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Départementales : dans l'Aisne, la droite face au dilemme du "front républicain" contre le FN

Dans ce département convoité par le Front national, la droite a hésité sur la conduite à suivre en cas de triangulaire. Arrivé troisième à Guise, un binôme s'est retiré, quand sur le canton voisin, l'UMP a choisi de se maintenir au second tour. Reportage.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les panneaux électoraux pour le second tour des départementales, le 26 mars 2015 à Ribemont (Aisne). (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

La décoration est dépouillée dans la salle communale d'Itancourt, mais reste au mur une petite affiche pour une exposition consacrée à la Première guerre mondiale, intitulée "L'Aisne dévastée." "C'est ce qui arrivera si le département tombe aux mains du FN, assure Julien Dive pour motiver ses troupes. Ça va se jouer à un poil de c..., enfin à un cheveu." Le maire du village, candidat UMP aux élections départementales, a réuni, mercredi 25 mars, les militants des alentours pour leur expliquer sa stratégie pour le second tour du scrutin.

Proches de l'ancien ministre Xavier Bertrand, patron de l'UMP de l'Aisne, Julien Dive et son binôme Orane Gobert ne sont arrivés que troisième dimanche dernier dans le canton rural de Ribemont, avec seulement 25,6%. Largement derrière le PS et ses 35,4%. Et bien loin du FN, qui culmine à 39%. "Dimanche soir on a eu les boules, reconnaît Orane Gobert face à la quarantaine de personnes présentes. Mais pour vous, pour les gens qui nous ont fait confiance, on y va, moi je ne veux pas d'un conseiller départemental FN dans ce canton." Le binôme maintient donc sa candidature, comme le demandait Xavier Bertrand aux représentants de l'UMP.

"Les consignes de vote ne servent à rien"

Dans la salle, la plupart font entendre leur approbation. "J'ai été militaire, intervient Nicolas, 53 ans, un grand gaillard fort en gueule. Mon chef me disait, jusqu'à la dernière balle, tu tires." Lui-même aurait bien embêté en cas d'absence de la droite au second tour, comme son voisin, Philippe, 63 ans et encarté UMP depuis toujours. "Je n'aurais pas voté FN, mais je n'aurais pas voté PS non plus", confie-t-il, quand on l'interroge sur l'absence de "front républicain" face au FN. "Si on avait laissé un duel FN-PS, c'était plié, argue Julien Dive. Il y a une telle porosité entre notre électorat et celui du Front national que nous retirer, c'était faire gagner le FN. Là, on peut encore l'en empêcher, en gardant le socle de nos électeurs de droite traditionnelle."

Orane Gobert (à gauche) et Julien Dive, candidats UMP aux élections départementales, en réunion avec leurs militants à Itancourt (Aisne), le 25 mars 2015. (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

Dans le canton voisin de Guise, la droite est là aussi arrivée en troisième et dernière position, derrière le PS et le FN. Mais contrairement au binôme UMP, les candidats locaux ont préféré jeter l'éponge pour éviter une triangulaire favorable au Front national, arrivé très largement en tête avec plus de 44% des voix. "Hors de question que je porte sur mes épaules la responsabilité de l'élection du FN", explique Olivier Cambraye, candidat divers droite, pourtant "pas fana du front républicain". "Les consignes de vote ne servent à rien, juge-t-il. D'ailleurs je n'en donnerai pas : je dis juste que je ne voterai pas FN. Surtout que les candidats d'ici sont d'illustres inconnus : ils mettraient Bozo le clown et la Schtroumpfette sur les affiches, ils obtiendraient les mêmes résultats."

"Le système UMPS contre le FN"

Sur le dernier tract des frontistes Armand Pollet et Marion Saillard, les candidats sont d'ailleurs absents. Ni leur visage, ni leur nom ne figure sur le document distribué par le binôme auprès des commerçants du centre-ville de Guise. Seule Marine Le Pen apparaît, délivrant les promesses nationales du FN pour ces élections départementales. Au verso, un message en grosses lettres capitales sur fond noir : "Le PS, l'UMP, l'UDI, le MoDem, les Verts, le Front de gauche... proposent : 1. de lutter contre le Front national, 2. de lutter contre le Front national, 3. de lutter contre le Front national..." "Le fait que la droite se désiste ici, c'est l'illustration de tout ça, argue Armand Pollet. Je ne suis pas surpris, leurs candidats défendent le système. C'est le système UMPS contre le FN."

Armand Pollet et Marion Saillard, candidats FN aux départementales, dans le centre-ville de Guise (Aisne), le 25 mars 2015, et leur tract pour le second tour du scrutin. (MATHIEU DEHLINGER)

A l'avant de la voiture des militants socialistes locaux, le dernier numéro de Charlie Hebdo est bien en vue. "Le Pen attacks !", titre le magazine satirique, qui caricature Marine, Marion et Jean-Marie Le Pen, croqués sous les traits de "Martiens" prêts à mener une invasion. Le dessin les fait sourire, mais la perspective d'une conquête électorale frontiste les inquiète. "Quand la peste frappe à la porte, il faut réagir", explique Marie Gallet. La candidate suppléante PS dans le canton salue la décision de la droite de se retirer au second tour : "L'ennemi de mon ennemi est mon ami", résume-t-elle.

Des tracts dédiés au FN pour le second tour

Pour les derniers jours de campagne, les candidats de gauche ont édité une nouvelle affiche et de nouveaux tracts, qui ciblent directement le Front national. "Faut pas se laisser avoir les gars, faut faire barrage au FN dimanche", martèlent les militants à la sortie des usines du canton. "Les gens d'ici ne sont ni des fachos, ni des bouseux, résume Matthieu Mayer, secrétaire de la section PS de Guise. Ce sont des gens en souffrance, mais ils vont voter contre leur propre intérêt s'ils choisissent le Front national." A titre d'exemple, les socialistes citent la volonté du FN de supprimer la gratuité des transports scolaires de le département, une façon de "responsabiliser" les gens, répond le frontiste Armand Pollet.

Marie Gallet, candidate suppléante PS pour les élections départementales, colle une affiche dans le canton de Guise (Aisne), le 26 mars 2015. (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

A Ribemont, l'UMP a elle aussi imprimé des tracts contre le FN. "L'objectif c'est de les distribuer dans des villages ciblés, là où on a vraiment fait une contre-performance au premier tour", explique Julien Dive. Face aux militants, il égrène les résultats de chaque village. Le score de l'UMP y est-il anormalement bas ? Faut-il y retourner ou non avant le second tour ? Connait-on les brebis égarées de la droite ? "Philippe, tu sais qui a déconné chez toi ?, interroge par exemple le candidat. Oui je sais, c'est pas marqué sur leurs têtes s'ils ont voté FN." Chacun repart de la soirée avec son lot de tracts à distribuer.

"Les gens sont en colère"

Pendant ce temps, son adversaire FN, Vincent Rousseau, sillonne lui aussi les villages du canton. Sous une pluie battante, le jeune homme dépose dans les boites aux lettres de Flavy-le-Martel son tract, dans lequel il fustige "les candidats de l'UMPS". Malgré la météo capricieuse, quelques riverains finissent par pointer le nez dehors entre deux averses. "Faut transformer l'essai dimanche", espère un couple "100% FN". "Faudra pas merder hein", lance un autre homme, visiblement convaincu de la prochaine élection du binôme frontiste. L'habitant se présente comme "un électeur de désespoir". "Je ne critique pas, je comprends les gens, mais pour moi le FN ce n'est pas la solution, explique-t-il. Mais c'est de leur faute aux politiques, ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes."

Vincent Rousseau, candidat FN pour les élections départementales, délivre ses tracts dans les boîtes aux lettres à Flavy-le-Martel (Aisne), le 25 mars 2015. (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

En face, tous constatent ce rejet de la politique nationale. De gauche comme de droite. "C'est difficile d'être un élu local aujourd'hui, estime Orane Gobert. Après la présidentielle de 2012, la bataille Copé/Fillon, l'affaire Bygmalion, le retour de Sarkozy..." "Il y a un sentiment d'abandon des territoires ruraux, analyse Michel Potelet, candidat PS à Ribemont. Les gens sont en colère et sanctionnent les élus locaux, mais Hollande et Valls, vous savez, ils seront toujours en place lundi." Lui n'est pas certain d'être encore élu au département : "Je ne sais pas si le fait que l'UMP se maintienne est une bonne chose, mais c'est certain que c'est le comportement de l'électorat de droite qui sera déterminant dimanche", juge-t-il.

Le FN, "gagnant dans tous les cas"

En attendant, quoi qu'il arrive, un homme se frotte déjà les mains : Franck Briffaut, secrétaire départemental du Front national, élu maire de Villers-Cotterêts l'année passée. "Nous sommes gagnants dans tous les cas, jubile-t-il au téléphone. S'ils ne se retirent pas, on a une chance d'obtenir un siège en triangulaire. S'ils se retirent, ça démontre que l'UMPS n'est pas qu'un slogan. De leur côté, c'est le Titanic, l'orchestre en moins."

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