"On fait ce qu'il faut pour qu'il soit partout lors de cette présidentielle" : une nuit avec les colleurs d'affiches d'Asselineau
Longtemps invisible dans les médias, le candidat de l'UPR, un petit parti qui milite pour le "Frexit", s'est imposé dans le paysage urbain, grâce à ses colleurs d'affiches. Reportage avec l'une de ces équipes dans l'est parisien.
Dans Paris endormie, la voiture circule au ralenti. "Tiens, regarde, il y a un mur plein de pubs", lance Nicolas, 28 ans, alors que l'Opel Vectra débouche sur la place Gambetta. Au volant, Sofiane, 21 ans, soupire en regardant la palissade de chantier jonchée d'affiches : "C'est pire que de la pub, c'est Macron !" Nicolas s'emporte : "Oh putain... Il y en a au moins douze... Beurk, beurk, beurk... On va se le faire."
Il est un peu plus de minuit, ce mercredi 29 mars, et trois colleurs d'affiches de l'UPR commencent leur tournée dans l'est de la capitale. Dans le coffre, 30 litres d'eau, des kilos de colle en poudre, deux perches télescopiques "de bonhomme" et une centaine d'affiches de François Asselineau, le candidat de ce petit parti à l'élection présidentielle. Bref, "de quoi rendre à la France son indépendance", plaisante Sofiane. Souverainiste et anti-américain, leur candidat milite pour la sortie de l'euro, de l'Union européenne et de l'Otan.
"Le seul moyen de le faire connaître, c'était l'affichage"
Pour ces militants, le collage est essentiel. "François Asselineau a été si longtemps zappé par les grands médias que le seul moyen de le faire connaître, c'était l'affichage, explique Nicolas, ancien croupier et serveur au chômage. On fait ce qu'il faut pour qu'il soit partout, tout le temps. Le but, c'est d'imposer son discours après avoir imposé son visage."
En région parisienne, l'objectif est atteint. Sur les ponts du périphérique, les palissades de chantiers, les magasins abandonnés, les armoires électriques... Le crâne légèrement dégarni du "candidat du Frexit" est partout. A tel point que le présentateur de la matinale d'Europe 1, Thomas Sotto, l'a surnommé début mars "le candidat des armoires électriques". Un titre qui fait la fierté de Nicolas.
Algorithmes et huile de coude
Comment expliquer ce joli succès ? Les responsables de l'UPR estiment qu'ils disposent d'une main d'œuvre plus déterminée que leurs adversaires. "On est l'un des seuls groupes politiques à coller nous-mêmes. Les gros partis font appel à des sociétés, qui collent l'affiche de l'un à côté de l'affiche de l'autre", assure Stevann Labbé, référent du parti en Seine-Saint-Denis. En ce moment, Nicolas, Sofiane et Sami sortent toutes les nuits ou presque, comme en attestent leurs vêtements couverts de traces blanchâtres. Ils payent eux-mêmes l'essence et le matériel. Seules les affiches sont fournies. "Il y a des soirs où on n'a pas envie mais on le fait par sens du devoir. On se motive entre nous. Un jour pour la France, un jour pour rendre service à un pote", glisse Nicolas.
Au fil du temps, leur technique s'est perfectionnée. Dans les Hauts-de-Seine, un militant a même créé des parcours à l'aide d'algorithmes. Objectif : optimiser les distances ou le sens de circulation. "Je ne vais pas vous donner trop de détails, mais on ne fait pas ça au hasard", sourit Nicolas, en sortant le seau de colle - "une grosse poignée de poudre pour deux litres d'eau" - du coffre de la voiture. Ce soir, après un bref passage avenue Simon Bolivar, le collage commence place des Fêtes, sur les hauteurs du 19e arrondissement. "Demain, c'est jour de marché", argumente Nicolas, qui s'est en fait trompé de jour.
On est dans un secteur mélenchoniste où on ne peut pas tenir une semaine. On y va tard les veilles de marché pour être présent le lendemain quand il y a du monde. Les mélenchonistes, à 22 heures, ils sont au lit.
Nicolas, militant UPRà franceinfo
Sous le regard curieux de quelques noctambules, la petite équipe s'active. Il faut coller sur des endroits visibles, le plus haut possible pour éviter les ongles des "arracheurs" ou le marqueur d'un plaisantin. L'exercice demande un certain doigté : une perche doit plaquer la grosse affiche, pendant qu'une autre applique la colle. Parfois, le revêtement leur joue des tours. "C'est vraiment un mec qui n'aime pas les colleurs qui a fait ce mur, grince Nicolas. Il boit toute la colle." Parfois, c'est le vent qui interrompt le ballet de ces perches de près de 5 mètres.
La guerre des territoires
Mais le pire ennemi d'un colleur UPR reste ses concurrents. A Paris, où les panneaux d'affichage libres sont rares, la guerre fait rage. "Cet endroit est une chasse gardée de la gauche. Si on colle ici, dans deux heures, on est recouvert. Ils doivent le surveiller à la jumelle", regrette Nicolas, en montrant un commerce abandonné de l'avenue Gambetta. Mais l'UPR a aussi ses fiefs. "Cela fait un an qu'on tient le périphérique. Le FN, ils l'ont mauvaise", savoure le militant. Les accrochages entre colleurs sont parfois violents : la veille, la voiture d'un militant UPR a été endommagée par des militants frontistes.
On évite les affrontements, on ne peut pas se le permettre pour l'image du parti.
Nicolas, militant UPRà franceinfo
Les policiers sont moins redoutés. Le code de l'environnement prévoit une amende de 7 500 euros pour l'affichage sauvage, mais la pratique est largement tolérée à Paris : aucun des colleurs rencontrés par franceinfo ne s'est fait verbaliser. La plupart du temps, les forces de l'ordre leur demandent juste de déguerpir. "Parfois, ils nous disent d'arracher l'affiche. Une autre fois, il y en a un qui m'a dit : 'Mais pourquoi tu recouvres Marine [Le Pen] ?'", se remémore Nicolas. Les trois militants préfèrent quand même rester prudents : un peu plus tard dans la soirée, l'irruption d'un camion de police les a fait remballer leur matériel dans le coffre.
"T'es mondialiste, t'es tout ce qu'on déteste"
Il faut aussi parfois palabrer avec les passants qui viennent les titiller sur leur candidat. Avenue Simon Bolivar, un homme s'approche, une bière à la main, pour griffonner une affiche fraîchement collée. "Prends le temps de le connaître avant de le barbouiller", attaque Nicolas, un peu agacé. La discussion s'engage avec ce partisan de l'ouverture des frontières. "T'es un mondialiste, t'es tout ce qu'on déteste. [...] On est à 10,5% de chômage en trafiquant les chiffres [10% selon les derniers chiffres de l'Insee] et tu veux accueillir des réfugiés ?", balance Nicolas. Après de longues minutes d'échange, l'homme repart en promettant de jeter un œil au site internet de l'UPR.
Vers 4 heures, la fatigue commence à se faire sentir. Les colleurs ont mal aux bras et à la nuque. "Si t'as pas mal aux bras en fin de nuit, c'est que t'as mal collé. On n'est pas chez Hamon ici, on laisse pas les coins baver", pérore Nicolas face à ses collègues moins expérimentés. Après un dernier tour au métro Père-Lachaise et un raid sur les affiches d'Emmanuel Macron de la place Gambetta, la petite troupe se sépare. Il est 5 heures et les trois militants, sans activité, vont dormir avant de remettre ça. "Quand on ne travaille pas, on a le temps de se battre pour ses idées, philosophe Nicolas. C'est quand même plus intéressant que de porter des assiettes ou des menus."
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