Pourquoi le front républicain est mort
Le désistement d'une liste de gauche pour une liste UMP ou UDI mieux placée, et réciproquement, a longtemps été utilisé pour faire barrage au Front national. Mais cette stratégie perd de son efficacité.
Se retirer ? Fusionner avec une autre liste ? Maintenir sa candidature ? Pour faire barrage au Front national lors de ces élections municipales, le PS appelle officiellement au front républicain. En clair, s'effacer en faveur d'une liste UMP, lorsque celle-ci est mieux placée, dans les villes où le FN risque de gagner au second tour, dimanche 30 mars. Mais à mesure que le Front national s'installe dans la vie politique, la stratégie perd de son impact. Voici plusieurs raisons pour lesquelles le front républicain a du plomb dans l'aile.
Il ne fonctionne plus qu'à sens unique
"La mort du front républicain est désormais manifeste, constate le député PS Yann Galut dans un communiqué. Il est caduc puisqu'il ne fonctionnerait plus que dans un seul sens." En effet, depuis les élections de 2012, le président de l'UMP, Jean-François Copé, a réussi à imposer à son camp la règle du "ni-ni". Avec cette doctrine "ni FN, ni PS", le parti invite ses candidats à se maintenir quoi qu'il advienne. Et tant pis si un candidat FN est élu.
Or, par nature, un "front républicain" implique une réciprocité entre les partis estimant appartenir à l'arc républicain. Devant ce refus de l'UMP à se retirer là où le FN menace, certains candidats de gauche ne veulent plus jouer les Bons Samaritains. A Cavaillon (Vaucluse), et surtout à Béziers (Hérault), où la probabilité de victoire de Robert Ménard (soutenu par le FN) est très forte, le PS, arrivé troisième, ne se retirera pas. A Fréjus (Var), où le frontiste David Rachline semble bien parti pour prendre la mairie, la candidate socialiste s'achemine également vers un maintien de sa liste si les tractations avec les deux listes de droite encore en course achoppent.
Aux municipales, se retirer équivaut à un suicide politique
Se retirer entre les deux tours d'une élection municipale est lourd de conséquences. Aux législatives, le candidat arrivé troisième ou quatrième n'a rien à perdre en s'effaçant pour un candidat mieux placé. Mais lors d'un scrutin municipal, jeter l'éponge revient à ne plus disposer d'aucune représentation au sein du conseil municipal et donc à disparaître de la vie politique de la commune pendant six ans.
La décision est particulièrement difficile à prendre pour certaines équipes sortantes qui peuvent se retrouver du jour au lendemain éjectées de la municipalité sans même pouvoir siéger dans l'opposition. C'est pourtant la décision qu'a prise le maire PS Alain Gaido à Saint-Gilles (Gard) pour éviter une victoire de Gilbert Collard, qui mène une liste Rassemblement bleu Marine soutenue par le FN.
Il n'est pas toujours efficace
Quand bien même il est mis en œuvre, le front républicain n'est pas toujours efficace pour contrer le Front national. Le temps où les électeurs de gauche s'étaient déplacés comme un seul homme pour voter Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen, en 2002, semble révolu. Désormais, lors d'un duel entre le FN et l'UMP ou le PS, les reports de voix de la liste éliminée ou retirée ne sont plus aussi nets.
Ces derniers mois, lors d'élections législatives partielles qui ont opposé l'UMP au FN, comme à Compiègne (Oise) ou à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), une proportion non négligeable des électeurs PS du premier tour ont porté leurs voix sur le candidat FN plutôt que sur celui de l'UMP. Même constat en octobre 2013, lors de la cantonale partielle de Brignoles (Var), où les multiples appels venus de la gauche à faire barrage à l'extrême droite n'ont pas suffi à empêcher la victoire du candidat FN, Laurent Lopez.
"Il y a une double répugnance des électeurs PS à voter UMP et de ceux de l'UMP à voter PS, explique à francetv info Frédéric Dabi, de l'Ifop. Les électeurs socialistes sont réticents, notamment dans le sud de la France, du fait de la trop grande porosité qui existe, selon eux, entre le FN et l'UMP. De l'autre côté, c'est un vrai déchirement pour les électeurs UMP que de voter PS, car sur le plan des valeurs, il n'y a que peu de différences entre les électorats UMP et FN." De fait, selon un sondage Ifop pour Atlantico, 55% des sympathisants UMP et 62% de ceux du FN se disent favorables à des accords locaux entre les deux tours des municipales.
L'épouvantail FN ne fait plus peur
De succès électoraux en succès électoraux, et à force de polir son discours, le Front national s'est installé au fil du temps comme un parti comme les autres aux yeux d'une proportion de plus en plus importante de Français. Ainsi, agiter l'épouvantail d'une victoire du Front national n'est plus aussi efficace. Et les réactions beaucoup moins spectaculaires. En 1998, l'élection de plusieurs présidents de région de droite avec les voix du FN avait provoqué un tollé dans l'opinion. En 2014, au lendemain de la victoire de Steve Briois à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), une très modeste manifestation n'a rassemblé qu'une quarantaine de manifestants antiracistes.
"Combattre le Front national sur un plan uniquement moral est devenu improductif. Face au FN, il s'agit d'apporter des réponses sur le plan économique et social", reconnaît Laurent Baumel, député PS de l'Indre-et-Loire et membre du courant de la Gauche populaire, interrogé par francetv info.
Même la référence aux expériences calamiteuses de Toulon, Vitrolles et Marignane après les élections de 1995 ne semble plus être un argument crédible, tant le FN cherche à se donner un nouveau visage. "Les dirigeants du FN ont tiré les conséquences de ces erreurs, de sorte que les candidats frontistes qui ont une chance d'être élus ne font absolument pas campagne sur les idées du FN, mais sur des thématiques strictement municipales, note le chercheur Sylvain Crépon dans Atlantico. Le FN cherche ainsi à se donner une légitimité gestionnaire qui lui fait tant défaut."
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