Présidentielle 2022 : pourquoi Xavier Bertrand part si tôt en campagne
Le président de la région Hauts-de-France entend jouer les trouble-fête dans le duel annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Mais il devra avant cela s'imposer à droite au sein de sa propre famille politique.
Le faux suspense est levé. "Oui, je serai candidat" à la présidentielle de 2022, a déclaré Xavier Bertrand, mercredi 24 mars, à l'hebdomadaire Le Point. "Je suis totalement déterminé", dit-il. Déterminé surtout à "prendre de vitesse tous ses concurrents à droite", résume la journaliste politique du Point Nathalie Schuck. Et sans passer par la case primaires : le président de la région Hauts-de-France a assuré qu'il ne "participerait" pas à ce type de compétition à droite. Avant d'ajouter, en guise d'appel au rassemblement : "Je respecte celles et ceux qui ont une démarche différente et je travaillerai avec tous." Pourquoi l'ancien ministre de la Santé de Nicolas Sarkozy part-il si tôt en campagne ? Eléments de réponse.
Pour prendre ses rivaux de court
"Il part tôt parce qu'il a peur que la droite ne veuille pas de lui", analyse le professeur de sciences politiques Rémi Lefebvre, interrogé par franceinfo. "Et c'est en partie vrai parce que son attitude est ambiguë : d'un côté Xavier Bertrand ne veut pas de l'étiquette Les Républicains [parti qu'il a quitté en 2017] mais de l'autre, il veut être le candidat de ce parti. Du coup, pour s'imposer comme le candidat de la droite, il veut passer en force en marquant des points dans l'opinion."
S'il y a un autre candidat à droite, il est mort. Du coup, il se dit : 'Si je monte dans les sondages à droite, il n'y aura pas d'autre candidat'.
Rémi Lefebvre, politologueà franceinfo
A droite, l'accueil est effectivement mitigé. Certes, le numéro 2 de LR, Guillaume Peltier, proche du président de la région Hauts-de-France, s'enthousiasme dans une déclaration à l'AFP : "Xavier Bertand apparaît aujourd'hui comme le seul capable de faire gagner nos idées d'une droite patriotique et fière." Mais un autre membre du parti confie anonymement, toujours à l'AFP : "Les résistances vont être terribles. Il y a un seul scénario où ça marche : si Xavier Bertrand arrive à tuer le match dans les deux mois."
Surtout qu'à droite, les appétits s'aiguisent. Le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, aux ambitions assumées pour 2022, l'a assuré jeudi dans une interview à Sud-Radio : "La primaire aura lieu. Je ne sais pas si on va l'appeler la primaire, on va l'appeler la démocratie." La présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, avait de son côté plaidé quelques jours plus tôt pour "la primaire la plus ouverte possible". Cette semaine, deux autres ténors se sont également exprimés : le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, qui "ne veut pas être spectateur", tandis que Michel Barnier assurait garder "la force" de se lancer dans une campagne.
Pour monter dans les sondages
La question sera donc de savoir si les sondages suivent. "Dans les sondages, il ne décolle pas, mais la campagne n'a pas encore commencé", constate Rémi Lefebvre. "Il part d'un matelas modeste de 14 à 16% des intentions de vote au premier tour", remarque Le Point. "Matelas modeste" ? Contacté par franceinfo, le directeur général adjoint de l'Ifop, Frédéric Dabi, se montre moins critique. Dans les enquêtes sur la présidentielle de 2022, fait-il valoir, l'ex-maire de Saint-Quentin (Aisne) est le mieux placé après Marine Le Pen et Emmanuel Macron (crédités respectivement de 24% et 28% des intentions de vote au 1er tour dans le dernier sondage Ifop).
Pour l'instant, Xavier Bertrand est dans une situation relativement confortable avec une troisième place où il est crédité de 15% des intentions de vote. Un socle qui n'est pas mauvais, un an avant l'élection.
Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifopà franceinfo
"Il n'est pas au second tour, mais il est en troisième position. Au second tour, c'est lui qui ferait le meilleur score face à Marine Le Pen", argumente encore Férédic Dabi, en s'appuyant sur l'enquête Ifop-Marianne créditant Xavier Bertrand de 57% des voix face à Marine Le Pen dans l'éventualité d'un tel second tour, contre 53% pour Emmanuel Macron. A l'ancien ministre de la Santé, conclut-il, de "sortir de son statut de troisième homme en se différenciant des deux autres. Son image lui vaut 40 à 45% de bonnes opinions, mais il s'agit d'une popularité attrape-tout, qui ne veut pas dire qu'il va gagner."
Pour s'opposer à Emmanuel Macron
Avec cette entrée en campagne, Xavier Bertrand se met surtout en scène comme le meilleur opposant au chef de l'Etat, qu'il attaque sur le thème de l'insécurité. "Face à un Emmanuel Macron affaibli par la crise sanitaire, il s'achète un droit de parole en se présentant en candidat à la présidentielle", estime Rémi Lefebvre. "Son offre programmatique très à droite répond aux inquiétudes des Français sur l'insécurité, qui est un talon d'Achille pour Emmanuel Macron", complète Frédéric Dabi.
C'est en effet un des axes majeurs de l'entretien au Point du président des Hauts-de-France. "Les Français assistent, stupéfaits, à l'effondrement de l'autorité et à la mise en accusation de notre modèle par l'islamo-gauchisme, alors que nous sommes le pays le plus solidaire au monde", déclare-t-il par exemple, en reprenant au passage le thème gouvernemental de la lutte contre l'"islamogauchisme" pour le retourner contre l'exécutif. Avant d'enchaîner sur une expression de Marine Le Pen empruntée au très droitier essayiste Laurent Obertone : "Je reprends à mon compte le constat 'France Orange mécanique'", assène l'ancien député de l'Aisne.
Emmanuel Macron n'a jamais pris la mesure de ce qui nous arrive. Le chef de l'Etat est le responsable de la sécurité des Français.
Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-Francedans "Le Point"
Dans cette même interview, le président des Hauts-de-France met le cap à droite toute, en énumérant une série de propositions répressives, qui vont de l'"abaissement à 15 ans de l'âge de la majorité pénale" à l'instauration "des peines minimales automatiques", en passant par une "période de sûreté à cinquante ans" en "matière de terrorisme", "de manière rétroactive". "En parlant régalien et justice : il adresse clairement des signaux à l'électorat de droite qui constitue son socle, décrypte Rémi Lefebvre. Et avec son discours très droitier sur la sécurité, il cherche aussi à capter des voix qui pourraient aller à l'extrême droite."
Pour se poser en candidat "populaire"
Il s'agit enfin de prendre le temps de vendre l'image de "gaulliste social, d'une droite sociale et populaire", par laquelle Xavier Bertrand se définit dans Le Point. Comment faut-il interpréter ce terme de "gaulliste social" alors que les propositions sociales tiennent relativement peu de place dans l'entretien ? Par le contraste que l'élu régional offre avec le chef de l'Etat, décode Rémi Lefebvre.
"Xavier Bertrand pense qu'il peut attirer des électeurs de gauche grâce à son image de provincial, d'homme politique qui n'est pas un technocrate, pas un énarque, aux antipodes d'Emmanuel Macron."
Rémi Lefebvre, politologueà franceinfo
"Comme aujourd'hui, il n'y a plus de repères, il joue la carte de la confusion avec la 'droite sociale'", développe le politologue. Xavier Bertrand veut incarner une droite plus souverainiste, plus protectionniste, à l'inverse de l'ultralibéralisme d'un François Fillon. En janvier, le président des Hauts-de-France n'avait d'ailleurs pas caché échanger avec l'ancien ministre socialiste Arnaud Montebourg, créant un certain émoi à droite comme à gauche.
"Son objectif est de faire voter la droite qui représente encore 20% des électeurs et pour le reste, il va chercher des électeurs un peu partout. Il se présente d'un côté comme le recours face à l'extrême droite et à Marine le Pen et d'autre part comme le candidat de la France d'en bas face à Emmanuel Macron."
Rémi Lefebvre, politologueà franceinfo
Mais cet ancrage local revendiqué va le contraindre à un exercice de haute voltige. Car Xavier Bertrand est désormais à la fois candidat aux régionales de 2022, sachant qu'elles seront peut-être reportées à cause de la pandémie, et à la présidentielle. "Ça veut dire que s'il est élu à la tête de la région, il ne s'occupera plus de la région, mais de la campagne présidentielle. C'est un choix coûteux qu'il a dû arbitrer", observe Rémi Lefebvre. Et s'il perd, face à une gauche pour une fois unie autour de l'écologiste Karima Delli ? "Si je n'obtiens pas la confiance de 6 millions d'habitants, je ne vais pas solliciter la confiance de 66 millions de Français", assure Xavier Bertrand dans Le Point.
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