On est mal équipés ! abonde David Le Bars. "La police est une institution qui s'est paupérisée. On voit qu'on est en situation limite en ce qui concerne certaines munitions."
"On n'en peut plus"
La conséquence de ces faiblesses tactiques et matérielles se ressent sur les policiers et les policières. Philippe Capon, le secrétaire général d’UNSA-Police prévient : "On ne va pas tenir encore très longtemps". Pour lui, samedi dernier, "on a frôlé la catastrophe".
Dès samedi, Yves Lefebvre, membre du syndicat Unité SGP Police FO se plaignait de l’état physique des troupes: "Les forces de l'ordre sont au bout du rouleau. Mes collègues sont déployés quasiment 24 heures sur 24. On n'en peut plus."
Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat SGP Police-Fo déplore la mise en danger des fonctionnaires de police : "Il y a eu des collègues qui ont été blessés […] lynchés et ils ne doivent leur survie qu'à leur protection matérielle, et à la volonté de quelques 'gilets jaunes' de les sortir de là."
David Le Bars confirme cette mauvaise forme générale : "Depuis dix jours, les forces CRS n'ont plus le temps de se reposer, et dorment à peine quatre heures." Un rythme insoutenable pour le syndicaliste : "On a des collègues qui font plus de cent heures d'heures supplémentaires en même pas dix jours. Ça devient une folie. Les collègues sont usés."
Un message à l'exécutif
"Je sors de mon devoir de réserve", reconnaît Yves Lefebvre mais "j'en appelle au président de la République, parce que les flics ne vont pas servir de dernier bastion quitte à laisser leur peau."
Pour beaucoup le soutien affiché du gouvernement aux forces de l’ordre ne convainc pas. Un sentiment résumé par Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat SGP Police-Fo : "Les saluts, les remerciements, les félicitations rhétoriques et théoriques ne suffisent plus."
David Le Bars confirme : "Nous souhaitons que le président entende que les forces de l’ordre ne pourront pas à elles-seules, régler la problématique de mouvements radicalisés."
L’appel a-t-il été écouté ? Emmanuel Macron s'est rendu dans une caserne du 20e arrondissement de Paris lundi midi. Le président de la République est allé à la rencontre des gardiens de la paix, des officiers, des CRS d'unités originaires des régions en mission à Paris. Selon les informations recueillies par franceinfo, Emmanuel Macron a voulu leur témoigner de son soutien et échanger avec eux sur les évènements du 1er décembre et les difficultés rencontrées sur le terrain.
Le président de la République était notamment accompagné du ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, du secrétaire d'État Laurent Nuñez, du préfet de Paris Michel Delpuech et d'Éric Morvan, le directeur général de la police nationale.
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