Cet article date de plus de six ans.

Sur les réseaux sociaux, dans les gares... Comment les grévistes de la SNCF veulent gagner la bataille de l’opinion

Les cheminots grévistes, opposés à la réforme de la compagnie ferroviaire, multiplient les actions pour gagner à leur cause l'opinion publique et les voyageurs. Franceinfo est allé à leur rencontre, à Paris. 

Article rédigé par franceinfo - Mahaut Landaz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Un cheminot en grève distribue des tracts aux voyageurs, mercredi 11 avril, à la gare du Nord, à Paris.  (MAHAUT LANDAZ / FRANCEINFO)

"À part une dame qui m’a dit de retourner bosser, l’accueil est plutôt positif !" Il est 7h30, mercredi 11 avril, et une douzaine de cheminots en grève, répartis dans les couloirs de la gare du Nord, vont, tracts à la main, à la rencontre des voyageurs. Benoît, cheminot depuis 1999, fait partie du comité de mobilisation de Paris Est, composé d’une dizaine de grévistes, syndiqués ou non. 

Comme cet agent de départ, des dizaines de grévistes s'activent en gare ou sur les réseaux sociaux pour tenter de remporter la bataille de la communication engagée face au gouvernement. Tracts rédigés spécifiquement à l'attention des voyageurs, coordination sur Twitter ou Facebook, discours sur la défense des services publics pour "fédérer les mécontentements" : l'objectif pour eux est de faire passer leur message auprès d'usagers touchés par la grève perlée qui entre, vendredi 13 avril, dans son cinquième jour de mobilisation. 

Car l'opinion publique semble partagée. Les sondages publiés ces dernières semaines indiquent tantôt un soutien aux grévistes, tantôt un appui à la réforme et à la politique du gouvernement. Une chose est sûre : entre les deux camps, la bataille de l'opinion est lancée et les cheminots en grève sont déterminés à la gagner. 

Bataille de hashtags sur Twitter

Pour mettre en place leurs opérations de communication sur les réseaux sociaux, les cheminots grévistes de Sud-Rail se coordonnent via des groupes de discussion privée. L'un des community managers du syndicat, par ailleurs responsable fédéral, explique par exemple à franceinfo comment les différents comptes Twitter et Facebook des sections de Solidaires ont repris à leur compte un hashtag populaire. "#JeSoutiensLaGrèveDesCheminots, je l’avais vu passer sur Twitter, je l’ai envoyé sur le groupe de discussion privé. (...) On s’est mis tous ensemble pour le faire monter en le mentionnant dans toutes nos publications." Et dès le 1er avril, le mot-dièse a fait son apparition chez Solidaires Etudiants, avant d'être repris par Sud-Rail puis par les comptes d'autres branches du syndicat. 

Le community manager de Sud-Rail est toutefois bien conscient que le hashtag a bénéficié de l'exposition et de l'écho de personnalités politiques très suivies, comme Cécile Duflot (1 100 retweets) ou Benoît Hamon (758 retweets), et de partis politiques, notamment La France insoumise et le PCF. Ce vivier de personnes et d'organisations de gauche particulièrement mobilisées sur les réseaux sociaux, qui ont repris à leur compte la contestation des cheminots, a évidemment joué un rôle de caisse de résonance. Et la mobilisation politique peut aller plus loin. Le responsable des réseaux sociaux explique être en contact avec des responsables de La France insoumise, qu'il "appelle parfois", pour se coordonner. 

La veille du premier jour de la grève intermittente, le hashtag s'est hissé dans les "trending topics" sur Twitter, les sujets les plus discutés du réseau social, contrairement à son pendant négatif #JeNeSoutiensPasLaGrèveDesCheminots.

Des actions concertées sur les réseaux sociaux

Chez Sud-Rail, les grévistes ont compris qu'il "faut bien se mettre un peu à la page" en exploitant les réseaux sociaux qui permettent à leurs argumentaires de "faire le tour du monde en cinq secondes". Leurs community managers utilisent des outils d’analyse de performance des tweets pour déterminer à quelle heure leurs messages peuvent atteindre le plus grand nombre ou quels sont "les hashtags qui fonctionnent". Les jours de grève, l'activité sur les réseaux sociaux occupe notre interlocuteur "quasiment en continu". "Globalement, on se tient au courant de ce qu’on a tweeté, du petit hashtag qui va bien", assure-t-il.

De nombreux comptes Twitter de branches syndicales, comme "Tui CGT" ou "Sud Rail Centre", qui comptent chacun plus de 4 000 abonnés, sont particulièrement actifs pour relayer des posts de soutien aux grévistes. Surtout, ils s'organisent pour répondre massivement aux sondages mis en ligne par les médias, appelant leurs followers à se prononcer en faveur des grévistes.  


"Les comptes des anti-grèves font pareil", 
se défend le responsable du compte de Sud-Rail. Et pourquoi y mettre autant d'énergie ? Lui estime que les consultations en ligne, bien que peu rigoureuses, permettent "de voir l’état de l’opinion". Du côté de la CGT, on ne se cache pas non plus de mener des opérations concertées. A franceinfo, l'animateur du compte Tui CGT affirme ainsi que "le gouvernement s’est engagé dans une bataille de la com' avec le soutien des médias dominants". Le but de cet animateur est de "contrecarrer ce monopole en détournant leurs outils." 

Un mode d'action qui n'est pas inédit pour les mouvements politisés nés avec les nouvelles technologies, mais que les syndicats ont mis du temps à s'approprier. Pour Stéphane Olivesi, professeur en sciences de l'information et de la communication et auteur de La communication syndicale (Presses universitaires de Rennes, 2013), leur présence sur Twitter permet surtout aux cheminots de "se faire entendre par les médias".

Ces actions concertées sur les réseaux sociaux sont vraiment nouvelles.

Stéphane Olivesi, spécialiste de la communication syndicale

à franceinfo

Des interventions sur Twitter et Facebook

Chez les grévistes, il n'y a pas que les syndicats qui se mobilisent. Stéphane Vardon, plus connu sous le nom de PM733 auprès de ses 4 776 abonnés, fait partie de la "Team SNCF", ces agents ferroviaires qui utilisent Twitter quotidiennement pour informer les voyageurs. Depuis le début de la grève, il utilise son compte pour communiquer sur les raisons de la mobilisation. Et, dit-il, pour combattre "les idées reçues sur les cheminots". 

"De nombreux voyageurs disent ne pas comprendre qu'on fasse grève parce que notre statut ne changera pas. Sur mon compte, je peux expliquer que notre mobilisation va au-delà de la défense du statut, je parle de la dette ferroviaire, qui n’est pas pour moi celle des cheminots, mais celle de l’aménagement du territoire", énumère-t-il.

Même combat sur Facebook pour Wael, conducteur de Transilien depuis deux ans, qui est allé jusqu’à partager son bulletin de salaire avec des utilisateurs qui le traitent de privilégié. "Je voulais leur prouver qu’ils sont loin du compte", explique-t-il à franceinfo.

Sécurité, prix des billets : des arguments à destination des voyageurs

Mais la bataille de l’opinion, c'est aussi sur le terrain que les cheminots veulent la mener. Et notamment dans les gares. Torya Akroum, agent de circulation, a monté avec une dizaine de collègues le comité de mobilisation de Paris-gare de l’Est. Tournées des postes, sorties de gares... Regroupant environ une dizaine de grévistes chacun, ces comités organisés dans les principales gares parisiennes, à l’exception de Montparnasse, multiplient les actions.

Une cheminote en grève discute avec un voyageur opposé au mouvement social, mercredi 11 avril 2018, à la gare du Nord, à Paris. (MAHAUT LANDAZ / FRANCEINFO)

Mercredi 11 avril, la distribution de tracts à la gare du Nord a été l’occasion de prendre le pouls des usagers touchés par les suppressions et les retards de trains. À plusieurs reprises, des voyageurs leur tapent dans le dos, en signe de soutien. D'autres viennent réclamer un tract. Auprès des usagers, les grévistes ciblent les arguments.

On insiste sur le prix des billets et la sécurité. Dans une logique de rentabilité, la sécurité est mise en balance avec les profits. Dire ça, ça fédère davantage les usagers que de dire que le gouvernement va toucher à notre convention collective.

Brice, conducteur sur le réseau Île-de-France

à franceinfo

D’autres voyageurs, à peine sortis d'un train bondé, en profitent pour faire part de leur colère et de leur opinion sur le mouvement. "Une dame vient de me dire que je partais en retraite à 50 ans, que j’avais 28 jours de RTT et cinq semaines de congés. C’est complètement faux !" déplore Wael, qui lui a proposé de "s'arrêter pour discuter cinq minutes". Mais la voyageuse est partie avant qu'il ne puisse lui "prouver" que ces arguments sur le statut des cheminots ne sont "pas vrais". 

Benoît, agent de départ en grève, distribue des tracts aux voyageurs de la gare du Nord, à Paris, mercredi 11 avril 2018.  (MAHAUT LANDAZ / FRANCEINFO)

La défense des services publics mise en avant

Des "préjugés" que les syndicats s’appliquent aussi à combattre. La CGT Cheminots a édité le deuxième numéro d’un journal, La vraie info, à un million d’exemplaires. L'objectif affiché est de convaincre les usagers de la SNCF. Mais pas seulement. Le syndicat va plus loin : "les actions de diffusion sont très importantes, car les gens voient qu’on se bouge et ça motive les travailleurs de la santé ou les éboueurs, par exemple, à rejoindre la grève", veut croire l’un des cheminots de Paris Est.

Quelques jours plus tôt, Benoît est allé tracter avec d'autres cheminots devant le dépôt de bus de la porte de Clignancourt, tentant de convaincre les agents RATP de rejoindre leur mouvement. "Au niveau du Code du travail, si nous on tombe, ils vont tomber aussi, estime Benoît. C’est un message global, pas juste axé sur notre organisation."

Et l'élargissement du mouvement social pourrait jouer en leur faveur auprès des Français, explique Stéphane Olivesi. 

Stratégiquement, élargir le discours aux services publics en général est une posture obligée. Ils ne peuvent pas dire : ‘On roule pour nous’.

Stéphane Olivesi, spécialiste de la communication syndicale

à franceinfo

"Si leur mouvement passe pour une grève corporatiste, la perception sera moins positive", poursuit le spécialiste de la communication. Les cheminots interrogés par franceinfo semblent avoir fait leur la formule du journaliste Laurent Joffrin dans Libération, qui estime qu'ils peuvent l'emporter s'ils parviennent "à transformer leur mobilisation en référendum sur le libéralisme". 

Pour s'allier l'opinion, les cheminots tentent par ailleurs de renouveler leurs modes d'action. Si des usagers leur enjoignent de faire la grève "par gratuité", en faisant rouler les trains sans contrôler les voyageurs, pour ménager les Français, la réponse des cheminots est catégorique : "C'est l'illégalité totale. On risque gros, on pourrait vraiment se faire virer", explique Wael. En revanche, les comités de mobilisation parisiens réfléchissent à une action "péage gratuit", comme l'ont fait leurs collègues de la CGT de Versailles et de Trappes, sur l'A13 à Buchelay (Yvelines), le 8 avril. Une "opération séduction", comme la qualifie Torya. Et samedi, à la gare de Lyon, un "barbecue citoyen" doit avoir lieu, à l'initiative de la CGT. Un retour aux bonnes vieilles méthodes. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.