"On part de zéro" : implantation locale, divisions et couacs, la campagne des municipales révèle les faiblesses de LREM
Le parti d'Emmanuel Macron montre des signes d'inquiétude depuis plusieurs semaines à l'approche de ces élections de mi-mandat qui s'annoncent difficiles.
"Je pense que La République en marche va dans le mur", lâche, dépitée, la députée Frédérique Lardet après avoir claqué la porte du parti présidentiel. Pour les municipales à Annecy (Haute-Savoie), LREM n'a pas voulu l'investir, préférant soutenir le maire sortant UDI Jean-Luc Rigaut. Mais l'élue refuse de retirer sa candidature. Entre les dissidences, les polémiques sur la circulaire Castaner et le débat sur la réforme des retraites, la campagne des élections municipales ressemble de plus en plus à un long chemin de croix pour le parti d'Emmanuel Macron.
"Ça va être apocalyptique", prophétise un ministre dans Le JDD (lien abonnés). Et même s'il reste impossible de prévoir les scores qui s'afficheront sur les écrans les 15 et 22 mars, plusieurs cadres préparent déjà les éléments de langage pour relativiser les résultats. "Est-ce que l'UNR [l'Union pour la nouvelle République, parti du général de Gaulle fondé en 1958] a eu des élus de partout dès 1959 ? Non, rappelle à franceinfo le sénateur François Patriat, membre du bureau exécutif de LREM. Pour avoir des élus de partout, il faut être implantés, être connus. La nature même du mouvement fait que c'est très difficile."
On part de zéro sur le terrain.
François Patriat, chef de file des sénateurs LREMà franceinfo
Ce manque d'implantation se révèle effectivement problématique à la lueur de ces élections. "Ils n'ont pas du tout réussi à construire leur mouvement parce qu'ils ne font pas de politique. Du coup, ils se dirigent logiquement vers une sanction", tacle un communicant et observateur de la vie politique. Sur les 1 100 villes de plus de 9 000 habitants, "nous approchons des 550 investitures ou soutiens", compte le sénateur Alain Richard, coprésident de la Commission nationale d'investiture (CNI) de LREM, qui préfère voir le verre à moitié plein. "Nous serons engagés dans la très grande majorité, près de 80%, des 432 villes de plus de 20 000 habitants, ajoute l'ancien socialiste. C'est moins complet dans les plus petites villes, où nos adhérents ont été prudents en ne lançant pas de candidatures avec des équipes trop réduites." Il assure que sur le nombre d'investitures, LREM n'a rien à envier aux autres formations politiques.
"On joue perdant dès le départ"
Reste que dans de nombreuses villes, les candidats étiquetés LREM ne se présentent pas en position de force. "Ils ont eu beaucoup de mal à s'implanter localement et, quand ils ont des implantations qui tiennent la route, ils retombent dans des logiques politiciennes de l'ancien monde", note le même communicant interrogé par franceinfo. Dans plusieurs villes, le parti présidentiel a préféré se tourner vers des maires en place plutôt que de monter des listes, comme à Toulouse, Calais, Nancy, Angers ou Amiens. "On joue perdant dès le départ, la CNI se montre très frileuse et fait des choix incohérents. Ils préfèrent se placer pour limiter la casse, mais ça va se retourner contre eux", s'agace la dissidente Frédérique Lardet.
Ils prennent des décisions parisiennes, gouvernementales, plus qu'une décision de territoire. Moi, je ne suis pas rentrée à LREM pour ça.
Frédérique Lardet, députée de Haute-Savoieà franceinfo
"Quand un maire est un bon maire, qu'il soit de droite ou de gauche, et qu'il n'est pas contre Macron, il vaut mieux jouer placé que gagnant pour obtenir des conseillers municipaux", assume François Patriat. "Nous préférons voir nos amis participer à une majorité constructive plutôt que siéger seuls dans la minorité", complète Alain Richard. Le président de la CNI tance au passage ces candidats qui se lancent "avec parfois un peu de présomption et d'inexpérience".
"Un tableau Excel à la place du cerveau"
En choisissant de ne pas respecter la décision de la CNI, Cédric Villani, candidat à Paris, a mis en lumière les dissidences. L'excentrique mathématicien s'est revendiqué de l'esprit du macronisme pour se lancer dans une aventure personnelle, mettant des bâtons dans les roues du candidat officiel, Benjamin Griveaux. A Lyon aussi, le parti présidentiel ne sait plus où donner de la tête. Le camp de Gérard Collomb affronte une dissidence composée, notamment, de plusieurs anciens adjoints et de députés LREM. Dans les deux cas, les divisions pourraient profiter à la gauche et aux écologistes.
Mais les cas de Paris et Lyon ne sont pas isolés. Dans les 50 premières villes françaises, franceinfo a recensé pas moins de 15 cas de dissidence (voir la carte ci-dessous). "Nous avons au total une trentaine de ces situations de rivalité qui ne font pas de bien au mouvement et, le plus souvent, pas de bien non plus à ceux qui s'y engagent", précise Alain Richard. "Les dissidents apparaissent comme les diviseurs", assure aussi François Patriat. Mais, pour l'instant, LREM a choisi de ne pas sanctionner les récalcitrants, pour éviter d'affaiblir encore plus le parti. "On ne va pas prendre le risque de diviser et de perdre des soutiens", explique le sénateur.
Ces rivalités fratricides tournent parfois à la farce. A Argenteuil (Val-d'Oise), Olivia Fillette avait été choisie officiellement par son parti en octobre face à deux autres prétendants, dont Dalila Kaabeche. Cette dernière a malgré tout décidé de maintenir sa candidature. Et trois mois plus tard, la CNI choisit de changer son fusil d'épaule et investit finalement Dalila Kaabeche. "Nous avons été alertés en décembre sur le défaut de transparence entre la campagne d'Olivia Fillette et les responsables du mouvement En marche ! d'Argenteuil", se justifie aujourd'hui Alain Richard dans Le Parisien (article abonnés). "Alain Richard a un tableau Excel des circonscriptions à la place du cerveau, mais cela donne parfois des choix étranges", souffle un observateur de la vie politique. "Il ne vous a pas échappé que le parti n'était pas tenu d'une main de fer", conclut un ténor de la majorité.
Eléments de langage en macronie
Les guerres internes ne permettent pas au parti de s'engager avec sérénité dans la bataille des municipales. L'état-major prépare d'ailleurs déjà ses éléments de langage en cas de revers électoral. "Il s'agit d'un vote de mi-mandat, rappelle le sénateur François Patriat. Compte tenu de la nature de notre mouvement, du manque de notoriété de nos élus et du fait qu'en général, 70% à 80% des sortants sont réélus, il ne nous reste pas beaucoup d'espace au milieu, on ne peut pas dire qu'on est en position de force." Au cœur même de l'Elysée, Emmanuel Macron tente d'atténuer à l'avance la portée des résultats du scrutin à venir. "Je considère que les élections municipales, ce n'est pas une élection nationale", a déclaré mi-janvier le chef de l'Etat, en marge de ses vœux à la presse. "Je ne vais pas considérer que les gens votent pour tel ou tel candidat parce qu'ils soutiennent ou pas le président."
Je n'en tirerai pas de manière automatique des conséquences nationales.
Emmanuel Macronen marge de ses vœux à la presse
Des justifications déclinées à l'envi par les marcheurs. "On élit d'abord une personnalité qui a un bilan satisfaisant ou non en termes de gestion, confirme Fabien Gouttefarde, député LREM de l'Eure. A nous aussi de rappeler qu'une élection de mi-mandat est toujours compliquée, de dire qu'on est dans une période où l'on passe des réformes qui sont extrêmement difficiles…" C'est que le débat sur la réforme des retraites perturbe depuis plusieurs semaines la campagne de LREM. "Il y a des populations qui vont être très difficiles à rattraper, je pense notamment aux enseignants…" s'inquiète le député normand. "On a des opposants très énervés, avec des agressions verbales sur les marchés, témoigne aussi Alexandre Saada, candidat LREM au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis). Pour eux, je suis le candidat du fonds d'investissement BlackRock", soupçonné d'avoir voulu imposer la retraite par capitalisation en France.
Des objectifs modestes
Tous ces éléments invitent les marcheurs à la plus grande prudence. "Nous sommes plutôt dans l'humilité", confirme Alain Richard. Le délégué général de LREM, Stanislas Guerini, n'accepte qu'un seul objectif chiffré : passer de 2 000 conseillers municipaux actuellement à 10 000 après le 22 mars, soit moins de 2% des 525 000 élus municipaux que compte la France.
Mais LREM a surtout conscience que le résultat des grandes villes sera scruté à la loupe. "J'espère qu'on gagnera Lyon, Strasbourg, Dunkerque, Nancy, Orléans…" projette François Patriat. Reste le cas de Paris, qui focalise l'attention médiatique. Une victoire de Benjamin Griveaux dans la capitale permettrait à LREM de sauver son bilan, mais, fin janvier, l'ancien porte-parole du gouvernement stagnait en troisième position dans les sondages, derrière Anne Hidalgo et Rachida Dati. "Je pense que sur les 500 investitures dans les villes de plus de 9 000 habitants, il y en a peut-être 200 qui sont gagnables…" ose de son côté un poids lourd de la majorité.
Dans ce contexte morose pour le parti au pouvoir, il peut être tentant de remobiliser l'électorat centriste en agitant le chiffon rouge du Rassemblement national. Des élus LREM ont ainsi fait part de leurs calculs au JDD (article abonnés). D'après eux, 137 villes pourraient passer sous le pavillon du RN aux municipales. Mais, comme le démontre Libération, ces projections semblent bien optimistes pour l'extrême droite. Les marcheurs prennent en exemple des villes comme "Grasse, Cannes, Antibes, Avignon", où le parti de Marine Le Pen n'a en réalité que très peu d'ambitions. A Cannes, le RN n'a même pas encore de candidat désigné.
Pour freiner une poussée nationaliste, Stanislas Guerini a déjà demandé aux candidats LREM mal placés à l'issue du premier tour de se désister "pour battre le Rassemblement national". Marine Le Pen a dénoncé en réaction un "aveu de faiblesse" et une nouvelle stratégie des macronistes : "Tout ce cinéma vise à justifier leurs faiblesses en matière d'implantation locale."
"Brouiller les cartes"
Autre subterfuge, la circulaire Castaner portant sur le "nuançage" politique a été vue par l'opposition, de gauche comme de droite, comme un moyen de fausser l'interprétation des résultats au niveau national au profit de La République en marche. Pour rappel, cette circulaire demandait aux préfets de n'attribuer une nuance politique aux candidats que dans les communes de 9 000 habitants et plus (contre 1 000 auparavant), excluant ainsi 8 754 communes des nuances politiques. Le texte créait aussi une nuance "liste divers centre" (LDVC) qui aurait permis de regrouper des listes divers droite ou divers gauche soutenues par des partis centristes.
"Cette circulaire entérine la demande de très nombreux élus de petites villes et de villages qui formaient des listes non partisanes et se plaignaient d'être classés politiquement contre leur gré, défend Alain Richard. Et ensuite, elle se borne à noter une donnée politique nouvelle, avec l'étiquette 'divers centre'."
Un grand nombre d'élus et de candidats venant de gauche et de droite se jugent compatibles avec LREM.
Alain Richard, coprésident de la CNIà franceinfo
"Il serait absurde que ces élus n'apparaissent nulle part dans la statistique officielle alors qu'une bonne partie du débat politique depuis des mois porte sur ce phénomène", justifie le sénateur.
"Ces choix opportunistes sont avant tout destinés à brouiller les cartes et, si possible, à pouvoir revendiquer d'éventuelles victoires acquises par d'autres", s'est insurgé de son côté le sénateur PS Patrick Kanner dans une tribune au JDD, mi-janvier. "Ils ont voulu émasculer les maires des villes de moins de 9 000 habitants pour avoir une lecture qui apolitise le scrutin", juge aussi un communicant.
Finalement, le Conseil d'Etat a suspendu la circulaire du gouvernement et le ministère de l'Intérieur a été contraint de revoir sa copie en incluant les villes entre 3 500 et 9 000 habitants dans les résultats nationaux. Mais, comme le note un observateur de la vie politique, cet épisode est une nouvelle preuve de la fébrilité macroniste à l'approche des élections : "La volonté de tout le monde du côté de LREM est de faire en sorte qu'au soir du second tour, la carte électorale soit illisible."
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