Elections européennes : quel est le bilan du Rassemblement national au Parlement européen ?
Le Rassemblement national repart en campagne. Le parti d'extrême droite tient son premier grand meeting pour les élections européennes, dimanche 3 mars, à Marseille. Son objectif ? Faire au moins aussi bien qu'en 2019, lorsque la liste RN était arrivée en première position aux élections européennes et avait obtenu 23 sièges au Parlement. Cinq ans après, le parti occupe toujours la première place des sondages d'intentions de vote pour les élections du 9 juin 2024.
"L'Union européenne ne peut plus ignorer l'inspiration des peuples à la protection, à la liberté et à la souveraineté. Elle doit désormais réorienter sa politique économique, sociale et migratoire", avait lancé la tête de liste du RN, Jordan Bardella, à l'occasion de sa victoire en 2019. Qu'en est-il cinq ans plus tard ? Les députés européens du Rassemblement national se sont-ils donné les moyens de parvenir à leurs objectifs ?
Une présence critiquée
Chez leurs opposants politiques, le verdict est cinglant. "Il n'y a en effet strictement aucun bilan du RN : aucune de leurs idées n'est passée, aucun de leurs rares textes n'a eu de majorité. C'est un mandat pour rien", tacle l'eurodéputée Nathalie Loiseau, ancienne tête de liste de la majorité, qui avait débattu face à Jordan Bardella lors des dernières européennes. "En termes de bilan, c'est l'affaire de ceux qui sont au pouvoir. Nous, nous sommes dans l'opposition", se défend Jean-Paul Garraud, le président de la délégation du RN au Parlement européen.
"Les députés RN ne travaillent pas, ce qui est gênant quand on est député", renchérit Pierre Larrouturou, député européen du groupe social-démocrate. Même constat pour Nathalie Loiseau qui affirme qu'elle "voit très peu les députés RN là où le vrai travail se fait", c'est-à-dire dans les commissions. Et pour cause, aucun député du RN n'occupe la présidence ou la vice-présidence d'une commission de travail au sein du Parlement.
"Jordan Bardella ne va jamais en commission des pétitions, la seule à laquelle il est inscrit, et qui est pourtant la moins chargée du Parlement européen."
Nathalie Loiseau, députée européenne du groupe Renewà franceinfo
Les élus frontistes peinent effectivement à se voir attribuer les postes-clés de rapporteurs des lois. A Strasbourg, les autres partis pratiquent ce qu'ils nomment le "cordon sanitaire" autour du parti d'extrême droite. Du "sectarisme", selon l'eurodéputée RN Mathilde Androuët. "On nous a écartés de toutes les responsabilités, des rapports, de certains textes, au dernier moment, sur lesquels on a travaillé. C'est une situation totalement antidémocratique", assure le président de la délégation RN.
"Ceux qui nous disent qu'on n'a rien fait, ce sont les mêmes qui nous ont empêchés de travailler."
Jean-Paul Garraud, eurodéputé du Rassemblement nationalà franceinfo
Le cas de Jordan Bardella, député européen et président du Rassemblement national, est particulièrement pointé du doigt par ses opposants. "Jordan Bardella siège en commission des pétitions, qui est réputée pour être celle où l'on travaille le moins ! Mais c'est légitime... Il est le président du parti, ça lui prend du temps. C'est une responsabilité très importante qui exige sa présence très souvent à Paris", a défendu l'eurodéputé Gilles Lebreton en décembre 2023 auprès de franceinfo.
Peu de rapports parlementaires
Le président du RN n'a par ailleurs écrit aucun rapport. Il a été seulement "rapporteur fictif" d'un rapport sur l'intelligence artificielle à l'ère du numérique. Un rôle consistant à suivre tout au long de la procédure l'élaboration du travail pour le compte d'un groupe politique. Au total, six rapports ont été produits par les eurodéputés du Rassemblement national. Tous par Gilles Lebreton. Professeur de droit public, il s'agit de son deuxième mandat au Parlement européen. "Il est reconnu par ses pairs pour ses qualités techniques, au-delà de tous bords politiques", avance Mathilde Androuët.
A titre de comparaison, les 12 députés français du groupe d'opposition écologiste et régionaliste ont produit 19 rapports. De leurs côtés, les six eurodéputés tricolores du groupe de la gauche font état de 21 rapports alors qu'ils sont eux aussi dans l'opposition.
Malgré les accusations de ses opposants, le RN se targue d'un bon bilan : "On a déposé plus de 14 000 amendements, nous sommes intervenus en hémicycle lors des plénières avec plus de 700 interventions, nous avons interrogé la Commission européenne avec près de 1 700 interpellations. Nous avons fourni plus de 1 300 explications de votes. Nous avons obtenu des rapports, le plus intéressant étant celui sur l'intelligence artificielle", avance Jean-Paul Garraud.
Des votes souvent contre
Durant ce dernier mandat, le parti d'extrême droite a également marqué sa différence en s'opposant à de nombreux textes emblématiques, comme ceux sur les droits LGBTQI, sur l'environnement ou encore sur l'immigration. "Nous nous sommes opposés à 60% des textes proposés au Parlement européen", confirme Jean-Paul Garraud.
Axe majeur de la "dédiabolisation" du RN, les votes sur les droits des femmes au sein de l'hémicycle sont pourtant tout sauf favorables pour elles. En janvier 2020, le parti désapprouve ainsi une résolution résorbant les écarts de salaires entre les femmes et les hommes. Quelques mois plus tard, les eurodéputés du RN rejettent une résolution qui condamne la réglementation polonaise sur le droit à l'avortement. En février 2023, lors du scrutin sur l'interdiction des ventes de voitures neuves équipées de moteurs thermiques en 2035, les députés RN ont là encore tous voté contre. Deux mois après, les députés frontistes se sont abstenus lors du vote de la taxe carbone aux frontières.
Sur l'immigration, un paradoxe subsiste sur l'ambition européenne de Jordan Bardella. Alors qu'il souhaite nouer des liens avec les autres partis d'extrême droite, le président du RN se heurte à des désaccords profonds avec le reste du groupe Identité et démocratie. Le 20 avril 2023, le Parlement européen s'est réuni pour le vote de quatre textes concernant le Pacte asile et migration. Les élus français d'extrême droite ont tous voté contre. A l'inverse, tous les députés italiens d'Identité et démocratie ont voté pour. Et pour cause, sur le plan migratoire, la ligue italienne s'est longtemps déclarée favorable à une réponse européenne de répartition des demandeurs d'asile. Le RN, lui, s'y oppose.
Concernant le dossier russe, les votes se révèlent plus fluctuants encore. Le 30 décembre 2023, une enquête du Washington Post révélait les liens persistants entre le Rassemblement national et la Russie. En septembre 2020, les eurodéputés RN ont rejeté une résolution condamnant la tentative d'assassinat d'Alexeï Navalny. Un an plus tard, ils ont refusé de voter un texte condamnant les violences commises par le groupe Wagner. Et si les députés RN ont voté pour trois résolutions de soutien à l'Ukraine au début du conflit, ils se sont ensuite abstenus ou ont voté contre plus de vingt fois.
"Parmi les choses qui m'ont le plus choqué, c'est leur soutien à la Russie. Il y a des milliers de morts en Ukraine. Et quand le Parlement organise un hommage, le RN n'est pas là ou reste assis. Ce sont vraiment les alliés de Poutine malgré la barbarie."
Pierre Larrouturou, député européen du groupe social-démocrateà franceinfo
Une eurodéputée de centre gauche, sous couvert d'anonymat, accuse également le parti de "veiller aux intérêts des pays amis comme la Russie".
Une force de frappe grâce à l'UE
Au-delà des votes et des commissions, le Rassemblement national a pu compter sur son importante délégation lors de ce dernier mandat pour développer sa force de frappe politique. Depuis que le groupe d'extrême droite a changé de nom pour "Identité et démocratie" en 2019, à l'initiative de Marine Le Pen, "il a pris de l'ampleur, mais dans un Parlement un peu plus fragmenté", estime la sociologue Estelle Delaine, autrice du livre A l'extrême droite de l'hémicycle : le Rassemblement national au cœur de la démocratie européenne.
Le groupe compte désormais 61 eurodéputés, issu de huit pays, notamment d'Italie et d'Allemagne. Un nombre qui a pour effet de générer "certains gains puisque cela donne accès à des ressources parlementaires", précise la sociologue.
"Le Rassemblement national dispose de diverses ressources : financières, des postes convoités au sein des institutions politiques pour ses membres, ainsi que des accès aux groupes d'intérêts."
Estelle Delaine, sociologueà franceinfo
Les députés d'extrême droite étant désormais plus nombreux, leur stratégie politique consiste ponctuellement à "aller voir de potentiels alliés et créer une alliance avec eux". Un des derniers exemples en date remonte au 12 juillet 2023, lorsque les votes des députés d'extrême droite se sont alignés avec ceux de la droite européenne contre l'adoption de la loi pour la restauration de la nature, provoquant alors un vote serré.
Des prises de parole médiatiques
Mais le cœur de la stratégie du RN réside surtout en une présence médiatique tous azimuts. Les députés frontistes occupent ainsi la première place du palmarès des prises de paroles parmi les eurodéputés français lors des séances plénières. Depuis 2019, les eurodéputés RN comptabilisent 989 discours de plénière, selon le site Parltrack.org, qui les recense depuis le début du mandat en juillet 2019 et jusqu'à décembre 2023. Ils sont suivis de très près par les députés français Renew, avec 976 prises de parole en plénière.
Ces interventions sont d'ailleurs massivement relayées sur YouTube par les eurodéputés du RN. La quasi-totalité d'entre eux possèdent ainsi un compte sur la plateforme avec une playlist recensant la plupart de leurs interventions en plénière. Jordan Bardella, président du parti, y affiche fin février 58 vidéos, l'eurodéputé Jean-Lin Lacapelle 64 et Gilles Lebreton 341. Une stratégie médiatique en direction de la France plutôt que politique au sein des institutions européennes.
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