Egypte. "La nouvelle Constitution est le résultat d'un processus très mal ficelé"
Francetv info a interrogé Sophie Pommier, spécialiste de l'Egypte, pour analyser ce que ce texte signifie.
EGYPTE – La nouvelle Constitution égyptienne est désormais dans les tuyaux. La commission constituante a adopté, vendredi 30 novembre, le projet de loi fondamentale destiné à remplacer celle qui a été abrogée après la chute d'Hosni Moubarak, au début 2011. Le président, Mohamed Morsi, doit désormais le ratifier puis le soumettre au référendum. Mais le texte s'attire de nombreuses critiques. Sophie Pommier, spécialiste de l'Egypte et chargée de cours à Sciences Po Paris, analyse pour francetv info cette nouvelle étape pour le pays.
Francetv info : Pourquoi ce projet de nouvelle Constitution fait-il grincer des dents ? Que change-t-il par rapport à la période Moubarak ?
Sophie Pommier : La charia (loi islamique) reste considérée comme "source principale de législation". Ce qui change, c'est que l'on charge une institution religieuse - en l'occurence la grande université Al-Azhar - d'en établir les principes. C'est une étape de plus dans la place du religieux au sein de la société égyptienne.
De nombreux articles inquiètent du fait de leur intitulé flou. Par exemple, le texte précise que l'Etat est garant du respect des traditions de l'Egypte. Or, l’excision peut-être considérée comme faisant partie de ces "traditions". La liberté des syndicats et des journalistes est soumise à diverses restrictions, et certains droits et libertés fondamentales ne sont pas évoqués. Le texte manque de professionnalisme et contient de nombreuses maladresses. Cela révèle les conditions dans lesquelles il a été élaboré.
Quelles sont ces conditions ? Comment ce texte a-t-il été élaboré ?
L'élaboration de tout le processus a été très mal ficelée. Au lieu d'élire une Assemblée constituante, on a décidé d'élire d'abord une Assemblée puis de mettre en place un comité constituant. Cela pose donc un problème de légitimité par rapport au choix des membres de ce comité. Vu le "timing" imposé, il était logique que ces derniers reflètent le choix électoral de la population : les islamistes sont donc majoritaires dans ce comité, contrairement aux libéraux.
Ces derniers ont d'abord déposé des recours pour invalider le comité, puis ils s'en sont retirés. Avant de s'exposer à une invalidation par la Haute cour constitutionnelle, Morsi a choisi de mettre un terme à cette procédure par le décret du 22 novembre dans lequel il s'octroie les pleins pouvoirs.
Y a-t-il matière à s'inquiéter pour l'avenir ?
Il faut être nuancé mais rester vigilant. Il y a des sujets d'inquiétudes. Le ministère de l'Intérieur a fait passer en parallèle des textes qui restreignent le droit de manifester pour canaliser l'opposition. Il existe aussi une certaine défiance par rapport à la parole des Frères musulmans, qui ont souvent, dans le passé, rompu leurs engagements.
Mais dans le même temps, on peut considérer que l'Egypte traverse une période difficile et que si chacun s'exprime, il va être compliqué d'avancer et d'en sortir. Le président Morsi a besoin que l'économie du pays redémarre, et pour cela il faut la stabilité politique. Il a voulu trancher mais il l'a fait avec une grande brutalité et en créant un dangereux précédent en matière d'atteinte à l’état de droit. Il a rebondi sur un évènement qui lui était favorable - la médiation entre Israël et Gaza, pour laquelle il a été félicité par les Etats-Unis - et a sans doute misé sur les divisions internes du corps judiciaire avant de prendre des décisions portant atteinte à l’indépendance de la justice.
Comment devraient réagir les Egyptiens ?
Je pense que la Constitution va être validée massivement par la population. La majorité des gens n'a en effet pas les outils pour décrypter ce texte. Ils font confiance aux dirigeants, et surtout ils en ont assez et veulent que le pays avance. Comme un grand nombre sera avec le gouvernement, il sera difficile pour les libéraux d'invoquer la démocratie pour invalider le texte. En revanche, Morsi doit prendre garde à ce que la situation ne dégénère pas sur le terrain. Si la répression est forte et qu'il y a des débordements, cela risque de nuire fortement à son image et d’entraîner le pays dans une situation incontrôlable.
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