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Les prix des billets de TGV ont-ils vraiment baissé, comme l'affirme la ministre des Transports ?

Elisabeth Borne a assuré début juillet que le prix de billets de TGV avait diminué "globalement". La SNCF le confirme. Mais il s'agit d'une moyenne et la réalité est plus complexe, souligne la Fédération nationale des usagers de transports.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 13min
Des voyageurs à l'arrivée du TGV Ouigo Paris-Toulouse en gare de Toulouse-Matabiau, le 6 juillet 2019. (MAXPPP)

"Globalement, les prix des TGV baissent depuis plusieurs années." Cette affirmation de la ministre des Transports vendredi 5 juillet sur franceinfo, en pleine période de départs en vacances, a du mal à passer du côté de nombreux usagers de la SNCF. Elisabeth Borne "ne doit pas prendre le TGV souvent", ironise l'eurodéputée insoumise Manon Aubry. "Je voyage en TGV 8 fois par mois depuis six ans et je peux vous dire que les prix s’envolent", assure un internaute"Les prix étant de plus en plus opaques, on ne peut pas vérifier. C’est pratique", estime un autre. "Tout est dans le 'globalement'. Tout le monde sait que c'est faux, mais 'globalement', on peut dire ça", juge un troisième

Contactée par franceinfo, la SNCF confirme les propos de la ministre. "Les prix de la grande vitesse ont baissé de 6% en quatre ans", TGV et Ouigo confondus, confirme la compagnie. Le problème, pointait un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable datant de 2016, c'est qu'il y a un "décalage entre les annonces de l’entreprise en matière de 'petits prix' et le ressenti des usagers". Alors, vrai ou fake ?

Des prix (un peu) encadrés par l'Etat

En France, l'Etat encadre les tarifs pratiqués par la SNCF. Un arrêté définit un tarif de base général. Celui-ci, déterminé pour chaque liaison ferroviaire, correspond au prix du voyage en seconde classe. Selon le rapport parlementaire rendu par Hervé Mariton en 2008, la SNCF a ainsi fait homologuer par l'Etat 500 tarifs.

Mais le législateur autorise aussi l'entreprise à pratiquer le tarif réglementé de référence. Ce que la compagnie fait pour chaque liaison ferroviaire. D'après l'arrêté, ce tarif réglementé de référence est "égal à 1,4 fois" le tarif de base général. Et c'est à partir de ce tarif réglementé de référence que la compagnie élabore l'ensemble de sa grille tarifaire. 

L'Etat fixe toutefois un plafond à cette grille tarifaire : le prix le plus élevé pour un voyage en seconde classe, c'est-à-dire le plein tarif, ne doit pas dépasser 1,5 fois le tarif réglementé de référence. Par exemple, pour un tarif de base général de 100 euros, le tarif réglementé de référence peut être de 100 x 1,4 soit 140 euros, et le plein tarif de 140 x 1,5 soit 210 euros. 

L'Etat veille également à ce que la SNCF propose des prix inférieurs au tarif réglementé de référence. L'arrêté prévoit qu'au moins 50% des billets vendus en un an pour des voyages en seconde classe doivent être inférieurs ou égaux à ce tarif réglementé de référence. Et ces tarifs réduits doivent représenter au moins 10% des billets vendus sur les trains partant entre le vendredi midi et le samedi midi, et entre le dimanche midi et le lundi midi, soit les jours de départ et de retour privilégiés pour les week-ends et les vacances.

Ce tarif de référence est peu contraignant.

Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des usagers des transports

à franceinfo

"La régulation tarifaire actuelle cherche à remplir un double objectif", analysait en 2013 Patricia Perennes, chercheuse au centre d'économie de la Sorbonne. D'une part, "s’assurer que le tarif maximum d’un trajet ne soit jamais excessif du fait de préoccupations de service public". D'autre part, "permettre à la SNCF d’avoir des tarifs commerciaux sur une partie de son offre".

Toujours plus de billets "à petit prix"

La SNCF explique à franceinfo que si elle "arrive à faire baisser le prix moyen" de ses billets de TGV, c'est parce qu'elle misent sur "une stratégie de volume", en proposant des voyages moins chers "par le biais des cartes de réduction et du low cost avec Ouigo".

Depuis plusieurs années, l'entreprise développe son offre de billets "à petits prix". Est considéré comme tel par la SNCF, un billet de train à moins de 50 euros, et qui n'est pas plus de 20% plus cher que ce qu'un voyageur aurait déboursé pour réaliser le même voyage en covoiturage. En 2018, un rapport de la SNCF constatait cette tendance. La vente de billets "à petits prix", TGV comme Ouigo, n'a cessé de progresser, passant de 37,6% des ventes en 2016, à 39% en 2017, puis à 42,6% en 2018.

En 2016 déjà, avant que cette définition du billet "à petit prix" ne soit adoptée par l'entreprise sous l'impulsion des recommandations du Conseil général de l'environnement et du développement durable, le rapport de cet organisme relevait une forte progression du nombre de ces billets "à petits prix" : +55% en trois ans depuis 2012. La SNCF en revendiquait 22,1 millions pour 2015. Le Conseil général de l'environnement et du développement durable, 17 millions, selon ses critères. Quelques millions de moins, mais pas de quoi "remettre en cause la réalité de la dynamique".

Ces billets "à petits prix" concernent une part non négligeable des voyageurs, note un spécialiste de l'économie ferroviaire, interrogé par franceinfo. "Sur environ 100 millions de passagers transportés chaque année par la SNCF dans ses TGV, chaque pourcentage de billets 'à petits prix' vendus correspond à un million de voyageurs bénéficiant de ces 'petits prix' en plus."

Mécaniquement, si les ventes de billets "à petits prix" augmentent le prix moyen du billet baisse.

Un spécialiste de l'économie ferroviaire

à franceinfo

Cette stratégie du TGV low cost a cependant ses limites, objecte Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut), sollicité par franceinfo"Les Ouigo concernent les liaisons radiales, entre Paris et les grandes villes de province, et pas les liaisons transversales. Ces trains low cost ne bénéficient donc pas à une partie de la population."

De grands écarts de prix entre les destinations

Comme le reconnaît la ministre des Transports, cette baisse des prix des billets TGV est "une moyenne". Et celle-ci cache bien des disparités. En avril, Que Choisir a analysé les tarifs pratiqués par la SNCF sur 78 trajets directs en TGV, en calculant leur prix au kilomètre. Celui-ci n'a augmenté que pour les trajets de 3 à 4 heures, passant de 0,14 euro/km en 2017 à 0,16 euro/km en 2019. Et il a baissé – voire stagné – pour tous les autres types de trajets, plus courts comme plus longs.

Les trajets courts – moins deux heures – sont les plus chers, à 0,18 euro/km. Les trajets moyens – moins de trois ou quatre heures – coûtent respectivement 0,15 euro/km et 0,16 euro/km. La palme du trajet le plus coûteux revient au Paris-Le Mans, à 0,29 euro/km pour un voyage de 57 minutes, quand celle du moins cher est décernée au Paris-Nice, à 0,07 euro/km, pour 5h52 de train.

Surtout, Que Choisir fait un étonnant constat : sur les 78 liaisons étudiées, le prix au kilomètre a baissé pour 39 d'entre elles, soit la moitié précisément. Mais une fois de plus, cette diminution n'est pas uniforme. La baisse est de 63% pour un Bordeaux-Toulouse, à 0,09 euro/km, mais de 3% pour un Paris-Biarritz, à 0,13 euro/km. Quant aux 38 liaisons pour lesquelles la revue a mesuré une hausse, cette dernière est comprise entre 1% pour un Paris-Quimper, à 0,15 euro/km et 71% pour un Paris-Charleville-Mézières, à 0,21 euro/km. Seul Paris-Chambéry n'a pas connu de fluctuation tarifaire, à 0,18 euro/km.

La pertinence de cette méthode de calcul est toutefois à relativiser. Car, comme le reconnaît Que Choisir, cette tarification au kilomètre n'est plus la seule pratiquée par la SNCF, qui a mis en place des règles de calcul bien plus compliquées. 

Un "yield management" complexe et secret

Depuis 1993, la SNCF pratique le "yield management", comme l'exposaient en 2013 les chercheurs de l'université de Lille et du CNRS Thomas Delclite et Jean Finez. Le prix du billet de TGV n'est plus fixé en fonction du seul critère du kilomètre parcouru : il tient compte des dates et horaires du voyage, ainsi que de l'affluence théorique à ces heures et jours (voyager en "période de pointe" coûtera plus cher qu'en "période normale").

Ce "yield management" fait qu'un même billet ne coûtera pas le même prix en fonction du taux de remplissage du train et donc, du jour d'achat du billet : plus la date du voyage approche, plus le train se remplit, et donc moins il reste de places et plus celles-ci sont chères. Enfin, les éventuelles réductions tarifaires liées au statut des clients (jeunes, seniors, familles, abonnés week-end...) ajoutent une couche supplémentaire à ce mille-feuille tarifaire.

C'est la loi de l'offre et la demande. Les trains plus demandés sont plus chers, les trains moins demandés sont moins chers ; Paris-Lyon est en moyenne plus cher que Paris-Bordeaux.

Un expert de l'économie du rail

à franceinfo

"L'avantage du 'yield management' est qu'on peut proposer des petits prix. On incite les gens à prendre les trains les moins remplis aux horaires les moins avantageux", argumente le spécialiste de l'économie du rail. "Le 'yield management' a permis de faire progresser le trafic grandes lignes, d'accroître le taux de remplissage des TGV et d'augmenter les recettes de l'entreprise", résumaient les deux universitaires.

Dans leur étude, les deux chercheurs notaient "la remarquable complexité du système de tarification de la SNCF". Ils dénombraient ainsi 37 tarifs différents sur un Paris-Marseille et une moyenne de 3 à 5 paliers tarifaires différents pour chaque type de billet. "La diversité tarifaire proposée par l'entreprise pour chaque ligne reste restreinte au regard des pratiques que l'on peut observer dans d'autres secteurs comme l'aérien ou l'hôtellerie", concédaient-ils. 

Une nouvelle gamme tarifaire plus simple, mais qui ne change pas la perception

En mai, la SNCF a (un peu) simplifié sa gamme tarifaire. Le groupe n'offre plus que trois tarifs, seconde, première et business première dans ses TGV, hors Ouigo. Et il n'y a plus qu'une tarification par train dans chacune de ces trois classes. Les cartes de réduction (Avantage Week-end, Avantage jeune...) garantissent toutes, et pour tous les billets, une réduction de 30% pour le titulaire adulte (et le second adulte accompagnant le porteur de la carte), et éventuellement 60% pour les enfants (de 4 à 11 ans). Combien de tarifs différents la SNCF applique-t-elle désormais pour une même liaison ? Mystère. "Les paliers de prix relèvent du secret industriel", tranche l'expert du secteur ferroviaire.

La perception des clients, elle, ne change pas. "Les témoignages d'usagers que nous recevons concernent plus les hausses de tarifs que les baisses, euphémise Bruno Gazeau, président de la Fnaut. Quand les gens voyagent, ils le font plutôt en période de pointe : pendant le week-end et les vacances scolaires. Et forcément, comme ce sont les périodes les plus demandées, les prix des billets sont plus élevés."

On a aucun moyen de faire une analyse statistique des prix de la SNCF. C'est trop difficile.

Bruno Gazeau, président de la Fnaut

à franceinfo

"On observe le phénomène inverse, fait remarquer le spécialiste de l'économie ferroviaire. Quand la SNCF fait un prix unique, par exemple sur les TER, ses usagers disent : 'Pourquoi je paie le même prix alors que je suis un senior, un jeune, que je m'y suis pris à l'avance, que je voyage un mercredi...'" En outre, "si la SNCF pratique un prix unique, ses clients se porteront sur les trains qui  les arrangent du point de vue de l'horaire et délaisseront les autres trains". De plus, "le prix unique serait alors le prix médian : la moitié des clients auraient payé plus cher, la moitié auraient payé moins cher."

En 2014, un rapport de la Cour des comptes résumait l'équation complexe soumise à la SNCF. "Les prix des billets devraient être pratiquement deux fois plus élevés qu’aujourd’hui pour couvrir le coût des infrastructures." Mais "augmenter le prix des billets sera mal perçu par la clientèle qui trouve déjà le TGV cher et risque donc de s’en détourner encore plus. Inversement, chercher à attirer une clientèle supplémentaire par des tarifs promotionnels peut accroître la fréquentation sans hausse des recettes."

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