Cet article date de plus de deux ans.

Vrai ou faux Les 7,6 milliards dépensés pour la remise sur le carburant représentent-ils deux ans et demi d'investissements dans le réseau ferroviaire ?

Si l'on en croit les chiffres donnés par le ministre délégué aux Transports, la ristourne accordée à la pompe coûte effectivement à l'Etat l'équivalent de 2,6 fois le montant des investissements annuels dans le rail. Une enveloppe qui aurait pu servir à financer massivement des transports plus écologiques.

Article rédigé par Quang Pham
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une station-service à Toulouse (Haute-Garonne), le 8 octobre 2022.
 (FREDERIC SCHEIBER / HANS LUCAS / AFP)

Baisser les prix à la pompe, quoi qu'il en coûte. Elisabeth Borne a annoncé, dimanche 16 octobre, une prolongation de la remise actuelle de 30 centimes par litre de carburant "jusqu'à mi-novembre", alors que le prix du sans plomb 95 a augmenté de plus de sept centimes et le gazole de près de 12 centimes d'euro la semaine dernière.

Les deux semaines de ristourne supplémentaires (cette aide devait initialement être réduite à 10 centimes le 1er novembre) vont coûter près de 440 millions d'euros à l'Etat, selon Les EchosDepuis le mois d'avril, près de 7,6 milliards ont déjà été budgétés pour financer ce coup de pouce (18 centimes de rabais par litre d'avril à août, puis 30 centimes depuis septembre).

Face au coût de cette mesure, des voix s'élèvent : l'argent du contribuable n'aurait-il pas pu être mieux dépensé ? Sur Twitter, Michel Magniez, maire adjoint chargé de l'environnement et du développement durable à Saint-Quentin (Aisne), sort la calculette : "Pour financer l'achat de carburant par les automobilistes durant quelques mois, l'Etat a dépensé l'équivalent de tout ce qu'il investit pour le réseau ferroviaire durant deux ans et demi !" Le budget consacré à la remise sur les carburants représente-t-il réellement l'équivalent de plusieurs années d'investissements dans le rail ou d'autres mobilités alternatives, comme l'affirme cet élu ?

Dans son propos, Michel Magniez fait référence à une déclaration de Clément Beaune, ministre délégué aux Transports, au Sénat le 12 octobre. Interrogé sur la modernisation du transport ferroviaire, le ministre a expliqué qu'un "effort budgétaire extrêmement important", chiffré à "2,9 milliards par an sur 10 ans", est bien prévu par le gouvernement. Un engagement pris dans le cadre du contrat de performance signé entre l'Etat et la SNCF, qui fixe le montant d'investissements publics consacré à la rénovation du réseau ferroviaire pour la période 2021-2030. Les 7,6 milliards d'euros qui servent à financer la remise sur le carburant depuis plusieurs mois, comparés à ce budget, représentent effectivement l'équivalent de 2,6 fois la somme des investissements annuels dans le rail.

Un million de primes à la conversion

Mais au-delà du seul transport ferroviaire, les milliards dédiés à la ristourne auraient pu permettre de financer d'autres types de transports. Comme par exemple "quinze ans d'un plan vélo ambitieux, d'un coût annuel de 500 millions d'euros", selon Valentin Desfontaines, responsable des mobilités durables pour l'association Réseau action climat. Selon les calculs du Monde, avec une telle enveloppe, il est aussi possible de construire des dizaines de milliers de kilomètres de pistes cyclables ou des centaines de parcs photovoltaïques.

"Ce budget de 8 milliards, c'est également le financement d'un million de primes à la conversion, d'un montant de 8 000 euros, pour l'acquisition d'un véhicule moins polluant", pointe Valentin Desfontaines. Selon une étude de Réseau action climat (page 36, en PDF) publiée le 18 octobre, une prime d'un tel montant, ajoutée au dispositif actuel de bonus écologique et d'aides locales, permettrait à un ménage aux revenus modestes d'acquérir une voiture électrique citadine pour seulement 1 000 euros. "Si on s'y était pris plus tôt pour transformer la mobilité, on aurait pu réduire la dépendance à la voiture" thermique, regrette Valentin Desfontaines en énumérant les projets qui auraient pu être financés avec le budget de la remise carburant. "Ceci aurait évidemment limité l'impact de la hausse du prix des carburants sur les ménages, mais également sur le budget de l'Etat."

L'aide sur le carburant, une politique "court-termiste"

Mais face à l'urgence de la crise énergétique, le gouvernement avait-il d'autres choix que de subventionner les carburants ? "Pour lutter contre l'inflation, la plupart des pays européens ont mis en place un bouclier tarifaire", concède Anna Creti, économiste spécialisée sur les sujets énergétiques. L'Allemagne et l'Espagne ont par exemple instauré une baisse des taxes ou une subvention permettant de diminuer les prix à la pompe d'environ 20 centimes par litre.

"Le message n'est pas qu'il ne fallait pas faire d'aide, mais plutôt qu'il fallait cibler les ménages modestes", tient à préciser Valentin Desfontaines. Si la remise sur le carburant a été "extraordinairement coûteuse", selon Mireille Chiroleu-Assouline, c'est "parce qu'elle a profité à tous. Les ménages les plus aisés auraient pu très bien s'adapter et moins utiliser leurs véhicules", assure l'économiste, spécialiste de l'environnement. Selon une note du Conseil d'analyse économique (en PDF) publiée en juillet, la remise sur le carburant a bénéficié deux fois plus aux ménages français les plus aisés qu'aux ménages les plus modestes (18,50 euros contre 9,50 euros). Le gouvernement réfléchit d'ailleurs à une aide plus ciblée à partir de janvier 2023.

La ristourne sur le carburant ne peut de toute façon être envisagée que comme une solution "court-termiste", souligne Anna Creti. "Accorder un bonus sur le carburant ne procure aucun bénéfice à long terme", contrairement aux investissements sur les transports alternatifs. Le prix du pétrole va qui plus est se maintenir à un niveau élevé, prévient l'économiste, du fait de "l'embargo sur le pétrole russe et de la baisse de la production de l'Opep". Sans stratégie pour atténuer la dépendance à la consommation de carburant, "il y aura donc un moment où on se prendra dans la figure une augmentation des tarifs", prévoit Anna Creti. "Chacun comprendra aussi que nous ne pouvons pas conserver de manière définitive une mesure qui est aussi une incitation à consommer du carburant, donc des énergies fossiles", a déjà prévenu Bruno Le Maire au micro de BFMTV le 17 octobre. A l'heure actuelle, la fin du dispositif de la subvention sur les carburants est fixée au 31 décembre.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.