Européennes : Nathalie Loiseau, une surdouée aux "idées rafraîchissantes" et en même temps "technocrate à l'état pur"
L'ex-ministre des Affaires européennes va mener la campagne du parti présidentiel pour le scrutin du 26 mai. Portrait d'une ancienne diplomate qui a choisi son camp.
Fin du suspense. Emmanuel Macron a finalement choisi Nathalie Loiseau pour mener, aux européennes, la liste de La République en marche, baptisée "Renaissance". Et l'intéressée a annoncé elle-même, de façon surprenante, sa candidature le 15 mars sur France 2, dans un débat face à Marine Le Pen.
"Vous avez réussi à me faire changer d'avis", a lancé la ministre des Affaires européennes à la présidente du Rassemblement national, en laissant croire qu'elle avait hésité jusque-là. "J'ai envie d'une Europe du partage et pas d'une Europe de la division, donc, ce soir, c'est vrai, je suis prête à être candidate", a-t-elle complété pour justifier son entrée dans l'arène. Plongée à 54 ans dans sa première campagne électorale, l'ancienne directrice de l'ENA va-t-elle réussir à donner d'elle une autre image que celle de technocrate qui lui colle à la peau ? Retour sur le parcours d'une diplomate qui a fait l'essentiel de sa carrière dans les couloirs feutrés du Quai d'Orsay, puis de l'Ecole nationale d'administration, avant de se lancer en politique.
"Savoir lire à 4 ans, c'est le meilleur moyen de s'ennuyer à l'école"
Au départ était une surdouée. "Savoir lire à 4 ans, c'est pratique quand on s'ennuie à la maison, mais c'est aussi le meilleur moyen de s'ennuyer énormément à l'école", proclame-t-elle sans modestie dans son autobiographie, Choisissez tout (éd. J.C. Lattès), parue en 2014. Issue d'une famille catholique aisée, cette gauchère contrariée apprend enfant le piano et la danse classique. En vacances à la campagne, la native de Neuilly goûte la délicieuse "liberté" de "dîner à la cuisine" et finit d'user "les anciens pantalons, anciens cabans et invraisemblables pulls en mohair" de son frère aîné, qui concentre toute l'attention parentale.
Le fait qu'elle ait sauté deux classes comptait peu aux yeux de ses parents, affirme-t-elle, y voyant les racines de son féminisme. "J'étais tête de classe et tout le monde s'en moquait", écrit-elle avant d'ajouter :
Ma mention très bien au bac arriva comme un embarras.
Nathalie Loiseaudans son livre "Choisissez tout"
Que faire de sa vie ? A 16 ans, l'indécise choisit Sciences Po, puis des études de mandarin à l'Institut national des langues et civilisations orientales, avant de réussir le concours d'entrée au Quai d'Orsay.
"Enceinte, elle a travaillé alitée, avec des crises de paludisme"
Elle intègre donc le ministère des Affaires étrangères, administration réputée misogyne. "Le Quai d'Orsay n'est pas tendre pour la gent femelle", ironise la romancière Catherine Clément, amie depuis vingt ans de Nathalie Loiseau : le mari de la première était ambassadeur de France au Sénégal quand la seconde y a été envoyée comme secrétaire d'ambassade, en 1996. "On savait qu'une pointure nous attendait", se souvient l'écrivaine.
A Dakar, je vois arriver cette petite bonne femme enceinte, haute comme trois pommes. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi courageux. Elle a travaillé pendant sa grossesse, alitée, avec des crises de paludisme.
Catherine Clément (amie de Nathalie Loiseau)à franceinfo
"Quelques mois plus tard, continue-t-elle, Nathalie a eu son premier enfant. Puis elle est retombée enceinte de jumeaux et rebelote, encore des soucis de santé. A Dakar, son médecin ne voulait pas prendre le risque de l'accoucher, parce qu'il pouvait y avoir des pannes d'électricité qui toucheraient les couveuses. Elle est partie à Port-Royal à Paris. Là, elle a fait une éclampsie, une montée brutale de tension et ils n'ont rien vu ! Elle a failli y passer".
Des idées "rafraîchissantes"
Les hauts et les bas de sa santé ne nuisent pas pour autant aux relations qu'elle tisse alors au Sénégal. De Dakar, l'avocat Sylvain Sankalé témoigne : "Elle était attentionnée, attentive, avec une capacité à fréquenter des personnes de milieux très différents". Depuis New York, où il enseigne désormais à l'université, le philosophe Souleymane Bachir Diagne, ancien conseiller culturel du président sénégalais Abdou Diouf, abonde : "Elle a une gourmandise de la culture du pays où elle vit, s'intéresse aux langues qui y sont parlées, parle elle-même plusieurs langues. Et le multilinguisme, je crois, produit cette capacité de décentrement."
Même écho de la part de l'ancien ambassadeur Jean-Marc de La Sablière, qui a travaillé avec elle dans les années 1990 et loue une ouverture précieuse sur le plan professionnel :
Elle n'était jamais enfermée dans une seule information. Ça contribuait sans doute à lui donner des idées rafraîchissantes, "out of the box" [non conventionnel] comme on dit aux Etats-Unis.
L'ancien ambassadeur Jean-Marc de La Sablièreà franceinfo
Non conventionnel encore, "son catéchisme rare", salué par Catherine Clément. Dans son autobiographie, Nathalie Loiseau assume d'être une catholique qui approuve aussi bien le mariage pour tous que la procréation médicalement assistée ou la gestation pour autrui si elle est "éthique" (sans marchandisation).
Son amie d'enfance, Pauline Bebe, devenue la première femme rabbin en France, reconnaît en cette "fonceuse" une femme de caractère qui a de qui tenir. "Elle comme moi avons eu des parents qui nous ont donné la force de défendre nos convictions jusqu'au bout", se remémore-t-elle.
"Elle a imposé la parité dans les jurys de l'ENA"
De cette force de caractère, elle a eu bien besoin lorsqu'elle était porte-parole et chef du service de presse de l'ambassade de France à Washington, de 2002 à 2007. Sous le deuxième mandat du président Jacques Chirac, opposé à la guerre en Irak, la diplomate subit de plein fouet la tornade du "French bashing", le déferlement de reproches anti-Français. A partir de 2003, la presse américaine attaque sans relâche l'exécutif français. Nathalie Loiseau monte au front : "Elle a vécu toute cette crise et elle l'a bien menée, analyse Pierre Vimont, ambassadeur de France à Washington de 2007 à 2010. Les journalistes américains reconnaissaient qu'elle avait bien défendu les positions françaises". En 2011, Alain Juppé la nomme directrice générale de l'administration du Quai d'Orsay, mais elle est virée l'année suivante sans ménagement, selon Le Monde, par le nouveau ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius.
Elle rebondit à la tête de l'ENA, dont François Hollande la nomme directrice. Et y trouve l'occasion d'appliquer le féminisme qu'elle revendique. "Elle a porté une attention particulière au concours, pour qu'il ne défavorise pas les filles", souligne une ancienne énarque qui préfère rester anonyme.
Elle a imposé la parité dans les jurys qui étaient jusque-là peu ou pas mixtes, modifié les barèmes de sport, plus favorables aux garçons, et veillé aux oraux, où les femmes sont davantage éliminées que les hommes.
Une ancienne énarqueà franceinfo
Parmi ses autres réformes, elle exige des élèves qu'ils effectuent, dans un cadre associatif ou public, une mission d'intérêt général auprès de personnes en situation de vulnérabilité.
Une patronne "qui donne la niaque"
Quelle dirigeante était-elle ? Ancienne du Quai d'Orsay et aujourd'hui numéro deux à la direction des ressources humaines du ministère des Armées, Nathalie Tournyol du Clos a travaillé un an sous ses ordres, comme directrice de la formation. Elle décrit une patronne très exigeante, mais aussi "très drôle, très décalée sous son aspect grande bourgeoise". Elle se souvient d'un "running gag" – blague à répétition – qui les amusait toujours : "A l'ENA, les délégations coréennes lui offraient à chaque fois le cadeau qui marquait le mieux leur considération : des cravates. Elle en avait une vraie collection et pouffait de rire à chaque fois". Pour cette patronne "qui donne la niaque pour se dépasser quand on est une femme", elle se damnerait. Signe qui ne trompe pas :
C'est la seule ancienne patronne sur laquelle j'ai une alerte Google pour savoir ce qu'elle devient".
Nathalie Tournyol du Clos, ex-directrice de la formation à l'ENAà franceinfo
En 2017, cette juppéiste est l'une des "prises" d'Emmanuel Macron à la société civile. Elle entre au gouvernement comme ministre des Affaires européennes. "Ce n'était pas au départ une spécialiste de ces questions-là, souligne Pierre Vimont, qui fut aussi représentant de la France auprès de l'Union européenne, "mais j'ai noté la rapidité avec laquelle elle a revêtu l'étoffe de ministre des Affaires européennes, avec une très bonne maîtrise de ses dossiers".
Le pas, désormais franchi, d'être tête de liste aux européennes, est-il celui de trop ? Notre énarque anonyme le pense : "Elle est devenue très sûre d'elle, très intouchable. C'est une grosse bosseuse, on ne la prend pas en défaut sur le fond, mais il n'est pas sûr qu'elle supporte encore la contradiction. Comme députée européenne, elle sera parfaite, elle sera techno. En revanche, est-ce qu'elle a les qualités d'empathie pour être tête de liste ? Je ne sais pas". Le même message a été assené plus brutalement par l'écrivain et ancien diplomate Jean-Christophe Rufin, le 25 mars sur France Inter.
C'est le dernier clou dans le cercueil de la campagne. Elle est très estimable, cette dame, mais c'est vraiment tout ce qu'on reproche à l'Europe. C'est la technocratie à l'état pur. Ça a même été la mère supérieure des technocrates français, elle était directrice de l'ENA.
Jean-Christophe Rufin, écrivain et ancien ambassadeursur France Inter
Pour l'académicien, la candidate de La République en marche est fatalement déconnectée de la réalité, après avoir "passé toute sa vie dans les ambassades". "Il faut être capable, quand même, d'acheter une baguette au coin de la rue, ce qui n'est pas vraiment le cas des diplomates, conclut-il. Ça veut dire que la campagne, ce sera Macron. C'est peut-être ça qu'on lui demande".
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