"Il y avait des odeurs de cadavre" : au Cannet-des-Maures, le combat du maire pour obtenir la fermeture d'une décharge à ciel ouvert
Grâce à l'opération #MonMaire lancée par franceinfo, vous nous avez signalé l'action de Jean-Luc Longour, maire depuis 2008 du Cannet-des-Maures, dans le Var. Cet élu s'est battu durant plusieurs années pour faire fermer le Balançan, un centre d'enfouissement d'ordures qui a empoisonné la vie des habitants.
#MonMaire
Vous êtes ravi des changements qu'a opérés le maire dans votre commune ? Vous êtes au contraire déçu de son bilan voire excédé par son action ?
"C'est un gars profondément humaniste." Nathalie Simpere, 59 ans, ne tarit pas d'éloges sur le maire de sa commune, Jean-Luc Longour, qui préside aux destinées du Cannet-des-Maures, une bourgade de 4 000 habitants en plein centre du Var. "Notre maire s'est battu contre l'Etat pour que soit fermée la décharge à ciel ouvert 'Le Balaçan' et il a réussi", nous avait d'abord écrit cette formatrice auprès des travailleurs sociaux, via l'opération #MonMaire lancée par franceinfo. "Grâce à lui, les odeurs nauséabondes ont disparu et notre quartier est redevenu habitable."
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Le 7 août 2018, une page s'est effectivement tournée dans le Var. Le centre d'enfouissement du Balançan, surnommé par nombre d'habitants "la verrue" et géré par le puissant groupe Pizzorno, a fermé ses portes sur décision de justice. Pendant quarante-quatre ans, la décharge a stocké les ordures ménagères des familles de 93 communes, soit 600 000 tonnes par an. "On y trouve des déchets pas ou mal triés par l'ensemble des communes qui ont déversé leurs saloperies là-bas", raconte, un poil énervé, William Dumont, le président de l'ABI (Association bagnolaise d'information). "Quelque 16 millions d'ordures ont été déposées sur la plaine du Cannet-des-Maures, qui est devenue en 2009 une réserve naturelle", appuie Paul Garcia, à la tête de l'association Ethique Environnement, qui a lutté pendant des années contre cette décharge.
"Des nuisances visuelles et olfactives"
Ce fervent défenseur de l'écologie a trouvé un allié de poids dans son combat : le maire lui-même, qui n'est autre que l'ancien président de l'association.
M. Longour a toujours lutté pour la protection de l'environnement. Il a été un partenaire idéal et combatif, nous le saluons au niveau de l'association.
Paul Garcia, président de l'association Ethique Environnementà franceinfo
Jean-Luc Longour s'est battu dès la fin des années 1990 pour obtenir la fermeture de la décharge, haute d'une centaine de mètres. "Cela faisait partie des objectifs de l'association Ethique Environnement de faire fermer cette décharge. Elle présentait de nombreuses nuisances, d'abord visuelles, parce que c'est devenu une colline, mais aussi olfactives puisqu'elle indisposait, selon le vent dominant, une grande partie de la population locale", raconte cet ancien médecin de 60 ans, élu en 2008 sous l'étiquette de l'UDI, dont il n'est plus adhérent aujourd'hui.
Un constat que partage sans réserve Nathalie Simpere. Cette mère de famille nombreuse vit depuis vingt-neuf ans à La Pardiguière, un quartier de lotissements à la périphérie du Cannet-des-Maures et surtout à moins de deux kilomètres à vol d'oiseau de la décharge. "On était en première ligne au niveau des nuisances, les odeurs ont été de plus en plus fortes et je me disais que ma maison allait perdre de sa valeur", se souvient-elle. La quinquagénaire, qui aime dormir les fenêtres ouvertes en été, a longtemps dû renoncer à ce plaisir simple.
Ça sentait très mauvais, il y avait même des moments où c'était insupportable, avec une espèce d'odeur de pourri.
Nathalie Simpere, habitante du Cannet-des-Mauresà franceinfo
Elle n'est pas la seule. Toute la ville, mais aussi les communes avoisinantes, comme Le Luc, sont, selon le vent, incommodées par les odeurs. "Par moments, c'était vraiment à vomir", se rappelle Patricia, qui, en dix-neuf ans de vie au Cannet-des-Maures, "a vu grandir la colline". Elle a encore en tête "les odeurs de cadavre" qui provoquent "une barre sur le front, tellement ça pue". A quelques encablures de chez elle, Jean-Baptiste et sa femme avaient eux l'impression qu'ils vivaient entourés d'ordures. "A un moment donné, on s'est demandé s'ils n'allaient pas faire des pyramides d'ordures et puis il y avait aussi tous ces camions qui passaient et laissaient tomber des ordures sur le chemin de la décharge". Installé depuis vingt-sept ans au Cannet, le retraité, âgé de 78 ans, a même fait partie de l'association de défense du cadre de vie du Var, où il s'est engagé contre la décharge.
Un combat de longue haleine
Car les habitants se sont mobilisés pendant des années contre cette pollution à deux pas de chez eux. Ils ont signé des pétitions et participé à plusieurs mobilisations. A leurs côtés : le maire du Cannet-des-Maures. Elu en 2008, Jean-Luc Longour commence par ordonner "une expertise judiciaire" qui, affirme-t-il, "a témoigné d'une pollution en superficie comme en sous-sol autour de la décharge". L'édile refuse également de modifier l'ancien PLU, le plan d'occupation des sols (POS), et rend inconstructible une parcelle qui permettait d'étendre la décharge. Mais le préfet contre-attaque et prend un projet d'intérêt général (PIG), "ce qui lui permet de passer outre les documents d'urbanisme et l'avis du maire", traduit Jean-Luc Longour.
Une longue bataille juridique débute alors entre le préfet, l'entreprise Pizzorno, le maire et les associations environnementales. "Nous avons attaqué régulièrement les arrêtés de prolongation du préfet jusqu'au dernier, celui de 2014 qui autorisait une dernière extension alors que notre PLU l'interdisait", se souvient Jean-Luc Longour.
Les déchets s'amoncellent mais cela n'empêche pas les propriétaires du site de demander sans cesse des autorisations pour prolonger l'exploitation de la décharge. "Le site était saturé mais ils ont essayé de prolonger dans le temps, raconte Paul Garcia, d'Ethique Environnement. Ils voulaient raser des bâtiments administratifs pour encore stocker des déchets".
Mais, le 7 mai 2018, coup de théâtre. Le tribunal administratif de Toulon donne raison à la ville du Cannet-des-Maures en annulant le dernier arrêté préfectoral qui prolongeait l'ouverture de la décharge. Quatre mois plus tard, le Balançan cesse son activité. Au grand soulagement du maire, qui, dès sa première campagne électorale, avait promis à ses futurs administrés de fermer le site.
Oui, c'est le combat d'une vie parce que ça a duré vingt ans, mais aussi c'est le combat de la parole donnée.
Jean-Luc Longour, maire du Cannet-des-Mauresà franceinfo
Les riverains, eux, respirent enfin. "Les odeurs ont disparu grâce au maire qui s'est battu pour nous", soutient Nathalie, même si, regrette-t-elle, "la verrue est toujours là, vous ne pouvez pas la rater". "On est soulagés que cela soit fini", soufflent Jean-Baptiste et son épouse. Les déchets, déposés pendant plus de quarante ans, sont pourtant toujours là et occasionnent encore, de temps à autre, quelques odeurs. Une commission de suivi de la décharge, dirigée par le sous-préfet, s'est mise en place et doit durer une trentaine d'années. Le maire travaille également sur plusieurs pistes concernant le devenir de la décharge : "Je ne m'arrête pas à la fermeture de la décharge. Une fois que le tas sera stabilisé, on pourra peut-être imaginer le recouvrir de panneaux photovoltaiques".
"Longour nous a mis dans la merde"
Un enthousiasme loin d'être partagé par les maires du département. "Les autres élus ne veulent pas assumer la hausse de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, qui est mécanique. Elle a déjà pris 1% et cela va augmenter encore", explique Sereine Mauborgne, députée LREM du Var, qui a soutenu, dès son élection en 2017, le maire du Cannet-des-Maures. Car depuis la fermeture de la décharge, les déchets sont exportés en dehors du département, sur deux sites, ceux de Septème-les-Vallons (Bouches-du-Rhône) et de Valensole (Alpes-de-Haute-Provence). Un trajet plus long et donc plus cher.
Jean-Luc Longour raconte ainsi avoir subi nombre de pressions de la part de ses collègues pour qu'il stoppe son combat, lui qui préside l'intercommunalité. "Je n'ai pas eu de menaces avec une balle dans une enveloppe mais chez tous les collègues, j'entends : 'Oui, la fermeture du Balançan c'est à cause de Longour, il nous a mis dans la merde'", assure-t-il.
Sereine Mauborgne a elle aussi bien compris que l'ancien médecin s'est mis beaucoup d'élus à dos.
Jean-Luc Longour a mené son combat de manière très isolée. La décharge arrangeait tout le monde, personne ne se préoccupait du sort des déchets.
Sereigne Mauborgne, députée LREM du Varà franceinfo
André Guiol, maire de Néoules (Var) et président du Sived, le Syndicat intercommunal pour la valorisation et l'élimination des déchets, ne partage pas cette analyse et dénonce plutôt "une fermeture brutale". "Il aurait fallu nous laisser trois ou quatre ans pour nous permettre de réagir, pour trouver une solution durable et respectueuse du contribuable !", affirme-t-il. L'édile nuance néanmoins ses propos sur un point : "Personne ne voulait de cette décharge chez lui, on peut comprendre le maire". Nathalie Simpere, elle, est bien loin de ces batailles politiques. La quinquagénaire se bat maintenant pour attirer l'attention sur le manque de recyclage des déchets dans les établissements médico-sociaux où elle a travaillé. Et c'est un peu grâce au maire : "Il m'a ouvert les yeux sur ma responsabilité en tant que citoyenne, sur l'écologie".
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