Présidentielle : dans l'Aisne, "la galère" des militants de Philippe Poutou pour obtenir les parrainages
Le candidat du Nouveau Parti anticapitaliste risque de ne pas pouvoir se présenter à l'élection présidentielle tant il est retard dans ses promesses de parrainages. Mais ses militants ont promis de se battre jusqu'au bout.
"Yes, c'est trop cool !" Il est plus de 18 heures quand, enfin, tombe la bonne nouvelle. Sur le parking de la mairie d'un petit village de l'Aisne, Frédéric, dit "Fred", vient de décrocher, avec sa collègue Sonia, le Graal : une promesse de parrainage. Quelques minutes plus tôt, le maire leur a enfin redonné le sourire. "J'ai décidé de soutenir un petit [candidat] car les grands en ont largement. Ça fait vivre la démocratie", leur a-t-il confié. Des paroles que ces deux militants du NPA (Nouveau Parti anticapitaliste), qui battent la campagne pour Philippe Poutou, entendent rarement. Voire jamais. C'est la deuxième promesse de parrainage qu'engrange Fred, la première pour Sonia.
Cet informaticien de 49 ans et cette ancienne éducatrice à la retraite de 66 ans ne ménagent pourtant pas leur peine en labourant, quasiment une fois par semaine, le département de l'Aisne. Leur cible : les maires de petites communes sans étiquette. Mais, entre les portes qui ne s'ouvrent pas, les élus qui préfèrent rester neutres, ou les "gros" partis qui raflent tout, la tâche est rude. Et pourtant, le temps presse : Philippe Poutou assure disposer, à l'heure actuelle, que de 300 promesses de parrainages sur les 500 requis, alors que la date de dépôt est fixée au 17 mars. Franceinfo a suivi, mercredi 22 février, ces deux militants du NPA qui, en une journée, auront parcouru plus de 500 km et visité huit villages.
"Un vrai risque que Poutou n'y soit pas"
La journée commence tôt. Départ à 8h30 de Saint-Denis, ville de Seine-Saint-Denis au nord de Paris, là où militent Fred et Sonia avec une vingtaine d'autres camarades. Sur la route qui les mène du bitume parisien au champ de betteraves de l'Aisne, les deux militants n'ont pratiquement pas besoin du GPS. Dans la petite Clio bleue de Sonia, ils connaissent désormais le trajet comme leur poche.
On retourne voir les maires plusieurs fois. Il y en a un que j'ai même vu cinq fois, et finalement, il a dit non. J'étais un peu découragée.
Sonia, militante au NPAà franceinfo
Plusieurs équipes du NPA se relaient pour voir les édiles et tenter de leur arracher une promesse de parrainage. Mais, cette année s'annonce bien plus difficile que les autres campagnes présidentielles. "Je ne suis pas très optimiste, confie Fred, au fur et à mesure que le paysage défile. Ça devient très dur. Il y a de plus en plus de maires qui ne veulent pas parrainer. Ils disent : 'On ne veut pas faire de politique'. On sent un dégoût, et nous, on galère." Au volant, Sonia acquiesce. "C'est un vrai risque que Poutou n'y soit pas. Et puis, avec les nouvelles règles de parrainage, on est dans le brouillard total. Mais, le plus dur, c'est vraiment le découragement de la politique, c'est très profond."
Deux heures plus tard, et quelques chouquettes avalées à la va-vite, les deux militants arrivent à La Neuville-Housset, à 38 km à l'est de Saint-Quentin. Nombre d'habitants : 68.
Coup de chance, la maire arrive justement. Mais Laurence Hauet douche très vite les espoirs des militants. "C'est déjà fait. Pour M. Asselineau [candidat pour l'UPR]", répond-elle sur le pas de la porte de la mairie, quand Sonia et Fred l'interrogent sur les parrainages. "On regrette. On a du mal à avoir les parrainages", souffle Sonia, qui ne se laisse pas abattre pour autant : "Si M. Asselineau n'allait pas jusqu'au bout, vous seriez prête à soutenir Poutou ?" "Je n'ai pas de parti, pourquoi pas ?", répond la maire. Cette dernière invite finalement les deux militants à entrer dans la mairie. Dans la petite salle du rez-de-chaussée, où seule une secrétaire s'affaire, Sonia tente de dérouler ses arguments : "Poutou, c'est un ouvrier de chez Ford. Il a une expérience pratique de tous les jours. Il ne représente pas les grands partis."
Laurence Hauet ne commentera pas plus que ça le programme de Philippe Poutou, mais acceptera que les militants reviennent la voir. Elle en profite, aussi, pour déplorer le fossé qui s'est creusé entre les politiques de premier plan et les maires comme elle. "Ils ne sont pas dans la même vie que nous. Ils devraient aller sur le terrain, les gens en ont marre et il y a plein de chômage", déplore celle qui travaille "dans le bricolage". Si elle raconte que, dans sa commune, "ça intéresse pas beaucoup de monde, la politique", l'intérêt des équipes de campagne pour les petits maires est visiblement proportionnellement inverse.
C'est la première fois que l'on est autant sollicité par les équipes des candidats. J'ai même été quasiment harcelée par un monsieur, c'est excessif.
Laurence Hauet, maire de La Neuville-Houssetà franceinfo
Après avoir débattu de la "baisse des dotations de l'Etat" ou du "transport scolaire", Sonia promet à la maire de repasser la voir. Il est plus de 11h30 quand les deux militants quittent La Neuville-Housset. "Il faut y aller", assure Sonia, qui a en tête l'heure de fin de la permanence de la prochaine commune : midi.
"Est-ce que la multiplication des candidatures ne va pas desservir la gauche ?"
Mais, arrivés à Haution, commune de 149 habitants, les deux militants sont perdus. Impossible de trouver la mairie. Après avoir fait demi-tour plusieurs fois, ils se décident à aborder le seul habitant présent sur le pas de sa porte. Coup de chance, c'est le maire en personne. Mais leur réussite s'arrête là. L'élu a déjà donné son parrainage. Les deux militants tentent de savoir qui a été choisi. "Vous le saurez peut-être, répond mystérieusement Bernard Faucheux. Enfin, c'est une triste campagne." "Je pense que ce n'est pas la peine d'insister", murmure Fred.
Prochaine étape : Landifay-et-Bertaignemont, à 20 km de là, et ses 288 habitants. Les militants, de nouveau perdus, tombent sur l'employé communal qui circule en tracteur. Il leur propose de le suivre jusqu'au domicile de la maire. "C'est exceptionnel que l'on soit aussi bien accueillis", chuchote Fred. "Nous sommes très sollicités", leur glisse la maire, Sandrine Beaud'huin. "Le but, c'est de permettre à un petit candidat de se présenter", rassure Sonia. "C'est ce que j'avais compris", répond l'édile. Cette dernière a quand même des doutes sur l'utilité de la candidature de Philippe Poutou.
Il ne faudrait pas qu'il y ait trop d'éparpillement des voix. C'est la seule chose qui me fait peur.
Sandrine Beaud'huin, maire de Landifay-et-Bertaignemontà franceinfo
Plus tard, elle se fera plus précise : "Le seul truc, c'est la multiplication des candidats à gauche. Est-ce que ça ne va pas desservir la gauche ? Les voix de Poutou pourraient faire la différence sur une présidentielle à risque."
"Les électorats ne se mélangent pas tant que ça. Les gens s'abstiendront plutôt que de voter pour quelqu'un qui ne les représente pas", tente Fred. "On sait bien que Poutou ne sera pas président, ou même présent au second tour, mais l'objectif, c'est de montrer aux gens que leurs idées seront représentées. On ne fera pas de miracles", ajoute-t-il. "Personne ne fera de miracles", lui rétorque la maire. "Oui, mais on peut semer des graines", tranche Fred.
Sandrine Beaud'huin semble loin d'être convaincue : "Je vois plus Poutou dans le domaine du syndicalisme que dans la présidentielle. Mais ce n'est pas une critique, hein..." Elle aussi a déjà reçu la visite d'une militante de François Asselineau et semble avoir été séduite. Elle assure ne pas encore avoir fait son choix. "C'est courageux ce que vous faites, c'est important de vous accorder le temps de vous recevoir, je vous encourage à continuer", sourit-elle en guise de conclusion.
"Je ne parle à personne"
Repartis sur les routes, les deux militants s'arrêtent en milieu d'après-midi à Proix, qui compte un peu plus de 100 habitants. La mairie est fermée, mais Fred et Sonia demandent à un petit groupe de jeunes où ils peuvent trouver la maire. "La 'mairesse', elle habite sur la colline", leur indique l'un d'eux. Effectivement, en surplomb du village, domine une imposante bâtisse rouge. Intimidés, Fred et Sonia finissent par aller frapper à la porte. Une jeune femme blonde finit par leur entrouvrir la porte. C'est bien la maire, Caroline Lombard, en poste depuis 2008. L'accueil est plutôt froid. "Non, je ne parle à personne", lance-t-elle, avant de finalement leur expliquer les raisons de sa méfiance.
Je suis maire sans étiquette, je ne veux pas engager la commune.
Caroline Lombard, maire de Proixà franceinfo
Déjà, en 2012, elle n'avait parrainé personne. "On est élu pour notre travail, pas pour nos idées politiques", ajoute-t-elle. "On risque de ne pas être présent à l'élection", essaye malgré tout Sonia. Peine perdue. "Bon courage", leur glisse Caroline Lombard, avant de refermer sa porte.
"Si on ramène une signature, on sera content", avait annoncé Fred en début de journée. Plusieurs heures plus tard, leur persévérance est récompensée dans une autre commune, où ils obtiennent enfin cette promesse de parrainage qui les rend si euphoriques. Une petite chance de plus de s'aligner dans la course à la présidentielle. Mais est-ce que cela sera suffisant ? Demain, Sonia repartira sur les routes.
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