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"On se retrouve dans un vide sidéral" : cinq anciens candidats à la présidentielle racontent les jours qui suivent la défaite

Article rédigé par franceinfo - Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Christiane Taubira lors de ses vœux à la presse le 16 janvier 2002, à Paris. (LUDOVIC / REA)

Alors que pour neuf candidats à la présidentielle, l'aventure s'est terminée dimanche soir, plusieurs de leurs malheureux prédécesseurs livrent leur expérience d'après premier tour.

C'est terminé. Après des semaines, voire des mois de campagne, neuf candidats à l'élection présidentielle de 2017 se sont heurtés au mur du premier tour. Seuls Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont décroché un billet pour le second tour. Pour les autres, la campagne est bel et bien finie, et s'ouvre désormais une période pas toujours facile à vivre. "Vide sidéral", "grand moment de solitude", "fatigue", "dépression", "trou d'air"… Contactés par franceinfo ou interrogés dans le cadre d'un documentaire de Canal+, cinq anciens candidats malheureux à l'élection présidentielle racontent les jours qui ont suivi le premier tour, entre soulagement et désarroi. 

Christine Boutin, candidate en 2002 : "On se retrouve dans un vide sidéral"

Christine Boutin lors d'un meeting pour l'élection présidentielle, le 27 janvier 2002 à Paris. (MAXPPP)

Elle s'en souvient "très bien". Lorsqu'on évoque avec Christine Boutin ses souvenirs de 2002, il n'en faut pas plus pour replonger l'ex-présidente du Parti chrétien-démocrate quinze ans en arrière. "J'étais à mon QG boulevard Raspail, et les résultats ont été une déception. J'espérais faire 3%", raconte à franceinfo celle qui ne décroche alors que 1,19% des suffrages. Mais le "moment le plus difficile", se remémore Christine Boutin, n'est pas le soir même, mais le lendemain matin. 

Il n'y a plus personne, plus d'activité, les militants sont partis. C'est calme, il n'y a plus de bruit. On se retrouve sans objectif, sans avenir.

Christine Boutin, candidate en 2002

à franceinfo

Mais le 21 avril 2002, l'élection est particulière. Jean-Marie Le Pen accède au second tour contre Jacques Chirac, éliminant Lionel Jospin. "J'ai demandé à monsieur Chirac un rendez-vous personnel pour négocier mes 2%. Ça peut paraître secondaire mais Chirac ne savait pas comment cette histoire allait tourner, et donc chaque voix comptait. J'ai pu négocier avec lui, notamment sur la famille, assure Christine Boutin. Le vide du matin a vite été compensé par cette nécessité de faire barrage au FN."

Quels conseils pourrait-elle donner aux candidats qui se sont fait éliminer dimanche ? "C'est d'abord d'être certain que leur combat n'a pas été inutile, et puis la deuxième chose à faire, c'est d'avoir l'intelligence de donner des consignes de vote. C'est la justification et la continuité normale de nos institutions." Préconise-t-elle du repos ? Pas vraiment. "S'arrêter, c'est risquer le burn out à la fin. Moi, je suis repartie aux législatives. Mais chacun a son degré de résilience, sa capacité d'encaisser…"

Marie-George Buffet, candidate en 2007 : "Je n'ai pas pu m'en sortir toute seule, j'ai été obligée de consulter"

Marie-George Buffet lors d'un meeting pour l'élection présidentielle, le 1er avril 2007 à Paris. (MAXPPP)

Ce burn out que Christine Boutin évoque, Marie-George Buffet l'a subi de plein fouet. En 2007, celle qui a été ministre des Sports sous Jospin de 1997 à 2002, et dirige alors depuis 2001 le Parti communiste français, se présente aux suffrages des Français. Dix ans plus tard, dans Moi, candidat, documentaire de Ludovic Vigogne et Jean-Baptiste Péretié diffusé début avril sur Canal+, Marie-George Buffet dit n'avoir rien oublié des moments de "fatigue" de la campagne : "Ne plus avoir envie", "arriver devant une salle et se dire qu'on ne va pas y arriver"... 

Mais le plus dur n'arrive pourtant qu'après la campagne. Marie-George Buffet ne recueille que 1,93% des voix – le pire score jamais enregistré par un candidat communiste à l'élection présidentielle. "C'est le pire moment de ma vie militante, de mon engagement politique, ça a été un moment terrible", témoigne-t-elle.

J'ai passé des semaines et des semaines où j'étais au ras des pâquerettes. J'étais dans un état de dépression extrêmement violente.

Marie-George Buffet, candidate en 2007

dans le documentaire "Moi, candidat"

"Je n'ai pas pu m'en sortir toute seule. J'ai été obligée de consulter, pour qu'on puisse m'accompagner un peu, révèle dans ce documentaire l'ancienne candidate du Parti communiste. Je n'arrivais pas à me sortir de cette souffrance, il faut oser dire ce mot."

"Ensuite j'ai repris une activité, reprend-elle. J'ai été réélue députée, vous vous occupez des hommes et des femmes de votre circonscription. Bon... Mais je ne peux pas en parler, encore aujourd'hui, sans que ça me... Voilà..." 

Frédéric Nihous, candidat en 2007 : "Ce n'est pas une dépression, mais pas loin"

Frédéric Nihous lors d'un meeting pour l'élection présidentielle, le 24 mars 2007 à Teteghem (Nord). (MAXPPP)

Des anciens candidats interrogés par franceinfo, Frédéric Nihous est celui qui décrit avec le plus de détails ce qu'implique une campagne présidentielle sur le plan psychologique. Candidat de Chasse, pêche, nature et traditions en 2007, il ne récolte que 1,15% des suffrages. "J'étais dans mon QG rue des Plantes, à Paris, et j'ai été planté. Comme on n'est pas dans le système, on n'avait pas les bonnes infos. A 20 heures, le couperet est tombé, c'était un grand moment de solitude", avoue-t-il. 

"On reçoit 10 000 coups de téléphone par jour, et puis tout à coup, ça s'arrête. Le soir du premier tour, on fait quelques plateaux télé puis vers 23 heures, on va manger quelque part et là, c'est le vide, décrit-il. J'étais le candidat de la ruralité et puis à 20h01, je suis redevenu Frédéric Nihous."

Le candidat raconte encore son retour à la maison, cinq semaines après avoir quitté ses proches. "J'ai retrouvé ma petite fille, il faut alors faire les courses et repasser les chemises alors qu'en campagne vous êtes le cheval de course, on s'occupe de vous." Pour Frédéric Nihous, le retour à la "vraie vie" ne sera pas chose aisée. "Psychologiquement, c'était la galère. Ce n'est pas une dépression, mais pas loin. J'ai vraiment redémarré en septembre."

Pendant de longues semaines, c'est le trou d'air, on s'emmerde.

Frédéric Nihous, candidat en 2007

à franceinfo

Néanmoins, comme Christine Boutin, il ne regrette rien : "Il y a ce côté vide mais c'est aussi une aventure humaine extraordinaire, phénoménale. Dix ans après, je ne suis plus pareil, je vois les choses autrement. Et puis c'est une fabrique de notoriété extraordinaire." Alors qu'approche le moment de raccrocher, Frédéric Nihous laisse échapper cette petite phrase : "Franchement, peut-être qu'un jour, j'y retournerai. Il ne faut jamais dire 'jamais' en politique."

Christiane Taubira, candidate en 2002 : "Le corps résiste, puis il flanche après"

Christiane Taubira sur le plateau de France 3, le 13 mars 2002 à Paris. (JOEL SAGET / AFP)

Pour Christiane Taubira aussi, l'épreuve a été rude. Députée de Guyane depuis 1993, et députée européenne de 1994 à 1999, elle décide en 2002 de porter les couleurs du Parti radical de gauche à l'élection présidentielle. Le 21 avril, elle recueille 2,32% des voix et se retrouve, comme Jean-Pierre Chevènement, accusée d'avoir contribué à l'élimination du candidat socialiste Lionel Jospin face à Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. 

Au-delà du choc de voir le Front national accéder, pour la première fois de son histoire, au second tour de l'élection présidentielle, Christiane Taubira n'a rien oublié de cette période difficile, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique. "Pendant cinq ou six mois, j'ai dormi deux heures par nuit. Le corps résiste, puis il flanche après. On va jusqu'au bout, et on meurt après", lâche-t-elle dans le documentaire Moi, candidat

A plusieurs reprises, je vais avoir l'impression de mourir dans cette campagne.

Christiane Taubira, candidate en 2002

dans le documentaire "Moi, candidat"

Otites, angines, lumbagos, coups de fatigue... "En un an, j'ai été évacuée huit fois aux urgences", poursuit Christiane Taubira dans ce documentaire. "Je vais avoir le corps détraqué. Et je vais traîner ça encore pendant deux ou trois ans, qui vont générer des traitements à vie. Parce que, quand on a détraqué son corps, il y a des choses qu'on ne peut réparer qu'à petites doses tous les jours." 

Corinne Lepage, candidate en 2002 : "La pression retombe, j'ai soufflé"

Corinne Lepage à sa permanence, quelques jours avant l'élection présidentielle, le 12 avril 2002 à Paris. (JOEL SAGET / AFP)

Corinne Lepage aussi se souvient de chaque instant du premier tour de l'élection de 2002. "Les RG étaient passés deux ou trois jours avant pour me prévenir qu'il y avait une forte probabilité que Jean-Marie Le Pen soit au second tour, mais je n'y ai pas cru", se souvient l'avocate, alors candidat écologiste indépendante. Vers 18h45, l'ancienne ministre de l'Environnement d'Alain Juppé apprend son score : "1,3%. Je n'étais pas déçue, on me mettait entre 0,2 et 0,5%. Et puis avec [Noël] Mamère, on a fait le meilleur score écolo à une présidentielle."

Corinne Lepage raconte avoir ensuite "soufflé" progressivement. "Un candidat qui a peu de moyens a une campagne plus fatigante que ceux qui ont beaucoup de moyens. On fait de longs trajets en train et en voiture, et on gère tout." Pour autant, pas de dépression pour l'ex-députée européenne. 

J'ai de la chance que la politique ne soit pas mon métier. Me replonger dans mon cabinet m'a remise en contact du réel. Je n'ai pas eu de sensation de passage à vide.

Corinne Lepage, candidate en 2002

à franceinfo

"Il y a la vie, et le retour à la vie empêche la sensation du vide", philosophe Corinne Lepage. Elle assure que sa sortie du gouvernement en 1997 fut plus difficile à vivre que le premier tour de l'élection présidentielle. "Il y a tous les à-côtés du pouvoir, le fait d'être servi, d'avoir une voiture et un chauffeur et puis tout à coup, on se trouve seule. Lorsque je suis sortie du gouvernement, je suis restée quinze jours chez moi à ranger mes livres avant de pouvoir retravailler !"

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