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Bové en campagne pour les européennes : "Comment veux-tu faire de la pédagogie en un mois ?"

Candidat à la présidence de la Commission européenne, la tête de liste écologiste dans le Sud-Ouest a hâte d'en finir avec une "campagne à la con".

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
José Bové rencontre des défenseurs du fret fluvial, le 14 mai 2014, à Carcassonne (Aude). (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO)

Il attend l'avion, seul avec sa valise. José Bové est le premier devant la porte 16 de l'aéroport de Montpellier (Hérault), mercredi 14 mai. Pressé d'embarquer avant une courte nuit à Paris, l'eurodéputé écologiste de 60 ans, en campagne pour sa réélection dans le Sud-Ouest, a aussi hâte d'en finir avec "ce bordel d'élections", pour se remettre au travail.

"C'est frustrant, cette campagne à la con, pestait-il, quelques instants plus tôt, dans une voiture parfumée par sa pipe. Comment veux-tu faire de la pédagogie en un mois ?" A dix jours d'un probable record d'abstention aux élections européennes, José Bové se désole du sort de ce scrutin, boudé et incompris. "Pendant les municipales, on n'avait aucun espace pour en parler", dit-il. Depuis, difficile de captiver les électeurs. Même les militants sont fatigués par la campagne de mars.

Une campagne éclair

Ce mercredi matin, sur une péniche amarrée sur le canal du Midi, devant la gare de Carcassonne (Aude), José Bové se penche sur la question du transport fluvial de marchandises. "Quarante fois moins de pollution atmosphérique que la route", peut-on lire sur une banderole déployée par son hôte, Jean-Marc Samuel, administrateur de la Chambre nationale de la batellerie artisanale. Il milite pour le retour du fret sur le canal.

"Je te propose de monter un truc directement au Parlement en septembre, lui lance l'eurodéputé à l'issue de l'échange. Mais attention, ce n'est pas chacun avec son petit drapeau : il faut mobiliser d'autres pays qui ont une culture des voies navigables, comme les Belges, les Allemands ou les Hollandais. Il faudra ensuite inviter la Commission à rencontrer les acteurs du dossier, et on suivra le truc au Parlement." 

Vivement la rentrée

L'homme du Larzac est en campagne, mais il pense déjà, sans le dire, à son prochain mandat. En tant que tête de liste, José Bové est quasiment assuré de retrouver son siège à Strasbourg, qu'il occupe depuis cinq ans. En 2009, Europe Ecologie avait recueilli deux sièges dans le Sud-Ouest, avec 15,8% des suffrages. Mercredi, dans le sondage Ifop du jour (PDF), EELV pointe à 10% des intentions de vote au plan national.

"Il ne s'agit pas tant de gagner les élections que de faire du bon boulot après, résume Sophie Clothilde, salariée de la campagne EELV dans le Sud-Ouest. José préfère soutenir des luttes que serrer des poignes." 

Pas de tractage sur les marchés, ni de porte-à-porte, mais plutôt des rencontres intimistes aux airs de pré-réunion de travail.

"Le problème, ce sont les Etats"

Après les bateliers, les viticulteurs. Sur la table de la cave coopérative de Névian (Aude), José Bové est le premier à s'emparer de la cafetière. A l'heure de la sieste, dans une douce odeur de vin, le candidat masque sa fatigue, devant une petite dizaine de viticulteurs. La colère de l'un d'eux, inquiet de nouvelles contraintes européennes sur le traitement chimique des vignes, le tient aussi éveillé.

- "Ne nous foutez pas dans le même panier que nos collègues de Bordeaux ou de Chablis, qui traitent plus que nous !, peste l'agriculteur.

- Attends que je t'explique comment ces décisions sont prises à Bruxelles..."

Il y est : la pédagogie. "C'est n'est pas le Parlement, le problème, ce sont les Etats, affirme l'élu, spécialiste des questions agricoles. La Commission reçoit ses ordres du Conseil [européen, composé des dirigeants des 28 pays membres] et, nous, on essaye de bosser sur les textes élaborés par la Commission, avec nos moyens." 

José Bové et son colistier Pascal Frissant participent à une rencontre avec des viticulteurs, le 14 mai 2014, à Névian. (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO)

L'eurodéputé déplore le "rouleau compresseur" de la Commission et le faible pouvoir d'initiative des parlementaires, "qui n'ont que le droit de formuler des vœux". Il oriente les viticulteurs vers telle piste européenne ou tel interlocuteur national pour résoudre leurs problèmes.

La colocation paysanne

En 2009, fraîchement élu, l'eurodéputé à pipe et moustache a abandonné les brebis qu'il élevait dans une ferme du Larzac. Dans ses valises, il a quand même pensé à emporter trois "copains" de la Confédération paysanne, qu'il a nommés assistants parlementaires. La bande partage depuis un appartement à Bruxelles. "On est bien plus âgés que la moyenne des assistants parlementaires, s'amuse la plus jeune des trois, Anne Lacouture, 30 ans. Même nos vêtements tranchent avec les autres."

José Bové s'est vite rôdé au travail parlementaire. "J'avais siégé au bureau européen de la Confédération paysanne, rappelle-t-il. Et puis, les agriculteurs sont sans doute ceux qui maîtrisent le mieux les mécaniques de Bruxelles." Cinq ans plus tard, il a même été choisi comme tête de gondole par les Verts européens. En duo avec l'Allemande Ska Keller, il est candidat à la présidence de la Commission européenne, face à Jean-Claude Juncker, Martin Schulz, Alexis Tsipras et Guy Verhofstadt.

Double casquette

Cette deuxième campagne l'a conduit à travers l'Europe, ces dernières semaines, avant qu'il ne concentre ses efforts sur sa circonscription. "C'est nous qui avons milité pour que cette bataille pour la présidence se tienne [le Conseil européen doit désormais tenir compte des résultats des élections européennes pour choisir le président de la Commission], affirme ce fils d'un Luxembourgeois, qui a grandi pendant trois ans à Berkeley (Californie) avec ses parents chercheurs. Nous sommes ravis que les autres partis aient accepté de jouer le jeu et nous nous y investissons." 

Pour sa rentrée, José Bové se rêve-t-il en chef de la Commission ? Il ne croit pas un instant en ses chances. En leader du groupe Verts/ALE au Parlement alors, dans les pas du jeune retraité Daniel Cohn-Bendit ? "Vu mon âge, je préfère laisser la place aux jeunes." 

Son rêve est ailleurs. "Je veux un vrai droit d'initiative pour les parlementaires, pour renverser le rapport de forces institutionnel à Bruxelles, explique-t-il. Au Parlement, on joue collectif. Les Etats, eux, sont comme 28 coqs sur un tas de fumier, qui, le matin, chantent en espérant chacun faire lever le soleil."  

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