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Européennes : quelle stratégie pour le FN au Parlement européen ?

Depuis des mois, Marine Le Pen s'active à nouer des liens avec des partis étrangers en vue de la formation d'un groupe à Strasbourg. Explications.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Marine Le Pen participe à une conférence de presse de l'Alliance européenne pour la liberté, le 12 mars 2014, au Parlement européen, à Strasbourg (Bas-Rhin). (WIKTOR DABKOWSKI / AFP)

En coulisses, le Front national prépare déjà l'après-européennes. Annoncé en tête des intentions de vote dans les sondages pour le scrutin du 25 mai en France, le parti de Marine Le Pen s'apprête à accéder à une nouvelle dimension au sein de l'Union européenne. Jusque là représenté par trois eurodéputés, il pourrait en compter près d'une vingtaine au sein du prochain Parlement, avec de bonnes chances de former un groupe. Le plus dur est toutefois à venir : nouer et maintenir des alliances avec des partis étrangers à la réputation parfois sulfureuse.

"Entre 15 et 20 sièges" en ligne de mire

Pour le FN, la première bataille de Strasbourg se jouera à domicile. L'enjeu du scrutin en France est d'obtenir le plus grand nombre d'élus, pour peser face aux partenaires étrangers. "Je pense que nous en aurons entre 15 et 20", a prédit Marine Le Pen, le 5 mai, sur France Info. Soit entre 20 et 28% des 74 sièges à pourvoir en France.

Les deux sondages jusqu'ici réalisés dans les circonscriptions françaises confortent les frontistes dans leurs prévisions. Avec 26% des intentions de vote dans l'Est, la tête de liste Florian Philippot et sa numéro deux Sophie Montel peuvent légitimement lorgner sur deux des neuf sièges en jeu. Dans le Sud-Est, où le FN est crédité de 23% des suffrages, trois des treize sièges pourraient revenir, dans l'ordre, à Jean-Marie Le Pen, Marie-Christine Arnautu et Bruno Gollnisch.

Bienvenue au groupe

Le second combat aura lieu sur le terrain diplomatique. Hostile aux alliances en France, le FN n'a d'autre choix, pour intégrer un groupe au Parlement, que de s'entendre avec des partis étrangers. Les règles européennes imposent un nombre minimal de 25 eurodéputés, issus d'au moins sept Etats membres, pour obtenir le statut de groupe politique. A la clé, des financements européens (environ 2,43 millions d'euros annuels pour le groupe, selon The Daily Telegraph), des bureaux et la possibilité de déposer des amendements et d'accéder aux travaux des différentes commissions parlementaires.

"Nous allons enfin avoir la possiblité de travailler, résume Ludovic de Danne, conseiller aux Affaires européennes de Marine Le Pen, joint par francetv info. Jusque là, en tant que non-inscrits, nous étions des sous-députés, privés d'amendements et d'un grand nombre de rapports. Cette fois, nous pouvons même espérer des vice-présidences de commissions parlementaires."

Bruno Gollnisch, Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen assistent à une séance plénière du Parlement européen, le 15 décembre 2010, à Strasbourg (Bas-Rhin). (FREDERICK FLORIN / AFP)

Avec qui siègera le FN ? Les fondements du futur groupe existent déjà au sein de l'Alliance européenne pour la liberté (AEL), un parti politique européen dont Marine Le Pen occupe la vice-présidence. On y trouve des eurodéputés du FPÖ (Autriche) et du Vlaams Belang (Belgique) ou encore un député des Démocrates suédois. "Cette plateforme est devenue le cœur du futur groupe", reconnaît Ludovic de Danne à francetv info.

S'y ajoute le PVV (Pays-Bas), resté en dehors de l'AEL mais dont Marine Le Pen a rencontré le leader Geerts Wilders, en novembre, dans le cadre d'une alliance en vue des européennes. Figurent aussi, dans un second cercle, la Ligue du Nord et Frères d'Italie - Alliance nationale (Italie), Ordre et justice (Lituanie) ou encore le Parti national slovaque, qui pourraient offrir au groupe une poignée de députés en plus et surtout trois nationalités supplémentaires.

"Un groupe de travail s'active depuis plusieurs mois pour préparer la structure, encore confidentielle, de ce groupe, affirme Ludovic de Danne, qui doit prochainement rencontrer d'autres mouvements d'Europe centrale et orientale. Il y aura peut-être une coprésidence élargie, avec une base de vice-présidents, car Marine Le Pen ne voudra pas dominer totalement ce groupe."

Opération survie

Si un groupe devrait pouvoir être formé sans trop de peine, l'écueil sera aussitôt d'assurer sa survie. Les sources de tensions ne manquent pas entre les différents partis, sur des points comme la rhétorique anti-musulmane ou la construction européenne, note Slate. Un exemple d'échec existe déjà : en 2007, le groupe formé par le frontiste Bruno Gollnisch avait été dissout au bout de quelques mois, après une querelle interne entre des eurodéputés d'Italie et de Roumanie.

Un premier écrémage a déjà eu lieu, le Front national annonçant qu'aucune alliance n'aurait lieu avec le Jobbik (Hongrie) ou Aube dorée (Grèce), jugés trop extrémistes. A l'inverse, des partis comme Ukip (Royaume-Uni), le Parti populaire danois et l'Alternative pour l'Allemagne ont exclu de se rapprocher du Front national, dont ils dénoncent notamment le "fonds antisémite".

Pour s'éviter les foudres de ses alliés, Marine Le Pen a aussi sommé Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch de quitter l'Alliance européenne des mouvements nationaux. Rivale de l'AEL, l'AEMN regroupe des partis plus radicaux comme le Jobbik ou le BNP britannique et était, jusqu'à l'automne 2013, présidée par Bruno Gollnisch. Les deux hommes ont depuis obéi à l'injonction de la présidente du FN, précise RTL.

Quel impact au Parlement ?

Afin, comme elle le souhaite, de peser à Strasbourg et de "bloquer l'avancée de la construction européenne", Marine Le Pen devra compter sur une certaine discipline au sein du groupe. Elle pourra s'appuyer sur le Manifeste de l'AEL pour les européennes, une charte "non contraignante" qui liste les positions politiques communes du mouvement comme "la souveraineté, l'euro et l'immigration".

Le groupe où figurera le FN devra surtout composer avec d'autres groupes eurosceptiques, "l'un autour du Britannique Nigel Farage et l'autre dans la sphère des conservateurs réformistes européens", selon Le Figaro. Un éclatement de la famille eurosceptique dont pourront profiter les groupes pro-européens (PPE, S&D, Verts...), largement majoritaires, pour qui la présence d'eurodéputés souverainistes ne sera finalement pas une nouveauté, ni même forcément un handicap.

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