Législatives : Jérôme Rivière, l'ex-député UMP désormais candidat FN qui rêve d'une "union des droites"
Parachuté dans le Var, Jérôme Rivière porte les couleurs du Front national aux élections législatives, suppléé par une candidate de Debout la France. Mais l'extrême droite avance tout de même divisée dans sa circonscription.
"Ici, c'est le seul endroit de France où on réussit l'union des droites !" Dans ce café de Saint-Cyr-sur-Mer reconfiguré pour les besoins d'une conférence de presse, le candidat du Front national dans la 6e circonscription du Var, Jérôme Rivière, n'est pas peu fier de présenter sa suppléante. Chantal Lopez, une petite dame de 57 ans, est parfaitement inconnue de la sphère politique locale, mais elle présente l'avantage d'appartenir à Debout la France. Alors que le parti de Nicolas Dupont-Aignan a rompu l'alliance nouée avec Marine Le Pen dans l'entre-deux-tours de la présidentielle, le candidat et sa suppléante forment le seul tandem FN-DLF de ces élections législatives.
En tant qu'ancien député UMP, élu de 2002 à 2007 dans les Alpes-Maritimes, Jérôme Rivière estime avoir le bon profil pour engager cette recomposition à droite qu'il appelle de ses vœux. "Quinze ans après la création de l'UMP, l'échec est patent. Il faut déconstruire ce qui a été artificiellement créé en 2002", tranche celui qui se présente pour la première fois sous les couleurs du Front national après avoir navigué pendant dix ans entre droite républicaine et droite extrême.
Avec ma suppléante, nous incarnons l'avant-garde du rassemblement de la droite patriote, avec le FN comme pivot.
Jérôme Rivièreà franceinfo
Comme tous les vendredis soirs, Jérôme Rivière tient sa réunion de circonscription hebdomadaire. Le local FN de Brignoles, petite ville de l'arrière-pays varois, se remplit de militants. Ils sont une trentaine à se serrer entre les murs blancs recouverts de portraits de Marine Le Pen. Assis sur des chaises pliantes, ils écoutent religieusement le candidat, qui livre la bonne parole. Il commence par une explication de texte. La veille, Marine Le Pen, invitée du JT de TF1, a esquissé un mea culpa sur sa prestation lors du débat d'entre-deux-tours face à Emmanuel Macron. "On avait tellement envie de cette victoire… C'était important qu'elle nous dise qu'elle comprend cette frustration", professe-t-il.
Il n'a pas sa carte au Front national
Mais très vite, Jérôme Rivière en vient à son cheval de bataille : la recomposition de la droite. Les Républicains, qui hésitent entre combat frontal, opposition constructive et participation à la majorité présidentielle, "vont devoir clarifier leur situation", dit-il. Le candidat frontiste s'en prend à son adversaire, Marc Lauriol, qui promet, s'il est élu, d'être plus pragmatique qu'idéologue face à la politique d'Emmanuel Macron : "Dites-le autour de vous, le vote Lauriol, il n'a aucun sens !"
Viennent ensuite les débats internes au Front national, qui "doit franchir une étape". Pour étayer son propos, Jérôme Rivière évoque l'interview donnée par Marion Maréchal-Le Pen quelques jours plus tôt au magazine Valeurs actuelles, dans laquelle elle estime avoir des choses à dire et à faire avec Laurent Wauquiez : "Marion a brillamment expliqué que pour gagner, il faut désenclaver le parti !"
Marine a réussi à dédiaboliser, il faut maintenant décloisonner
Jérôme Rivièreà franceinfo
Membre du conseil stratégique de campagne de Marine Le Pen pendant la présidentielle, Jérôme Rivière semble incarner ce désenclavement. Le transfuge est devenu l'un des trois porte-parole nationaux du FN pour les élections législatives, avec Sébastien Chenu et Julien Sanchez. Et tout cela sans avoir sa carte du parti. Pour le directeur de la campagne des législatives du FN, Nicolas Bay, "il est emblématique de ces personnalités de droite qui ont des convictions fortes défendues avec constance. Son parcours lui permet de parler aux électeurs de droite écœurés par les élus LR qui lorgnent vers Macron". Mais l'engagement frontiste de Jérôme Rivière n'a pas vraiment fait d'émules. Loin d'avoir suscité une vague de ralliements, il reste à ce jour l'un des rares ex-représentants de la droite républicaine à avoir osé franchir le Rubicon.
Nicolas Sarkozy le déclare persona non grata
Entré en politique en 1988 comme attaché parlementaire de Louis Colombani, alors député du Var, Jérôme Rivière a milité de longues années au Parti républicain, l'aile libérale de l'UDF. Chef adjoint du cabinet de François Léotard au ministère de la Défense dans les années 1990, il connaît son heure de gloire aux législatives de 2002 à Nice. Suppléant du député et doyen de l'Assemblée nationale Charles Ehrmann sous la précédente mandature, il obtient l'investiture de l'UMP et remporte le siège confortablement.
"Il avait été parachuté de Paris et n'avait jamais mis les pieds à Nice. Une fois élu, ça c'est très mal passé avec Charles Ehrmann", se souvient un député des Alpes-Maritimes sous couvert d'anonymat.
A l'Assemblée, Jérôme Rivière défendait des positions qui n'étaient pas les nôtres. Il s'est radicalisé vers l'extrême droite.
Un député des Alpes-Maritimesà franceinfo
Le référendum sur la Constitution européenne, en 2005, est l'objet d'une première brouille avec Nicolas Sarkozy, alors chef du parti majoritaire, favorable au "oui". L'année suivante, à l'occasion du projet de loi sur l'immigration présenté par le même Nicolas Sarkozy, Jérôme Rivière dépose, avec son ami Lionnel Luca, une vingtaine d'amendements, par exemple pour limiter l'aide médicale d'Etat pour les étrangers aux seuls cas vitaux, ou pour empêcher les demandeurs d'asile déboutés de contester la décision devant la justice. "Tous mes amendements ont été rejetés. Tout le monde a obéi à Sarkozy", se souvient Jérôme Rivière.
Mis au ban de sa famille politique et privé de son investiture en 2007, il se présente tout de même, mais échoue face au candidat officiel de l'UMP, Eric Ciotti. Pendant la campagne des législatives, Jérôme Rivière raconte comment il a fini par être traité comme un pestiféré : "Lors d'un déplacement de Nicolas Sarkozy au tout début de son mandat, alors que j'étais encore député pour quelques jours, le préfet m'avait fait savoir que le chef de l'Etat m'avait fait interdire l'accès à la préfecture."
Quelques semaines plus tôt, Jérôme Rivière avait lui-même signé une forme de divorce avec sa famille politique dans un livre intitulé La Droite la plus repentante du monde. "L'Occidental, le Blanc, est coupable. Point. Parce qu'il a converti, asservi, colonisé. Parce qu'il est riche. La faute à qui ? A tout le monde. A la gauche, qui a perverti les esprits. A la droite, qui s'est couchée. Cela, il m'a fallu des années pour en faire le constat", écrivait-il.
J'ai fait partie des 'honteux', des 'repentants'. (...) J'ai pensé que nous avions à nous faire pardonner. Qu'issus d'une civilisation de bourreaux, il nous fallait battre notre coulpe. Que l'immigration, à défaut d'être une chance pour la France, n'était pas un problème. Qu'intégrer rimait avec Français. Que l'extrême droite était le diable. Je ne le crois plus aujourd'hui.
Jérôme Rivièredans "La Droite la plus repentante du monde", en 2007
Après un passage chez Philippe de Villiers – dont il fut directeur de campagne lors des élections européennes de 2009 – et un break politique de plusieurs années, cet avocat spécialiste des questions de défense et d'armement a donc refait surface au Front national, via Louis Aliot, auquel il s'est lié d'amitié. "Marine Le Pen cherchait des profils qui avaient une expérience parlementaire. Louis m'a dit que c'était dommage de ne pas m'investir dans cette campagne", raconte-t-il.
Un "petit saut" en parachute jusque dans le Var
Une nouvelle fois parachuté, il atterrit dans le Var, dans cette 6e circonscription où Marine Le Pen a recueilli 33,27% des voix au premier tour de la présidentielle et totalisé 51,98% au second. Ses adversaires ne manquent pas de souligner que le candidat frontiste demeure en réalité à une centaine de kilomètres de là, à Biot, dans les Alpes-Maritimes. "C'est un petit saut", relativise le patron du FN du Var, Frédéric Boccaletti, qui met en avant "les compétences, seul critère retenu pour les investitures".
Mais sur le terrain, la greffe prend-elle vraiment ? Sur le marché de Brignoles, le samedi matin, l'accueil est plutôt frais. Entouré d'une quinzaine de militants qui quadrillent les allées, et encadré par trois membres du DPS (le service d'ordre du FN) qui ne le lâchent pas d'une semelle, Jérôme Rivière avance en terrain inconnu. "Bonjour, je suis le candidat du Front national. C'est moi qui suis sur la photo", répète-t-il inlassablement à mesure qu'il distribue ses tracts.
Quelques-uns promettent qu'ils voteront FN, "parce que Macron, c'est vraiment pas possible". Certains refusent le prospectus, mais la plupart le prennent sans broncher. "Après les primaires de la droite et de la gauche, les deux tours de la présidentielle, on sent une saturation chez les électeurs", observe Jérôme Rivière. Son manque de notoriété ne l'effraie pas outre-mesure. "Aux législatives, les gens votent pour une étiquette, un programme", veut-il croire. "Ce n'est pas une élection locale, je suis bien placé pour le savoir ! En 2002, j'avais une notoriété exceptionnelle, les gens portaient des tee-shirts à mon nom et j'ai perdu parce que je n'avais pas l'étiquette UMP."
Au détour d'un étal, une habitante s'étonne : "Le Front national ? Mais j'ai déjà eu le tract !" Ce tract, une feuille A4 frappée d'un logo représentant une France avec un coq bleu-blanc-rouge, c'est en réalité celui de Laurent Lopez, ancien responsable du FN sur la circonscription, connu pour avoir remporté en 2013 une cantonale partielle fortement médiatisée. Mis sur la touche après des problèmes de santé et des désaccords locaux, il a décidé de partir en solo aux législatives, sans le soutien d'aucun parti. "Le problème de Jérôme Rivière, c'est qu'il appelle au rassemblement à des fins électoralistes, tacle-t-il. S'il était à ce point pétri de nos convictions et intéressé par l'union des droites, pourquoi ne nous a-t-il pas rejoints en 2006 ?"
La division de l'extrême droite – un autre candidat est investi sous le label "comités Jeanne" de Jean-Marie Le Pen – amuse Marc Lauriol. Le candidat des Républicains ironise : "Rivière veut le rassemblement des droites ? Qu'il arrive déjà à représenter le FN, ce sera déjà bien !"
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