Elections municipales : quatre questions sur la suspension de l'essentiel de la "circulaire Castaner" par le Conseil d'Etat
Le Conseil d'Etat a suspendu, vendredi 21 janvier, trois dispositions importantes de la controversée "circulaire Castaner".
Un désaveu pour le gouvernement. Le Conseil d'Etat a suspendu trois dispositions d'une récente circulaire du ministère de l'Intérieur, vendredi 31 janvier. A cause de ce document baptisé "circulaire Castaner" et portant sur le "nuançage" politique, le gouvernement était soupçonné de vouloir manipuler les résultats des élections municipales à venir. Le président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, Damien Abad, avait ainsi déposé, par le biais de deux élus locaux de son département, un recours devant le Conseil d'Etat, plus haute instance administrative de France.
1Pourquoi cette circulaire fait-elle polémique ?
La circulaire présentée par le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner avait été révélée par Public Sénat le 16 janvier. Adressée aux préfets, elle leur demandait de n'attribuer une nuance politique qu'aux candidats et listes déclarés dans les communes d'au moins 9 000 habitants. Une décision qui concernerait près d'un électeur sur deux, comme l'a montré "L'Œil du 20 Heures" sur France 2. Lors des précédentes élections, en 2014, toutes les villes de plus de 1000 habitants étaient concernées par ce "nuançage".
Si ce changement a été salué par l'Association des maires ruraux de France (AMRF), qui demandait que les candidats des communes de moins de 3 500 habitants cessent d'être "affublés d'une nuance par les services préfectoraux", la mesure a inquiété plusieurs partis, comme Les Républicains (LR) et le Parti socialiste (PS). Ces derniers ont accusé le ministre de l'Intérieur de vouloir présenter des résultats tronqués.
En élevant le seuil de 1 000 à 9 000 habitants, ce sont en réalité 8 754 communes, dans lesquelles vivent 23 millions de citoyens, qui disparaissaient des radars, selon le calcul de Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat. Une mesure potentiellement avantageuse pour La République en Marche, qui n'a investi ou annoncé son soutien qu'à 558 candidats sur quelque 35 000 communes françaises. En occultant les résultats des plus petites communes (dans lesquelles la majorité a obtenu des scores moins élevés aux dernières élections, les européennes de 2019), le gouvernement est soupçonné de vouloir minimiser une possible défaite.
Autre mesure contestée dans ce texte : celle portant sur l'attribution de la nuance "liste divers centre" (LDVC). La circulaire prévoyait que cette nuance soit attribuée "aux listes qui auront obtenu l'investiture de plusieurs partis, dont LREM ou le MoDem", mais aussi "aux listes de candidats qui, sans être officiellement investies par LREM, ni par le MoDem, ni par l'UDI, seront soutenues par ces mouvements". Un seul soutien permettrait, dès lors, à un candidat de se voir attribuer la nuance "divers centre". Le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc, par exemple, se représente avec le soutien de LR et LREM. Faudra-t-il considérer sa liste comme "divers centre, donc dans le giron de la majorité présidentielle, alors qu'elle est composée majoritairement de personnes de droite ?", demandait ainsi Damien Abad.
2Qu'a décidé le Conseil d'Etat ?
Le Conseil d'Etat a suspendu trois mesures. La première porte sur le seuil d'attribution des nuances politiques. Le Conseil d'Etat estime qu'en le limitant aux communes de plus de 9 000 habitants, la circulaire exclut plus de 95% des communes et près de la moitié des électeurs de la présentation des résultats au niveau national. "Une telle limitation ne pouvait être appliquée, au regard de l’objectif d'information des citoyens poursuivi par la circulaire", estime le juge des référés.
Les conditions d'attribution de la nuance "Liste divers Centre" sont également retoquées. "La circulaire prévoit qu'en principe seule l'investiture par un parti politique, et non son simple soutien, permet d'attribuer une nuance politique à une liste", rappelle le Conseil d'Etat, qui relève que le document "fait toutefois exception à cette règle pour les seules listes qui seront soutenues par les partis LREM, le MODEM, l'UDI ou par 'la majorité présidentielle'". Le juge des référés y a vu une "différence de traitement" et une méconnaissance du "principe d'égalité".
Le classement de la "Liste Debout la France" de Nicolas Dupont-Aignan dans le bloc "extrême droite" a également été rejeté. Le juge des référés estime que ce classement "ne s'appuie pas sur des indices objectifs".
3Que va devenir cette circulaire ?
En ordonnant la suspension de l'exécution de la circulaire de Christophe Castaner, le Conseil d'Etat contraint le ministre à revoir sa copie. Le ministère de l'Intérieur a ainsi annoncé dans un communiqué que Christophe Castaner et son secrétaire d'Etat Laurent Nunez "prennent acte" de cette ordonnance. Ils précisent que "la circulaire sera modifiée pour tenir compte de cette ordonnance, sans renoncer à répondre aux demandes des élus locaux et à correspondre aux mutations du paysage politique français".
Le Conseil d'Etat condamne également l'Etat à verser à chacun des requérants la somme de 2 000 euros. Moins d'une semaine après l'avis sévère portant sur le projet de réforme des retraites et son étude d'impact, la haute juridiction désavoue ainsi une nouvelle fois le gouvernement.
4Comment l'opposition réagit-elle ?
Droite et gauche ont salué la décision du Conseil d'Etat. "Chaque voix compte. C'est le sens de la décision rendue par le Conseil d'Etat", a réagi sur Twitter le secrétaire du PS Olivier Faure. Pour Patrick Kanner, chef de file des sénateurs PS, le Conseil d'Etat "condamne la manipulation du scrutin et l'effacement des résultats de 97% des communes". "Non, Monsieur le Président, on ne tripatouille pas les résultats des élections quand on les craint !", a-t-il tweeté.
"Ce que le Conseil d'État vient de dire clairement, c'est que le ministre de l'Intérieur de la République française a tenté sciemment de truquer, de masquer le résultat électoral", a souligné Aurélien Pradié, député LR du Lot et secrétaire général des Républicains.
Le président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan a noté "une victoire de l'Etat de droit et du bon sens, contre une manœuvre politicienne tellement scandaleuse qu'elle avait uni toute l'opposition contre elle".
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