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Présidentielle 2022 : pourquoi le duel entre Macron et Le Pen s'annonce plus serré qu'en 2017

Il y a cinq ans, Emmanuel Macron avait largement battu Marine Le Pen avec 66,1% des voix contre 33,9% au second tour. Cette fois, un sondage les donnent respectivement à 54 et 46%.

Article rédigé par Louis San, Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Marine Le Pen, la candidate du RN, et Emmanuel Macron, candidat LREM, lors du débat de l'entre-deux tours de la présidentielle 2017, le 3 mai 2017, à Paris. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Le match retour, cinq ans après. Le président sortant Emmanuel Macron et la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen se sont de nouveau qualifiés pour le second tour de l'élection présidentielle, recueillant respectivement 27,84% et 23,15% des suffrages au premier tour, dimanche 10 avril, selon les résultats définitifs publiés lundi par le ministère de l'Intérieur.

En 2017, ce duel avait tourné à l'avantage d'Emmanuel Macron. Au second tour, le candidat d'En marche ! avait largement battu la patronne du Front national, avec 66,1% des voix contre 33,9%. Cinq ans après, l'écart s'est resserré dans les intentions de vote. Au soir du premier tour, 54% des personnes interrogées comptaient voter pour le président sortant, contre 46% pour sa rivale, selon un sondage Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions et Radio France.

"Marine Le Pen, aujourd'hui, est quelque part au coude-à-coude avec le sortant Emmanuel Macron. C'est ça aussi qui a changé par rapport à 2017", pointe sur franceinfo le politologue et sociologue Erwan Lecœur, spécialiste de l'extrême droite. Comment expliquer cette évolution en cinq ans ? Eléments de réponse. 

Parce que le "front républicain" est fissuré

Les électeurs non-macronistes prêts à voter pour Emmanuel Macron pour faire barrage à l'extrême droite se mobiliseront-ils autant en 2022 qu'en 2017 ? Le "front républicain" est "plus un lointain souvenir qu'une réalité", répond le politologue Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po.

"Le front républicain avait surtout fonctionné de manière très forte en 2002. Il avait bien moins fonctionné en 2017 et fonctionnera encore moins bien cette fois-ci."

Pascal Perrineau, politologue

à franceinfo

"Nul doute qu'il va encore s'affaiblir", confirme Christèle Lagier, maîtresse de conférences en sciences politiques à l'université d'Avignon. La sociologue estime que l'abstention, déjà plus élevée au premier tour cette année, pourrait l'être encore plus au second tour.

Quelles catégories de Français ayant composé ce "front républicain" en 2017 pourraient cinq ans plus tard choisir de s'abstenir ou de voter blanc au second tour ? "Des électeurs de gauche qui en ont assez de devoir tout le temps faire barrage, répond Christèle Lagier. Une partie de ces électeurs est découragée et n'ira pas voter."

Si ce "front républicain" est autant fragilisé, vingt ans après le 5 mai 2002, c'est aussi "pour une raison structurelle due à notre système politique", ajoute Erwan Lecœur. "Les grands partis de gouvernement de gauche et maintenant de droite ont implosé. Ils n'existent plus." Leurs appels à faire une nouvelle fois barrage à l'extrême droite pourraient donc être moins suivis. D'ailleurs, du côté des Républicains, tous ne sont pas d'accord et Eric Ciotti a par exemple déclaré qu'il ne "soutiendra pas le président sortant", contrairement à Valérie Pécresse.

Parce que Marine Le Pen a lissé son image

Marine Le Pen a été concurrencée sur son extrême droite par Eric Zemmour, qui a fait campagne sur le prétendu "grand remplacement" et sur la préservation de l'identité française. Cette candidature de l'ancien polémiste a aidé le travail de dédiabolisation mené par la fille de Jean-Marie Le Pen. Marine Le Pen a adouci son image, évoquant son enfance, sa vie familiale de "mère de famille nombreuse et monoparentale" et ses échecs.

La candidate a aussi creusé un autre sillon, misant sur des thématiques plus sociales comme le pouvoir d'achat. "En 2012 et 2017, elle a fait des campagnes de contestataire", analyse auprès de franceinfo Raphaël Llorca, auteur des Nouveaux masques de l'extrême droite (éd. de l'Aube). 

"Cette année, elle a réalisé une campagne-thérapie, après un quinquennat de crise permanente, pour apaiser les Français."

Raphaël Llorca, auteur des "Nouveaux masques de l'extrême droite"

à franceinfo

>> Comment la "stratégie redoutable" de Marine Le Pen a fait d'elle une prétendante à la victoire finale

Pourtant, sur le fond, son programme est toujours marqué à l'extrême droite. D'après Erwan Lecœur. Les nombreux référendums qu'elle envisage lui permettrait "de faire passer un certain nombre de choses sur des sujets tels que la remise en cause de l'avortement libre et gratuit, la remise en cause de la fin de la peine de mort, et tout un tas d'autres sujets qui sont des anciens sujets pour le Front national".

Les deux finalistes "ne pourront pas user des mêmes ressorts qu'en 2017", a estimé sur TV5 Monde Martial Foucault, directeur du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po). "Emmanuel Macron avait accusé d'incompétence Marine Le Pen. Cette fois-ci, tout l'enjeu pour la candidate RN sera de montrer sa crédibilité sur des sujets techniques." Plus consensuelle, Marine Le Pen veut aussi montrer qu'elle est désormais présidentiable et tente de mettre en avant son "expérience".

Parce que l'extrême droite est plus forte

Entre 2017 et 2022, Marine Le Pen a progressé au premier tour, atteignant 23,15% des suffrages, contre 21,3% cinq ans plus tôt. Pour Pascal Perrineau, Marine Le Pen a mené "une campagne sociale qui a certainement contribué à créer une dynamique". Cette dernière est "importante dans des terres dans le nord de la région parisienne jusqu'à la frontière belge où règne une vraie souffrance sociale", estime-t-il. Comme l'a montré franceinfo, l'extrême droite est en effet en forte progression dans ces territoires, comme partout en France, depuis 2017.

>> Visualisez en une image la progression de l'extrême droite en France depuis 2017

Marine Le Pen dispose en outre d'une réserve de voix plus importante au second tour. Il y a cinq ans, seul Nicolas Dupont-Aignan, le candidat souverainiste de Debout la France, qui avait obtenu un peu moins de 5%, avait appelé à voter pour elle. Cette fois, la candidate d'extrême droite peut compter sur un réservoir de voix qui n'existait pas : les électeurs d'Eric Zemmour. Le candidat de Reconquête !, qui a obtenu 7% des suffrages, a d'ailleurs appelé à voter pour elle. Au total, les candidatures de Marine Le Pen, d'Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan ont recueilli un peu plus de 32% des suffrages au premier tour. Il y a cinq ans, un peu moins de 27% des électeurs avaient voté pour l'extrême droite au premier tour.

>> Mélenchon, Zemmour, Pécresse, Jadot... Quelles sont les consignes de vote des candidats battus au premier tour ?

Parce que le président sortant a un bilan

"Tout président sortant est moins attractif, avance le politologue Olivier Rouquan. Emmanuel Macron est moins neuf qu'il y a cinq ans et il incarne moins une régénération de la vie politique." Le président sortant "a un passé, certains considèrent que ce passé est un passif", abonde Pascal Perrineau.

"Il n'a plus l'image du renouveau et de l'empathie."

Pascal Perrineau

à franceinfo

Emmanuel Macron, qui s'était posé dès 2017 comme un chef d'Etat jupitérien, est "perçu comme un président distant", ajoute Pascal Perrineau. Le politologue mentionne d'ailleurs les critiques émises par les autres candidats sur les débats évités par Emmanuel Macron lors de la campagne du premier tour. Toutefois, "il conserve un réel potentiel en terme de présidentialité". Mais "les Français ont considéré qu'il a fait une mauvaise campagne, une campagne bâclée".

Parce que Macron s'est mis la gauche à dos

En 2017, Emmanuel Macron s'est fait élire sur la promesse d'un "en même temps", "ni de droite ni de gauche". Mais après cinq ans de mandat, sa présidence a déçu les électeurs de gauche qu'il était parvenu à séduire, selon les analystes. "La défiance et le mécontentement s'installent durablement. Il y a eu pendant le quinquennat la colère des 'gilets jaunes', le Covid-19, et il y a un degré d'insatisfaction qui nourrit le vote contestataire, qui représente plus de 55% des suffrages", estime Olivier Rouquan. 

Christelle Lagier pointe le "programme droitisé" du candidat de La République en marche, des "crises successives qui laissent des traces" et "une manière de gouverner autoritaire", qui a pu heurter des électeurs de gauche. "Le problème principal d'Emmanuel Macron entre les deux tours est de rendre crédible le message selon lequel il est prêt à envisager une initiative politique nouvelle", estime Bruno Cautrès.

"Son problème, c'est le bilan très mitigé de son mandat vu par les électeurs de gauche."

Bruno Cautrès, politologue

à franceinfo

L'objectif, pour les deux finalistes, est de mobiliser les électeurs et d'éviter une abstention massive voire record. Si l'"abstention vient d'une portion de la gauche", Marine Le Pen "pourrait éventuellement créer une surprise", estime Erwan Lecœur. "En réalité, ce qui va se jouer pour le deuxième tour, c'est à l'égard de qui va s'exprimer le plus haut niveau de haine", juge-t-il

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