Législatives 2024 : peut-on diffuser de fausses informations sur un tract électoral, comme l'a fait Julien Odoul dans l'Yonne ?
"Fermeture de CNews et censure de tous les journalistes qui ne sont pas de gauche", "soutien aux islamistes", "racket de votre épargne pour financer la politique d'immigration"... Dans un tract distribué aux électeurs de la 3e circonscription de l'Yonne, où il est candidat à sa réélection, le député Julien Odoul énumère des mesures qu'il attribue au Nouveau Front populaire, en opposition à celles de son parti, le Rassemblement national (RN). C'est la journaliste Victoire Tuaillon qui l'a diffusé sur le réseau social X, dimanche 23 juin, après l'avoir obtenu auprès d'une proche présente dans l'Yonne pendant le week-end. Contacté sur le contenu de ce tract, Julien Odoul ne nous a pas répondu.
Or, ces propositions ne reflètent pas le vrai programme de la coalition de gauche, comme le précise Libération. Par conséquent, le tract électoral de Julien Odoul est-il illégal ? Jusqu'à quel point peut-on écrire ce que l'on souhaite dans un document distribué aux électeurs pendant une campagne pour les législatives ? "Les limites posées sont classiques", rappelle Daoud Achour, avocat spécialisé en droit public. Ce sont les mêmes que celles pour la liberté d'expression. L'objectif est d'éviter toute diffamation, discrimination ou injure. "Par exemple, on ne peut pas écrire qu'un candidat rival est un escroc", précise Daoud Achour. Le candidat visé nommément peut alors déposer plainte.
Des sanctions prévues en cas de "fausses nouvelles"
De son côté, Julien Odoul ne nomme pas les rivaux politiques de sa circonscription, mais son tract est illustré par les portraits de plusieurs responsables de gauche, avec, au-dessus de leurs têtes, le logo du Nouveau Front populaire. Le visage du candidat qui se présente sous cette bannière dans la 3e circonscription de l'Yonne s'affiche à côté de celui de Jean-Luc Mélenchon. Il s'agit de Nicolas Soret, maire socialiste de Joigny et vice-président du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. "Ce tract est abject, ignoble et odieux. Les électeurs et habitants de la 3e circonscription de l'Yonne méritent mieux que ces mensonges grossiers", réagit-il.
De fait, en cas "de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses", l'article L97 du Code électoral prévoit des sanctions contre les candidats qui les ont propagés, à condition qu'il y ait des répercussions sur le résultat des élections. Ils risquent jusqu'à un an d'emprisonnement et une amende de 15 000 euros. Pour autant, Nicolas Soret affirme à franceinfo ne pas vouloir porter plainte : "Julien Odoul fait du Julien Odoul : il joue sur les peurs. Si je l'attaque en justice, il instrumentalisera la décision, quelle qu'elle soit." De plus, le candidat considère que cela interviendrait trop tard, car "la justice est longue". "Je préfère consacrer mon temps à aller voir les gens", explique-t-il.
Une forme de "droit à l'exagération" tolérée
"Il est très rare qu'une personne soit condamnée avant l'élection dans ce type de procédure", observe Romain Rambaud, professeur de droit public à l'université Grenoble-Alpes. Mais ce spécialiste souligne que si un tract a des conséquences sur les résultats du scrutin, un recours est possible, pendant six mois, surtout dans le cas où le candidat auteur du tract remporte l'élection avec quelques voix d'avance. "On rentre dans le cadre prévu par le Code électoral, lorsque des 'fausses nouvelles' ont 'surpris ou détourné des suffrages'", souligne Romain Rambaud. Dans le cas du tract de Julien Odoul, la justice aurait alors à déterminer s'il s'agit, ou pas, d'une "exagération".
"Des dispositifs juridiques existent, mais, dans la pratique, leur efficacité est très relative."
Romain Rambaud, professeur de droit publicà franceinfo
"Dans le droit électoral, il y a un droit à la caricature, donc une forme de droit à l'exagération", explicite l'universitaire. Selon lui, les limites posées par la loi sont "plus souples" : "En matière électorale, l'appréciation est large pour que le débat public puisse se faire." Cependant, si un juge saisi pour un recours contre une élection considère qu'il y a eu une conséquence sur le résultat, il peut annuler le scrutin a posteriori. Un risque existe donc toujours en cas de tract litigieux.
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