Mais quel est ce "système" vilipendé par les politiques ?
Il est la cible des critiques de nombreux candidats à la présidentielle. Le microcosme dont il faut absolument s'écarter. Mais que se cache-t-il derrière ce "système" ?
"C'est vous qui êtes enfermés dans le système. C'est vous qui représentez le système, ce dont les Français ne veulent plus." L'ancien Premier ministre Manuel Valls a lancé ces phrases à des journalistes, mardi 13 décembre. Le candidat à la primaire socialiste s'est agacé alors qu'on lui demandait s'il n'était pas "le candidat du système" après avoir reçu le soutien de plusieurs ministres.
Le positionnement hors "système" ou "anti-système" est commun à de nombreux candidats à l'élection présidentielle. C'était également celui du milliardaire Donald Trump pendant la course à la Maison Blanche. Mais quel est ce fameux "système" condamné par les politiques, ce milieu aux contours flous dont ils veulent absolument se démarquer ?
Le "système", c'est les médias
Les journalistes sont accusés de faire partie du "système" et même d'en être, selon certains, les "idiots utiles", rappelle à franceinfo Gilles Ivaldi, chargé de recherche au CNRS et enseignant en sociologie à l’université de Nice. "D'après les populistes, les journalistes sont manipulés par les politiques pour qu'ils fassent en sorte que la population comprenne et lise l'actualité comme ils le souhaitent eux."
Jean-Luc Mélenchon dénonce ainsi le "système médiacratique qui est la deuxième peau du système". "Ces gens sont totalement domestiqués, intelligents, cultivés, qui ne se sentent pas traîtres. Ils [les gens de la "caste", du "système"] ne se lèvent pas le matin en se disant 'ah, comment vais-je trahir la classe ouvrière ?', non. Ils professent la vérité, l'évidence que c'est comme ça qu'il faut faire et pas autrement", dit-il.
Libération rappelait, en 2014, que "Marine Le Pen n’a jamais hésité à houspiller les journalistes – désignés par elle et son entourage comme une 'caste', pilier de 'l’oligarchie' et du 'système'".
De fait, le secteur des médias est aux mains de quelques industriels (Bolloré, Dassault, Lagardère, Arnault). "Cette concentration est dangereuse et vraiment inquiétante pour le bon fonctionnement de la démocratie française", s'alarmait, en 2015, auprès de La Tribune, Julia Cagé, titulaire d’un doctorat à l’université d'Harvard et professeure d’économie à Sciences-Po Paris. Mais les journalistes tiennent à leur indépendance, comme l'a montré le long conflit qui a opposé la rédaction d'i-Télé à la direction du groupe Canal+, détenu par Vincent Bolloré.
"Souvent, les journalistes démontent les attaques populistes des politiques, montrent que ce qu'ils disent n'est pas toujours vrai, que c'est simplificateur, que souvent c'est faux, rappelle Gilles Ivaldi. Alors pour les populistes, il est tentant de critiquer les journalistes, sans compter que cette profession n'a plus bonne presse dans l'opinion. Ils tentent alors de surfer sur ce sentiment de méfiance."
Le "système", c'est les partis politiques
Les formations qui sont au pouvoir, ou l'ont été, ou le seront – avec le jeu de l'alternance – seraient elles aussi au cœur du "système". Marine Le Pen n'a cessé d'attaquer "l'UMPS" du temps où Les Républicains ne portaient pas encore leur nom actuel, et continue de charger les deux principaux partis.
Mais les critiques ne viennent pas que des extrêmes. Lorsqu'il a annoncé sa candidature à la présidentielle, Emmanuel Macron a dénoncé des "règles obsolètes et claniques d'un système politique qui est devenu le principal obstacle à la transformation de notre pays". Et lorsque l'on a demandé à l'ancien ministre de l'Economie, lors d'un séjour à New York, s'il était un candidat "anti-système", il a répondu, selon Le Figaro : "C'est sans doute la réaction du système qui vous permettra d'en juger. Quand j'ai créé En marche ! je n'ai pas été accueilli à bras ouverts."
L'establishment a essayé de me tuer.
"Une des difficultés les plus importantes auxquelles sont confrontés [les partis politiques] tient à la place centrale du président de la République dans les institutions, écrit Laurent Bouvet, professeur de science politique à l’université Paris-Saclay, sur Slate, en 2014. Le président de la République "ne peut en effet être élu sans le soutien d’un ou plusieurs partis alors qu’il doit aussi, dès la campagne présidentielle, montrer qu’il se détache de l’emprise partisane – jusqu’à ce qu’il se situe, une fois président 'de tous les Français', 'au-dessus des partis'."
Le "système", c'est, évidemment, Paris
"Voyez les bobos venus après le brunch au spectacle de la Concorde, avant de filer en Velib' à Vincennes voir si François [Hollande] a une cravate plus cool que Nicolas [Sarkozy]. A moins que la séance de yoga ne les oblige à renoncer à ces festivités", avait raillé Marine Le Pen, en 2012.
François Fillon a lui aussi souligné la localisation géographique du "système", qui, selon lui, se situe "à l'intérieur du périphérique". C'est même selon lui un "petit microcosme parisien qui croit tout savoir". De son côté, Nicolas Sarkozy a opposé, en octobre, "la France de la vie réelle" et les Parisiens :
Cette élite, elle ne prend pas le métro, elle voit les trains de banlieue en photo, elle regarde avec une larme à l'œil les collèges de ZEP. (...) Cette élite-là, elle n'a jamais mis les pieds dans les exploitations agricoles au bord du gouffre, même si elle aime, avec son panier en osier, aller acheter des œufs frais, le matin, chez la fermière.
Autant de remarques étonnantes car "la plupart des candidats à l'élection présidentielle [en 2012, comme Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Nicolas Sarkozy et d'autres] ont un lien avec Paris et l'Ile-de-France. Soit dans leur vie personnelle, soit dans leur vie politique", soulignait France 3 Ile-de-France. Mais ces attaches ne sont pas évoquées. En effet, pour parler à toute la France, les candidats doivent "puiser aux racines profondes du terroir", ce qui écarte la mise en avant d'un ancrage parisien.
Le "système", c'est "l'élite" contre "le peuple"
"Le 'système' est un outil des partis populistes, explique Gilles Ivaldi. Au cœur des populismes, en général, il y aurait deux groupes : le peuple, qui est unique, homogène, qui fait un tout. Et une classe politique, une élite, qui serait totalement déconnectée de ce peuple. Souvent, dans cette critique de la classe politique, les populistes utilisent le terme de 'système'", détaille-t-il.
"Des leaders populistes comme Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon s'attribuent le fait de parler au nom du peuple et critiquent le 'système'. C'est l'une des grandes caractéristiques du populisme", poursuit Gilles Ivaldi. Dans cette conception, d'après le chercheur, le "système" est "imperméable" au désir du peuple.
Le 'système' est censé fonctionner avec des règles qui lui sont propres et imposer au peuple des choses dont il ne veut pas.
On retrouve ce terme à gauche et à droite. Pour Marine Le Pen, le "système" comprend la classe politique, mais aussi les journalistes, les "bien-pensants" – antiracistes, opposants au Front national –, l'Union européenne et, de plus en plus, les grands patrons, les grandes sociétés du CAC40. Pour elle, ces élites (économiques, intellectuelles et politiques) sont "mondialistes", c'est-à-dire pétries d'une idéologie qui prône le multiculturalisme et l'ouverture des frontières.
La vision de Jean-Luc Mélenchon diffère de celle de la présidente du FN. Le candidat de La France insoumise cible davantage les élites économiques. Dans le même temps, il prend la défense des opprimés, des plus pauvres, des fonctionnaires, des victimes de l'austérité et du libéralisme économique.
Monique Pinçon-Charlot, sociologue spécialiste de la haute bourgeoisie, précise à franceinfo que le "système" n'est pas une vue de l'esprit, mais que ce ne sont pas des "bobos parisiens" ou des intellectuels urbains. Pour elle, il s'agit plus précisément d'une élite économique, de personnes fortunées : "C'est un ensemble d'agents sociaux très organisés, avec d'importantes richesses, de nombreux titres de propriété, des cercles de socialisation et des modes de vie qui sont totalement différents des classes moyennes et populaires."
Le "système", ceux qui le pourfendent en font souvent partie
Si le "système" recoupe notamment les élites politiques, les personnalités qui l'attaquent en connaissent les arcanes.
Marine Le Pen a beau plaider qu'elle est une candidate "anti-système", franceinfo avait montré, en 2015, que le FN n'était plus vraiment marginal. Sa présidente a participé à la soirée de gala du magazine américain Time. Le parti accepte désormais les règles du jeu politique, et il est omniprésent dans les médias. Sans oublier que Marine Le Pen a grandi dans un manoir de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), ou encore qu'elle est avocate de formation et qu'elle est désormais députée européenne. Mais Gilles Ivaldi relève que la normalisation du parti n'est pas encore complète car le FN reste mis à l'écart par les autres formations politiques.
Jean-Luc Mélenchon, "anti-système" ? Il a été membre du PS et sénateur pendant de très nombreuses années. Il a été ministre délégué à l’Enseignement professionnel de 2000 à 2002 et est député européen depuis 2008.
François Fillon peut difficilement faire croire qu'il est étranger au "système". Député depuis l'âge de 27 ans, le châtelain sarthois a occupé différents postes de ministre et a été chef de gouvernement pendant cinq ans.
Nicolas Sarkozy a tenté lui aussi de se positionner comme un candidat "anti-système". Audacieux, au vu de son parcours. Après avoir fêté sa victoire à l'élection présidentielle au Fouquet's, il a passé ses vacances sur le yacht de son ami le milliardaire Vincent Bolloré à l'été 2007. Avant qu'il n'arrive à l'Elysée, il a été maire de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) – l'une des villes les plus riches de France – de 1983 à 2002, député, porte-parole du gouvernement, et plusieurs fois ministre avec des portefeuilles aussi prestigieux que l'Economie ou l'Intérieur.
Emmanuel Macron peut éventuellement jouer sur son âge, mais son parcours peut difficilement faire de lui un "anti-système" : passé par Sciences Po Paris et l'ENA, il a été banquier d'affaires chez Rothschild avant de devenir secrétaire général adjoint de l'Elysée puis ministre de l'Economie.
Manuel Valls lui aussi est au cœur de l'élite politique. Après avoir été attaché parlementaire, il est devenu secrétaire national du PS chargé de la communication, puis chargé de la communication de Lionel Jospin à Matignon. Il a ensuite été maire, député, ministre de l'Intérieur et Premier ministre.
Auprès des Echos, Frédéric Mion, directeur de Sciences Po, résume la situation ainsi :
On peut au moins faire le crédit à ceux qui critiquent les élites, en l'occurrence, de bien les connaître puisqu'ils en sont issus.
Le "système", c'est un fourre-tout à dénoncer pour séduire les électeurs
Gilles Ivaldi insiste sur le fait que les politiques qui critiquent le "système" utilisent le même terme mais ne visent pas les mêmes groupes, et que chacun vise ceux qu'il souhaite discréditer. Surtout, le chercheur relève qu'il existe une nuance importante entre les critiques du "système" venant de personnalités situées aux extrémités de l'échiquier politique et celles qui sont plus au centre. Pour les premières, c'est un discours récurrent, pour les secondes, il s'agit davantage de piques éphémères lancées sous le coup de l'agacement et pour suivre un créneau porteur.
En effet, plus d'un tiers des Français (39%) souhaite la victoire d'un candidat "anti-système" en 2017, selon une étude réalisée par l'institut YouGov (PDF), début décembre. Et 43% des sondés pensent que ce critère aura un impact important sur leur vote au cours de la prochaine élection présidentielle.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.