: Reportage Dans le train de 5h26 entre Limoges et Paris, "c'est un peu la surprise à chaque fois"
Dans la rame quasiment vide de l'Intercités entre Limoges et Paris, rares sont les voyageurs qui ont les yeux ouverts ce mercredi matin à 5h30. Ceux qui viennent de monter à bord avancent en scrutant les numéros inscrits au-dessus des sièges pour trouver leur place. Une Limougeaude s'installe. Cette assistante en maîtrise d'ouvrage fait du télétravail deux jours par semaine à Limoges et doit se rendre à Paris les trois jours suivants. "Il n'y a pas assez de trains entre 5 heures et 9 heures, des retards très fréquents et on a perdu 30 minutes de trajet", énumère-t-elle. "On était à 2h50 il y a huit ans", quand elle a commencé à faire ces allers-retours. Aujourd'hui, les trains directs les plus rapides mettent 3h20 pour rejoindre Paris.
"On est censés être un département attractif pour les citadins, la qualité de vie, le prix au m2... Mais c'est presque plus facile d'aller dans les Pyrénées que de rejoindre Paris."
Une passagère du Limoges-Parisà franceinfo
Cette voyageuse qui souhaite rester anonyme n'est pas la seule à se plaindre de l'état de cet axe qui relie le centre de la France à Paris. La ligne "POLT" – pour Paris-Orléans-Limoges-Toulouse – a ligué les élus de tous bords, les grandes entreprises et les associations d'usagers contre elle. Tous se sont réunis devant la gare de Limoges, lundi 12 décembre, pour dénoncer les suppressions de trains, les retards et la durée des trajets qui ne cessent de s'allonger. "C'est le déclassement d'un territoire, et pas seulement de la ville de Limoges", a dénoncé le socialiste Christian Redon-Sarrazy, sénateur de la Haute-Vienne.
"Ce train, c'est devenu un boulet"
D'une voiture à l'autre, les passagers adoptent différentes positions pour essayer de s'endormir. Dans un carré famille, deux silhouettes se devinent sous des doudounes, les chaussures retirées. Cachée sous un bonnet à rayures et des écouteurs sur les oreilles, Florence Ormezzano tente de rattraper son déficit de sommeil. "J'ai été obligée de me réveiller à 3 heures du matin, raconte cette Francilienne qui est montée dans le train à Brive, une heure avant l'arrivée à Limoges. Mon compagnon habite à 45 minutes de Brive."
Le train qu'elle devait prendre vers 7 heures a été annulé. Une info découverte la veille au soir "en vérifiant l'heure du trajet". Ce voyage matinal (départ à 4h21) était donc sa seule option pour arriver à Paris à temps pour le travail. Le train suivant ne partait qu'en début d'après-midi. "Il y a pire dans la vie, j'ai un toit sur la tête, un travail... Mais c'est dommage qu'ils n'entretiennent pas cette ligne", lâche-t-elle avant de remettre ses écouteurs.
Pour l'instant, le train n'affiche que cinq minutes de retard. Mais personne n'ose se réjouir trop vite. Vers 6h30, les voitures font escale à Argenton-sur-Creuse. Françoise Raumer pose ses affaires sur le compartiment à bagage au-dessus de son siège et s'installe. "C'était un des trains les plus rapides, c'est devenu le boulet, assène-t-elle. Je soutiens le comité qui défend ce train."
Depuis plusieurs années, le comité de défense des trains à Argenton-sur-Creuse occupe régulièrement les voies pour demander à la SNCF d'assurer plus de dessertes dans cette gare. "Aujourd'hui la région est oubliée, déplore Françoise Raumer. Et on manque de tous les services..." Cette chargée de production profite d'ailleurs de son voyage à Paris pour prendre un rendez-vous chez un médecin spécialiste.
"C'est vraiment dommage qu'il y ait de moins en moins de trajets. C'est tellement agréable le train : on arrive en plein Paris."
Françoise Raumer, passagère du Limoges-Parisà franceinfo
A Châteauroux, vers 7 heures, Clément Daubord, intermittent du spectacle, prend place à son tour dans la rame. "C'est assez stressant de voyager sur cette ligne, c'est un peu la surprise à chaque fois", explique-t-il. Ce Castelroussin fait régulièrement des allers-retours à Paris pour des rendez-vous professionnels ou pour y prendre l'avion.
"La marge de correspondance est tout le temps diminuée, et la SNCF n'aide pas les voyageurs qui doivent ensuite prendre l'avion."
Clément Daubord, passager du Limoges-Parisà franceinfo
Pour autant, Clément n'envisage pas de quitter Châteauroux, où il a acheté une maison. "J'ai ma famille et mes amis ici. Il y a une certaine qualité de vie et le coût de la vie est plus intéressant. Mais la question des transports est un vrai problème."
"Ce mois-ci, c'est terrible"
Quelques rangs plus loin, une autre habitante de Châteauroux est assise à côté de son petit-fils. Elle l'emmène pour la journée "voir les illuminations de Noël à Paris". Théoriquement, elle a environ deux heures de trajet entre Châteauroux et Paris. Mais à l'arrivée en gare de Vierzon, la journée de tous ces voyageurs prend une nouvelle tournure. L'arrêt semble s'éterniser. Puis une annonce résonne dans le train : "Votre attention s'il vous plaît." Une voix explique dans les haut-parleurs que les conditions météorologiques empêchent le trafic entre Orléans et Etampes. Le train va être détourné par Nevers et aura "au moins 2h30 de retard".
Assise à côté de son petit garçon, la grand-mère est furieuse. "Si vous nous aviez prévenus dès le départ, je ne serais pas montée dans le train", lance-t-elle aux contrôleurs. D'autant qu'on lui annonce que son train de retour est supprimé. Il faudra prendre le suivant. "Je ne voulais pas rentrer trop tard, il a école demain", se désole-t-elle, en demandant à son petit-fils d'arrêter de jouer sur son smartphone.
"On est déjà dans une région enclavée, et ils suppriment des trains depuis des années. Ça devient de plus en plus difficile."
Une passagère du Limoges-Parisà franceinfo
Les télétravailleurs, habitués aux voyages perturbés, semblent à peine surpris par ce retard et continuent leurs tâches sur leurs ordinateurs portables. Simon Garret se dit tout de même "inquiet". "On se demande s'ils vont continuer à supprimer des trains ou si on peut espérer une amélioration", souffle ce consultant qui voyage presque chaque semaine à Paris. Il vient de rater un rendez-vous à 11 heures. "J'espère que je pourrais assurer celui de 14 heures", glisse-t-il.
"Je ne sais pas ce qui se passe ce mois-ci, c'est terrible, se plaint le vendeur ambulant de la SNCF en servant les cafés. J'ai déjà eu 5 heures de retard il y a quelques jours." Sur le quai, des contrôleurs membres de la CGT sont outrés. Ils ne sont pas convaincus par les explications météorologiques de la SNCF. "C'est hallucinant, il ne fait pas -20°C, s'énerve Yannick Cicéron. Il y a des moyens de dégivrer, avec des machines racleuses." Les trains racleurs permettent en effet d'enlever le gel de la caténaire, le fil qui alimente le train en électricité. "Il n'y a pas assez de machines de raclage et pas assez de conducteurs pour racler", assure Yvan Escribe, secrétaire général du bureau territorial de l'UFCM-CGT.
"On se force à ne pas prendre la voiture..."
Interrogée par franceinfo, la SNCF assure toutefois que les trains racleurs n'auraient pas pu remédier au problème. "Le phénomène météo dont nous avons souffert au nord des Aubrais n'est pas du givre classique, mais des pluies verglaçantes. Nous n'avons donc pas eu à faire face à une fine couche de givre sur la caténaire, mais à des stalactites." Les trains ont donc été détournés vers Nevers pour éviter les blocages sur les voies, "encore plus avec le risque que le train soit privé d'énergie et donc de chauffage avec des centaines de clients dedans", justifie la compagnie ferroviaire.
Comment expliquer, toutefois, les trains annulés les jours précédents ? Quatre ont été supprimés sur cette ligne le mardi 13 décembre. La SNCF n'a pas répondu à cette question. Pas d'explications non plus sur le temps de trajet qui s'est allongé. Le syndicaliste de la CGT assure que la fin de l'activité de fret fragilise les caténaires pendant l'hiver. Le passage des trains de marchandises toute la nuit permettait auparavant d'éviter l'accumulation de gel sur les caténaires, explique Yvan Escribe. "Mais on a perdu près de 80% du service de fret sur la région depuis les années 2000."
L'Intercités entre finalement en gare d'Austerlitz à 13h35, au lieu de 9h19. "Servez-vous messieurs dames", lancent des agents SNCF qui distribuent des plateaux-repas sur le quai. "On se force à ne pas prendre la voiture, un peu par principe, et ça nous prend des heures de plus", regrette Agathe Delignieres, psychologue qui revient du Lot, où elle donnait une formation. Elle avait déjà raté une correspondance lors de l'aller, à cause d'un retard, et a été logée dans un hôtel. Cette fois-ci, elle a mis presque 10 heures pour rejoindre Paris depuis Brive. Reprendra-t-elle le train ? "La prochaine fois, j'y réfléchirais à deux fois", reconnaît-elle en s'éloignant de la gare.
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