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Pourquoi Macron tient-il tant à être un président "jupitérien" ?

Le plus jeune président de la Ve République souhaite marquer une rupture avec ses prédécesseurs. Une posture qu'il a théorisée et qui vise à lui faire prendre de la hauteur, notamment en raréfiant ses prises de parole et en évitant de commenter l'actualité. 

Article rédigé par Vincent Lenoir
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Emmanuel Macron marche dans la cour du Louvre après l'annonce de sa victoire à l'élection présidentielle, le 7 mai 2017. (PHILIPPE LOPEZ / AP / SIPA)

C'est sans doute le premier succès du quinquennat. Emmanuel Macron a réussi à imposer le terme qu'il souhaitait pour désigner sa méthode de gouvernement. Il serait devenu le président "jupitérien" – mot savamment distillé au cours de ses interventions de campagne –, prenant ainsi la succession du président "normal" Hollande et de l'"hyperprésident" Sarkozy.

Beaucoup employée au cours des premiers jours de son mandat, la formule a déferlé pour commenter le marathon diplomatique du chef de l'Etat. Ainsi Didier Porte, sur Mediapart, parle-t-il de "Jupiter junior, un diplomate à poigne" en référence à la désormais fameuse poignée de main avec Donald Trump, quand le Huffington Post fait le parallèle entre le "président jupitérien et l'aspirant tsar", Vladimir Poutine, rencontré lundi à Versailles.

L'expression renvoie à Jupiter, roi des dieux chez les Romains. Mais pas de retour à la monarchie pour Emmanuel Macron, qui veut en faire un concept bien républicain, à même de représenter sa vision de la fonction présidentielle. Bruno Cautrès, spécialiste des comportements politiques au Cevipof et enseignant à Sciences Po, explique à franceinfo pourquoi le chef de l'Etat tient tant à ce concept.

Pour essayer de prendre de la hauteur

Jupiter, c'est le dieu qui règne sur tous les autres. Tel Zeus, son équivalent grec, au sommet de l'Olympe, Emmanuel Macron ne souhaite pas s'exprimer sur tous les sujets qui font l'actualité de "la sphère politico-médiatique" explique-t-il dans Challenges, prenant en contre-exemple François Hollande. Au contraire, il compte raréfier sa parole. Les institutions le lui permettent car c'est bien le Premier ministre qui, dans la Ve République, est censé mener la politique gouvernementale. Le nouveau président ne cache d'ailleurs pas vouloir s'inscrire dans un héritage "gaullo-mitterrandien".

Une stratégie de communication qui pourrait avoir du mal à résister aux exigences des Français, à en croire Bruno Cautrès. "Nous ne sommes plus à l'époque du général de Gaulle qui pouvait gouverner depuis son bureau de l'Elysée, explique le chercheur. Avec le quinquennat, le président a le même calendrier politique que le Premier ministre et, à un moment, Emmanuel Macron va devoir expliquer ses choix aux Français. Jupiter sera obligé de descendre dans l'arène."

Pour tenter de rassurer les Français

Jupiter, c'est aussi l'incarnation de l'autorité. Celui vers qui les autres se tournent en cas de troubles. Ancien locataire de Bercy, le jeune Emmanuel Macron (39 ans) est identifié sur les questions économiques mais a tenté, tout au long de la campagne, de rassurer sur les thèmes sécuritaires et le terrorisme. En imposant cette image dès le début de son mandat, il se positionne sur un terrain délaissé par François Hollande, "qui n'avait pas réussi à incarner l'exécutif", selon Bruno Cautrès. Une lacune que le président socialiste a payée tout au long de son quinquennat.

Pour le spécialiste, l'utilisation d'une référence mythologique ou historique est "un grand classique lorsque les politiques veulent être dans l'incarnation du pouvoir". Cette stratégie peut marcher à court terme, souligne-t-il : en 2007, Nicolas Sarkozy, abondamment comparé à Napoléon Bonaparte, avait suscité le même intérêt à l'étranger lors de ses premières semaines au pouvoir. Mais elle ne sera pas suffisante car, pour les Français, "ce sont les résultats qui vont compter", affirme Bruno Cautrès. Il souligne qu'Emmanuel Macron a été élu sur un désir de "renouvellement, mais un renouvellement qui doit mener à des résultats".

Pour instaurer de la solennité

Lorsqu'Emmanuel Macron est interrogé sur le sens de sa démarche "jupitérienne", il répond : "Qu'est-ce que l'autorité démocratique aujourd'hui ? Une capacité à éclairer, une capacité à savoir, une capacité à énoncer un sens et une direction ancrés dans l'histoire du peuple français. C'est une autorité qui est reconnue parce qu'elle n'a pas besoin d'être démontrée." En somme, le président doit proposer une lecture du monde, devenir une sorte d'autorité spirituelle.

Si la démarche d'Emmanuel Macron s'inscrit dans la tradition française de recherche d'"un sauveur christique qui viendra nous délivrer de nos malheurs", Bruno Cautrès estime que "ce n'est pas parce qu'on assène qu'on est 'jupitérien' qu'on l'est réellement". La fréquence de l'adjectif dans les commentaires qui entourent l'action présidentielle peut même provoquer une "overdose" dans l'opinion, selon le chercheur, alors que les premiers grands choix de politique intérieure, comme l'établissement du budget, n'ont pas encore été tranchés.

Pour asseoir un pouvoir vertical

C'est sans doute la dimension la plus polémique et celle qui détonne le plus avec sa campagne. Emmanuel Macron a vanté, durant les mois précédant son élection, les mérites d'une plus forte participation de la société civile aux choix démocratiques. Difficile d'y voir une cohérence avec sa conception "jupitérienne", très verticale, du rôle présidentiel. "Le concept est potentiellement dangereux car Emmanuel Macron n'a cessé de dire qu'il souhaitait favoriser le dialogue social ou avec les élus locaux, rappelle Bruno Cautrès. S'il trouve du plaisir dans l'exercice d'un pouvoir vertical, il va y avoir un retour de bâton dans l'opinion."

Pour le chercheur, le vrai défi qui attend le président est l'image qu'il va renvoyer lorsqu'il fera face à une opposition. Quel comportement aura-t-il face aux partenaires sociaux ? Autoritaire ou à la recherche du consensus ? Cela dépendra du résultat des élections législatives, avec le risque, en cas de majorité absolue pour La République en marche, de légiférer en vitesse et de récolter la colère de l'opinion.

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